Il me semble que le médiéviste Florian Mazel donne une explication claire dans son article "
1095 – l'Orient des Francs" publié dans l'
"Histoire mondiale de la France" (ouvrage collectif sous la direction de Patrick Boucheron ; éditions du Seuil ; 2017) :
Florian Mazel a écrit :
Malgré les querelles et les divisions qui déchirent régulièrement leur camp, les croisés sont clairement perçus par les Byzantins et par les musulmans comme formant un groupe cohérent, qui n'est pas d'abord défini par la religion -les Grecs et toutes les minorités non orthodoxes du Proche-Orient sont aussi chrétiens - mais par son identité « franque ». Le choix de ce terme place les croisés dans la postérité des Francs de l'époque carolingienne, les inscrit dans la catholicité romaine et les renvoie à la langue et à la région d'origine de la majorité d'entre eux: le royaume de France, en particulier sa moitié septentrionale, et le français d'oïl. Certes, bien des différences et des tensions demeurent entre Français du Nord, Provençaux (un terme qui désigne en fait l'ensemble des Méridionaux), Italiens (des Ligures et des Lombards surtout), Normands (d'Italie ou de France), Allemands ... Mais, dans le creuset oriental, cette identité commune « franque», qui leur est assignée par les indigènes, chrétiens ou musulmans, tend à recouvrir les affiliations régionales ou dynastiques occidentales. Elle finit également par structurer tout un imaginaire qui fait des croisés les dignes héritiers des héros (Charlemagne, Roland, Olivier ... ) dont les chansons de geste célèbrent alors, en langue française, les exploits contre les « Sarrasins» ou les « Maures» d'Espagne. Cet imaginaire nourrissait aussi un idéal de chevalerie chrétienne que l'Église tenta de catalyser à son profit, en accentuant, par exemple, la christianisation du rituel de l'adoubement ou en soutenant la création de nouveaux ordres religieux militaires. Fondés à Jérusalem et placés sous l'égide du pape, le Temple et l'Hôpital de Saint-Jean -de- Jérusalem devaient assurer la protection des pèlerins et la sécurité des États francs. Ils jouèrent un rôle croissant dans la défense de la Terre sainte, tandis que leur recrutement, essentiellement français de nouveau, tissa tout au long des XIIe et XIIIe siècles des liens étroits entre Orient et Occident.
Dans ce contexte, on ne saurait s'étonner que la deuxième croisade, suscitée par la chute d'Édesse en 1144, fût elle aussi lancée en France et que sa prédication fût confiée par le pape Eugène III à Bernard de Clairvaux, abbé de Cîteaux, personnalité la plus célèbre de son temps. Bernard prêcha pour la première fois lors des fêtes de Pâques 1146, à l'abbaye de Vézelay, qui abritait les reliques de Marie-Madeleine, censée avoir quitté la Terre sainte pour terminer sa vie dans l'ancienne Gaule. Cette fois-ci, le roi de France Louis VII décida d'y participer. À travers la croisade, la France commençait ainsi à s'affirmer comme la fille aînée de l'Église, au plus grand bénéfice de ses rois.