Romeo a écrit :
Comment explique t-on l'évolution assez glauque de la littérature moderne, avec son cortège d'assassinats, d'histoires sombres à la Zola et à la Céline, Malraux ?
La littérature du 18° siècle (Voltaire) et d'avant (Rabelais) et même d'encore avant (écrivains greco-romains) était dans un style souvent profondément différent, plus d'humour, d'amour, de joie de vivre, que d'histoire de complots, assassinats, escroquerie, meurtres en tout genre.
Il est vrai qu'à l'époque le prix du papier empêchait de publier n'importe quoi.
Le progrès technique n'a pas que des avantages.
Cette littérature un peu célinienne n'aurait-elle pas contribué à créer une culture digne des lamentables évènements du 20° siècle ?
(Il y a du souci à se faire pour le siècle qui vient).
Il est vrai qu'il est plus facile de faire peur que de faire rire.
Mais si vous vous y connaissez mieux en littérature, quel est votre avis sur ce genre d'évolution ?
Bonjour,
Il se pourrait que l'oeuvre de Byron, du fait du retentissement particulier qu'elle a pu avoir, ait marqué un tournant. Mais il ne faut pas oublier que la littérature est aussi, pour partie, le reflet de la société qui la voit naître (mais également celui de la vision qu'en ont ou veulent en donner ce qui la diffusent). Si elle influence, elle est aussi influencée en retour.
Voici un autre point de vue, celui d'Ernest Hello, sur l'évolution de la littérature de son siècle. J'ai opéré un certain nombre de coupures. Le texte est disponible en intégralité sur le site de la BNF.
Ernest Hello a écrit :
L'Art et la littérature visaient autrefois l'idéal. Ils pouvaient le viser fort mal; mais ils le visaient toujours. Parcourez le poème lyrique, le poème épique, le poème dramatique, le roman. Vous trouverez partout l'auteur en quête d'un idéal. Les siècles passés, dans leur effort artistique et littéraire, ont aspiré à la poésie. Cette poésie a été tantôt vraie et tantôt fausse. Souvent les écrivains ont pris l'abstrait pour l'idéal et l'emphatique pour le sublime. Souvent, dans leur amour du héros, ils ont oublié l'homme. Dans leur amour de l'élégance, ils ont oublié la simplicité. Souvent, dans leur amour de la distinction, ils ont oublié la réalité. Mais, toujours, quel qu'ait été le succès de leur effort, cet effort a été dirigé vers une conception quelconque de la beauté et de la poésie.
Qu'a fait le dix-neuvième? Il s'est élevé contre cette antique habitude qui tenait à la nature même de l'Art, à sa vie et à son essence. Pour la première fois depuis le commencement du monde, il a osé dire: Le beau, c'est le laid
Et il est allé chercher ses types en dehors de la beauté.
La révolution qui s'est opérée il y a cinquante ans, et qui s'est appelée le romantisme, a brisé les formules qu'on appelait les règles et qui emprisonnaient l'Art; en cela, elle a eu parfaitement raison. Mais elle a brisé la vie même de l'Art, qui est la recherche immortelle du beau, et elle a eu parfaitement tort. Après avoir supprimé les règles arbitraires, elle a supprimé les lois essentielles. Voulant violer les règles, elle a fini par les violer régulièrement, et elle a institué une règle nouvelle, qui est la violation des règles précédentes. Jadis, la littérature n'osait pas appeler les choses par leur nom, dans la crainte que ce nom ne fût pas noble.
(...)
Cependant, le romantisme avait déplacé l'idéal; il ne l'avait pas supprimé. Son idéal était la fantaisie, par laquelle il avait remplacé les anciennes conventions de l'Art.
La fantaisie consiste dans l'absence des lois. Elle est infidèle par essence; le romantisme a été fidèle à l'infidélité qu'il adorait.
La nature est déchue. L'Art doit se servir d'elle pour la relever, pour marcher avec elle, à la conquête du beau.
Le romantisme, oubliant la déchéance, prit la nature pour modèle, au lieu de la prendre pour instrument
Il oublia l'idéal vrai, mais il choisit un autre idéal; il adora son caprice. L'imagination fut son cheval de bataille; et dans l'effort qu'il fit vers la réalité, ce fut sa propre fantaisie qu'il atteignit seulement. Il voulut exprimer la nature; mais la nature, que du rest, il étudiait fort peu, lui glissa entre les mains, et il ne peignit que lui même. L'imagination, qui s'adorait elle-même, remplaça la réalité, comme elle avait remplacé l'idéal.
(...)
Mais ce pauvre grotesque finit par disparaître dans l'étourdissement de son triomphe et au romantisme succéda le naturalisme.
(...)
Victor Hugo, essentiellement poète, était poursuivi, même malgré lui, par l'idéal. Son idéal, c'était son moi. (...)
Zola, essentiellement prosateur, n'est tourmenté par aucune vision. Il ne cherche ni l'idéal, ni lui-même. Il ne peint que ce qu'il regarde.
La beauté, dans la maison de l'Art, est devenue une étrangère. L'Art s'étonne de ne plus entendre parler d'elle.
Dans la conception antique, l'Art levait les yeux.
Dans la conception romantique, l'Art regardait devant lui. (...) Il se contemplait lui-même. Il s'adorait dans sa projection.
(...)
Dans la conception naturaliste, l'Art baissa les yeux.
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