LA LITTERATURE DU « DEGEL »
I/ Historique
1953. La mort de Staline ouvre une ère d’espoirs en une vie culturelle plus libre. Auparavant, toute création artistique était contrôlée par l’état et devait mettre en avance le « machinisme » propre à la culture ouvrière industrielle soviétique.
L’étudiante Olga Chmanova remarque que la notion amoureuse n’est jamais abordée si ce n’est en rapport avec le dépassement de soi au niveau de la production industrielle ou agricole… Un dialogue typique des films soviétiques de l’époque cité par l’étudiante était : « Si tu arrive à dépasser le plan de production pour le printemps, je serai ta femme ». Le sentiment amoureux s’inscrivait uniquement dans une logique collectiviste.
L’auteur Aram Khatchaturiam, bien que se déclarant fidèle à un « contenu socialiste de la musique » souhaite l’abolition du climat de suspicion qui fait qu’au moindre « faux pas », l’artiste craint pour sa liberté : « Ne contrôlez pas et ne soupçonnez pas sans arrêt les artistes. Les compositeurs soviétiques ont toujours peur que quelque chose leur arrive s’ils font une erreur ».
La poétesse Olga Bergoltz désire retrouver les valeurs humaines de « l’homme vivant » indépendamment du collectif. Elle désire retrouver les émotions propres à chaque individu.
Pomerantsev désire lui, retrouver la vérité dans les écrits et l’émancipation des artistes vis-à-vis du pouvoir. Il dénonce la littérature stalinienne entièrement contrôlée par le Parti Communiste et effectuée sur commande. Pomerantsev dénonce les tableaux idylliques staliniens montrant des kolkhozes croulant sous les victuailles quand le peuple, en fait, ne mangeait pas tous les jours à sa faim. Le Parti Communiste condamnera les écrits de Pomerantsev en rappelant qu’un écrivain doit suivre la ligne directrice émise par le Parti…
La période de « dégel » s’arrêtera en 1964 avec la destitution de Khrouchtchev. Ces 10 années ne représentent pas une période de réelle liberté d’expression littéraire et artistique mais effectivement marquât plus de souplesse dans les productions et surtout dans la dénonciation du contrôle systématique de l’état sur les artistes.
II/ Exemples littéraires
1)Ilia Erhenbourg.
Auteur du roman « Le Dégel » qui donnera son nom à cette période. Ouvrage de référence paru dès 1953. La plupart des thèmes abordés (l’amour, l’art…) le sont sous la forme de sentiments individuels dégagés de l’emprise du pouvoir. « Dégel » littéraire autant que politique.
2)Nazim Hikmet
Auteur de la pièce « Ivan Ivanovitch a-t-il existé ? » (1956). Pamphlet dénonçant le culte de la personnalité très développé sous Staline. Il dénonce aussi le fait que l’art est dirigé de façon, non pas à montrer la réalité quotidienne mais la réalité telle qu’elle devrait être suivant les directives du Parti.
3)Iachine
Auteur du roman « Les leviers » (1956). Nouvelle dénonçant le fait que chaque citoyen soviétique est un « levier » aux ordres du pouvoir stalinien. Iachine décrit des responsables kolkhoziens très naturels humainement parlant mais qui, au sein d’une réunion, adoptent par peur du secrétaire du Parti régional (le « Raïkom ») des idées, des dialogues « préfabriqués », « stéréotypés » qui ne sont pas forcément en adéquation avec leur pensée personnelle.
4)Doudintsev
Auteur du roman « L’homme ne vit pas seulement de pain » (1956). Il dénonce les failles du système bureaucratique par des hommes incompétents mais établis aux places importantes du pouvoir décisionnel. Une société d’ « apparatchiks » oppressant les valeurs humaines de bonté et de compétences représentées par le jeune héros, le technicien Dmitri Lopatkine. L’ouvrage déclencha une violente polémique à sa sortie mais il s’inscrit très bien dans cette période de « dégel » car Khrouchtchev lui-même dénoncera les nantis incompétents du système. Il souhaitera réformer les cadres du Parti communiste ce qui lui vaudra d’être limogé en 1964…
5)Pasternak
Auteur du roman « Le docteur Jivago » (1955). Ouvrage majeur de la littérature russe. Il fut publié dans le monde entier excepté en URSS où, malgré la période de « dégel », Khrouchtchev n’autorisa pas cette publication. Roman dont l’histoire couvre près de 20 ans de la Russie, des premières révolutions de 1905 à celle de 1917. Globalement, c’est une saga qui tourne autour de trois personnages principaux. Le docteur Jivago, médecin militaire pendant la première guerre mondiale, doux et rêveur. Pavel Antipov, ouvrier qui suivra les pas de la révolution et qui finira en implacable commissaire du peuple. Lara, femme de Pavel Antipov qui croisera à plusieurs reprise la vie du Docteur Jivago. Symboliquement, l’image du poète est opposée à celle du révolutionnaire implacable et froid. Pasternak obtiendra pour cet ouvrage le prix Nobel mais sous la pression du régime, il sera contraint de le refuser.
