Bonjour,
Je me permets de revenir rapidement sur la controverse linguistique plus haut. Le problème (qui a d'ailleurs été noté), c'est que la distinction entre langue et dialecte floue. Entre une "langue" et ses "dialectes" existe une relation de même type qu'entre une "famille de langue" et les "langues" qui la composent (le courant généalogiste/comparatiste s'est d'ailleurs vu obligé de multiplier les sous-familles à outrance afin de rendre compte de la diversité de chacune). Si on remonte assez haut, presque toute l'Europe parle une langue indo-européenne (et peut-être même une langue indo-européenne commune, même si cette hypothèse ne pourra jamais être vérifiée à moins de voyager dans le temps). La différence entre les deux termes semble assez inopérante, et cela fait plus d'un siècle que l'on critique cette approche généalogique de la linguistique (cf. Saussure).
Le critère de l'incompréhension mutuelle est visiblement inopérant, puisque 2 idiomes considérés comme des "dialectes" peuvent y mener, aussi bien que deux "langues". On peut multiplier les exemples : breton et cornique, deux langues celtiques, ne permettent aucune compréhension, en revanche les gaéliques écossais et irlandais oui ; pourtant ce sont 4 langues considérées comme différentes. Je connais moins l'Allemagne, mais j'imagine que la compréhension entre 2 dialectes sera plus aisée qu'entre deux autres ; alors que tous seront appelés des dialectes.
Le critère grammatical est lui aussi difficile à justifier : à partir de quel degré de différence passe-t-on du dialecte à la langue à part entière ? Aucune définition stricte n'est possible : les deux termes n'ont aucune valeur scientifique.
La réponse est sociale (mais en fait appel à de la linguistique, appliquée cette fois-ci) : le mot "langue" a une connotation plus noble que le mot "dialecte". Aussi ériger un idiome comme "langue" à part entière est-il un geste social, voire politique. C'est sur ces prémisses que s'est fondée la sociolinguistique, pour dépasser les apories auxquelles est arrivée la linguistique comparatiste. De manière intéressante, ce sont d'ailleurs des chercheurs allemands qui ont lancé le mouvement (comme souvent en linguistique ceci dit). De cette réflexion résulte une nouvelle typologie que je trouve plus opérante que la précédente (groupes/familles/sous-familles/langues/dialectes/patois/idiotismes familiaux, pour caricaturer un peu) - rien n'empêche d'ailleurs de les envisager comme complémentaires : on distingue trois groupes, en se fondant sur la manière dont on en est venu à envisager comme langues distinctes les idiomes qui les composent. Tout d'abord, les
langues par éloignement : c'est le cas le plus simple, on définit l'idiome comme langue par distinction évidente avec une autre. Aucune compréhension mutuelle, à l'écrit ou à l'oral, n'est possible (exemple : l'arabe et le norvégien). Les choses se compliquent évidemment dès que l'on regarde d'un peu plus près : la question des dialectes d'une langue par éloignement est ici complètement éludée. Une
langue par construction est un dialecte local d'une langue par éloignement qui s'est lui-même standardisé (généralement par écrit) jusqu'à être considéré comme une langue distincte. Les différences entre cette nouvelle langue et cette dont elle provient n'entre pas en ligne de compte : parfois, cette différence est très minime, voire inexistante (le serbe et le croate sont par exemple exactement la même langue, que l'on distingue pour d'évidentes raisons politiques. Ainsi, la langue par construction n'est pas définie par des critères linguistiques, mais bien par un geste politique, et performatif, visant à affirmer sa différence : c'est généralement à des fins de construction nationale que se fait ce processus.
Enfin, une
langue-toit est un idiome permettant la communication entre deux locuteurs de dialectes éloignés. C'est une langue "standard" : lorsque deux dialectes cessent d'être compréhensibles, les locuteurs passent par cette langue. C'est le cas de l'Allemagne : les dialectes n'ont pas été érigés en langue par éloignement, mais on a établi une langue toit pour permettre la communication. L'arabe est un exemple encore meilleurs, l'immense étendue géographique du monde arabo-musulman ayant mené la langue à une extrême diversification.
Hop, et comme je ne suis pas du genre à faire du hors-sujet (
) : j'ai du mal à voir un équivalent à l'Union européenne dans l'Histoire. Partant de là, le Brexit me semble une situation tout à fait inédite. Tous les exemples cités, s'ils ont bien sûr des similitudes avec l'UE, mais les différences sont tout aussi évidentes, ce qui suffit à invalider les parallèles que l'on pourrait établir entre les deux, à mon avis.