Liber censualis a écrit :
J'ai un débat avec un ami auquel j'aimerais faire participer le forum : mes profs de fac de géo, quand on étudiait la démographie des pays arabes ont professé l'idée incontestable selon l’accès des filles à l’éducation était un facteur clé de la transition démographique vers la réduction des taux de natalité. Pour mon contradicteur, l'éducation des filles en France a contribué largement à faire baisser la natalité tout au long du XIXe et au delà.
C'est un préjugé bourgeois largement répandu ("
les pauvres sont des lapins"), mais qui ne résiste pas toujours aux faits.
Corrélation ne veut pas dire causalité. Les progrès de la médecine, la prospérité économique, l'appréhension de l'avenir, le rapport entre individu et collectif, le rapport à la mort... font que selon les époques, les sociétés valorisent plus ou moins la fécondité.
Il est vrai qu'au XIXème siècle en France, les lois sur l'égalité successorale, l'extraordinaire pudibonderie du temps, l'urbanisation et autres facteurs connus coïncident avec une instruction plus poussée des filles. Mais ce sont-là des phénomènes parallèles, avec une causalité au mieux très indirecte. Des variables comme les politiques publiques, la pratique religieuse, l'urbanisation ou le taux d'emploi salarié par exemple ont infiniment plus d'influence.
Exemples:
De 1933 à 1940, le taux de fécondité des femmes françaises a été juste au-dessus ou juste au dessous du seuil de renouvellement de 2.1
Il a été supérieur à 2.75 de 1958 à 1968, avec une pointe historique à 2.91 en 1966.
Serait-ce à dire que les femmes des années 1960 étaient moins instruites que leur mère? Et que les jeunes de notre époque, sont revenus au contraire aux niveaux d'instruction de nos leurs arrière-grands-parents entre les deux guerres? Voire de la génération d'avant 14, sans doute la plus érudite qu'a connu notre pays, puisque à deux reprises, en 1907 et en 1911, il y eut en France
moins de naissances que de
décès? (!).
Et que dire des disparités régionales, quand l'indice de natalité a peut être du simple au double, d'une région à l'autre?
Au Portugal, on comptait 2.6 millions d'illettrés en 1950 (sur 8 millions d'habitants), soit autant qu'en 1900. Pourtant ce pays une natalité inférieure à la moyenne européenne quasiment tous les ans depuis le début du XIXème siècle jusqu'à la deuxième moitié du XXème. Un recensement de 1864 montre qu’une femme sur 5 de 50 ans n'y est pas mariée, et que seulement 23% des femmes de 24 ans le sont. Les 10% de naissances hors-mariage -une spécificité du pays- ne compensant évidemment pas les non-naissances des non-mariages.
En 1991, la France était le 5ème pays d'Europe en termes de population, derrière la Russie, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie. Aujourd'hui, elle est en troisième position. De là à voir un symptôme ou une cause de la baisse du niveau scolaire, il y a un pas que personne ne songerait à franchir.
Donc oui, l'Allemagne wilhelmienne passée de 40 millions d'habitants en 1871 à 56 millions en 1900 (29 ans seulement) avec son taux d'alphabétisation le plus élevé du monde -98% pour les hommes, 68% pour les femmes, soit moitié mieux que l'Angleterre- illustre bien, comme d’autres exemples, qu'il n'y a pas de corrélation directe et permanente, encore moins de causalité, entre natalité et instruction (globale ou féminine).