6)La jeune prose
Jeunes écrivains n’ayant pas connu la période stalinienne et ne produisant pas directement des ouvrages à consonance politique mais apportant un style littéraire totalement nouveau dans le fond et la forme. C’est une littérature de confession sur leur vie étudiante, professionnelle, amoureuse. Ils s’imprègnent de valeurs occidentales dans la musique (le rock, le jazz), dans l’habillement (les jeans) dans la littérature (l’existentialisme de Jean Paul Sartre), etc… Ils définissent souvent une volonté d’engagement personnel dans le choix de leur vie. Une liberté dans le choix des études et du travail sans la pression des parents ou du pouvoir. Ils s’inscrivent dans cette période dans le sens qu’ils écrivent véritablement pour eux-mêmes des choses personnelles qui, par définition, ne sont pas des « commandes » du pouvoir en place comme c’était le cas sous Staline.
Les auteurs de « la jeune prose » ne rejettent pas les valeurs du socialisme mais oeuvrent pour une plus grande liberté dans leurs choix de vie. L’auteur Axionov dans l’ouvrage « Un billet pour les étoiles » paru en 1961 définit la jeunesse ainsi à travers les pensées de son personnage principal : « Ta vie, Victor, a été planifiée par papa et maman quand tu étais encore au berceau (…) Pas une seule fois tu n’auras pris (n.d.l: personnellement) de décision réelle et sérieuse, pas une seule fois tu n’auras pris de risques ».
7)Le dégel poétique
La poésie a toujours eu une très grande importance en Russie. Staline s’en été servi pour glorifier l’image bolchevique. Les poètes de cette période rechercheront le « moi » lyrique à travers de thèmes plus sensibles et personnels tel que l’amour, la mort, etc… Les plus représentatifs sont Evgueni Evtouchenko, Andréi Voznessenski, Robert Rojdesvenski et Belle Akhmadoulina. Ces poètes s’efforceront de présenter l’homme avec ses qualités et ses défauts comme un vrai être humain en opposition à l’image idéalisée du bolchevik convaincu n’ayant que des qualités et étant soumis au chef suprême, le dirigeant du Parti.
8)La littérature des camps
Elle pourrait apparaître comme la plus cinglante envers le pouvoir soviétique mais bizarrement elle fut mieux accueillie qu’un ouvrage plus général tel « le Docteur Jivago ». La réponse est simple. Khrouchtchev ouvrit les goulags et libéra des milliers de prisonniers dont certains d’ailleurs sous Staline n’avaient strictement rien fait si ce n’est avoir commis la « faute » d’avoir été fait prisonniers par les Allemands pendant la guerre… Au contraire, « le Docteur Jivago » lui, oppose deux conceptions sociales et remet et cause les fondements et dérives révolutionnaires. Khrouchtchev, secrétaire général du Parti ne pouvait que soutenir les fondements de l’URSS mais pouvait aussi dénoncer les dérives staliniennes. D’où les différences de traitement d’ouvrages et d’auteurs durant cette période.
Soljenitsyne reste la figure emblématique de la littérature dénonçant les emprisonnement arbitraires, les déportations en camp de travail forcé et les conditions de vie au sein de ces camps ressemblant en tous points aux camps nazis de la seconde guerre mondiale. En 1962, il publie « Une journée d’Ivan Denissovitch » révélant l’existence cachée des camps. Il reçoit des milliers de lettres lui demandant de continuer à révéler la vérité au public. L’histoire raconte, là-encore, la vie d’un simple moujik envoyé au goulag car durant la guerre il fut fait prisonnier deux jours par les Allemands.
9)La littérature de guerre
Souvent une littérature basée sur des autobiographies de la période du début de la seconde guerre mondiale (1940/1941) et analysant les raisons des défaites initiales mais surtout la peur des soldats qu’ils soient gradés ou non face à la police d’état. La littérature de guerre en fait, en est rarement une au sens propre du terme.
Georgui Baklanov à travers un ouvrage de référence sur ce thème : « Juillet ‘41 » dénonce les procès politiques organisés par les responsables du Parti afin d’effacer les premières défaites soviétiques face à l’armée allemande. Les mémoires du général Alexandre Gorbatov « Les Années et les Guerres » dénonce les tortures et les emprisonnements arbitraires de citoyens soviétiques. Il se pose la question suivante : «Etait-il possible que nos dirigeants croient que tant de soviétiques fussent devenus soudain des vendus, aient suivi la voie de l’espionnage au profit des pays impérialistes ? ».
10)La littérature paysanne
C’est une littérature réaliste qui à l’inverse de la littérature stalinienne n’offre plus d’image idyllique des kolkhozes mais une vision partagée y compris par Khrouchtchev lui-même, à savoir qu’il faut dynamiser l’agriculture car les paysans ne mangent pas à leur faim et ont perdu l’amour de la terre.
Valentin Ovetchkine dans une prose documentaire dénonce les méthodes totalitaires des fonctionnaires obligeant les paysans à remplir les plans de production uniquement dans le souci de leur carrière personnelle et en méprisant ces mêmes paysans.
Bfim Dorch quant à lui dénonce la centralisation des décisions bien loin de la réalité de terrain des paysans.
Fiodor Abramov dans « Autour et Alentours » (1963) comparait ironiquement les pauvres plantations du kolkhoze face aux riches plantations des paysans à la retraite. Les paysans retraités n’ayant que la vente de leurs produits au marché pour vivre cultivaient avec soin leur potager. Les kolkhoziens recevant un salaire faisaient le même travail sans soin particulier…
11)La littérature de science-fiction
Elle apparaît justement à cette époque du « dégel ». Ce sont principalement des œuvres philosophiques mettant décrivant des sociétés utopiques transposées dans des mondes interplanétaires. L’ouvrage de référence est « La nébuleuse d’Andromède » d’Ivan Bfremov parue en 1957.
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