En réponse à la question de Clio, je reproduis ci-après le petit texte que j'ai adressé jadis à un de nos présentateurs du journal de 20 heures, et naguère au rédacteur d'un quotidien parisien (tous deux m'ont répondu pour convenir de la pertinence de cette petite remarque... mais on accusé des rechutes!). Je crois avoir également fait figurer ces lignes sous une autre rubrique...
Depuis quelque temps, je relève (dans les commentaires des présentateurs de télévision et divers articles de la presse écrite, en particulier) l’usage récurrent de plus en plus fréquent d’une expression qui me laisse perplexe : « (en) point d’orgue »…
Or, en langage musical, les trois sens traditionnels de « point d’orgue » sont les suivants :
1 — Le « point d’orgue », le plus souvent, signifie une suspension illimitée de la mesure qui présidait jusque-là au déroulement de la musique. Le musicien peut alors prolonger à sa guise la note où l’accord sur lesquels se trouve placé le « point d’orgue » et reprendre ensuite son discours musical en se conformant de nouveau au tempo « mesuré » (i.e. « soumis à une mesure » : à deux, trois, quatre etc. temps) prescrit par le compositeur… jusqu’au « point d’orgue » suivant, voire au « point d’orgue » final (s’il y en a un) — et sur lequel l’interprète, instrumentiste ou chef d’orchestre, peut s’éterniser à loisir ! Le « point d’orgue » est donc le plus souvent synonyme d’ « arrêt sur image » musicale, note isolée ou accord : c’est un « point final »…
2 — Chez les musiciens de l’époque baroque (Bach, en particulier), le « point d’orgue » indique une simple respiration entre deux membres de phrase musicale, sans interruption du débit imposé par le tempo global (entre les phrases d’un choral chanté, par exemple). Dans ce cas, il a la valeur d’une simple « virgule »…
3 — Dans le cas d’un concerto : le « point d’orgue » indique, vers la fin d’un ou de chaque mouvement, l’endroit où le soliste peut intercaler son improvisation (réelle, ex tempore, ou écrite à l’avance par l’interprète lui-même ou bien encore proposée par le compositeur pour les solistes en mal d’improvisation). Cette improvisation — de longueur indéterminée et pendant laquelle le reste de l’orchestre et le chef attendent… —, s’achève généralement par un trille qui avertit le chef et l’orchestre qu’ils vont bientôt pouvoir intervenir à la fin dudit trille pour rejoindre le soliste et jouer tous ensemble la conclusion écrite du mouvement. L’improvisation du soliste s’appelle également « cadence » (du verbe cadere, tomber en italien) car elle prélude à la chute, à la conclusion du mouvement. Ici, le « point d’orgue » pourrait se rendre par « glose », « parenthèse » ou « points de suspension »…
Aucune de ces trois acceptions (parenthèse/points de suspension ; virgule ; arrêt/point final) ne m’éclaire sur la légitimité de l’usage de « point d’orgue » mis pour « point culminant », « summum », « comble », « moment fort/privilégié » dans les contextes où l’on utilise l’expression à l’heure actuelle… à moins que l’image de l’orgue, souvent niché sur une tribune surplombant la nef d’une église, n’appelle de façon détournée une idée d’altitude, de plénitude souveraine…
En revanche, il se peut qu’au-delà de mes propres recherches sur les différentes acceptions de « point d’orgue », quelqu’un détienne un sens et un usage inédits de cette expression que j’ignore et que je suis tout disposé à accueillir, si l’on veut bien avoir l’amabilité de me les communiquer.
P.S. 1 : Le présentateur d’une de nos chaînes nationales, auquel j’avais adressé ces remarques en novembre 2002, m’a répondu par retour du courrier :
« Cher Monsieur,
J’ai bien reçu votre courrier et je vous en remercie. J’ai trouvé votre réflexion très judicieuse et frappée au coin du bon sens ! Chaleureusement ».
... mais il lui arrive encore de dire « Point d’orgue » de façon abusive et injustifiée !
P.S. 2 : Autre éventualité : y aurait-il contamination avec la mention figurant dans certaines coordonnées informatiques "....... point (.) org."?
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