Pour le mode de vie au mésolithique, voici un article de 1995 :
http://membres.multimania.fr/rozoyprehistoire/travauxpdf/mdviemeso.pdfIl a déjà été cité plusieurs fois sur le forum.
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Les animaux présents étaient bien plus nombreux dès la fin de la glaciation qu'au temps des Magdaléniens : le renne (135 kg) avait émigré, mais était remplacé par le cerf (175 kg) et le chevreuil (22 kg). Au lieu de 5 rennes au km2 (200 à 400 kg de viande selon le poids attribué au renne) il y a 4 à 8 cerfs (420 à 840 kg de viande), plus 2 sangliers (120 kg) et 10 chevreuils (130 kg). L'aurochs était resté, peut-être même plus abondant dans un climat plus doux. Elan, cerf géant, bison d'Europe remplaçaient avantageusement le cheval. Dans un rayon de deux heures de marche (10 km) il y avait autour d'un groupe d'archers 1 200 cerfs (en tablant sur l'effectif minimal de 4 au km2), 600 sangliers et 3 000 chevreuils. Cela aurait même permis une vie sédentaire, en ne tuant chaque année que 15 à 20 % des bêtes, taux limite pour permettre la survie des espèces (Rozoy 1978, chapitre 21).
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Les archers ont chassé les plus grands animaux du milieu : aurochs, cheval dans les époques (Dryas III, Préboréal) ou les zones (Provence, Causses) pas trop boisées, mais on trouve encore de l'aurochs au Boréal dans la Somme (Ducrocq 1995) et dans l'Ardenne (Cordy 1976). Renne et cerf géant là où il y en avait (Remouchamps au Dryas III, Dewez 1974 a), ou bouquetin (en montagne), cerf et sanglier ensuite dans la généralité des cas : plus de sanglier au Préboréal et au Boréal, dans une forêt claire, plus de cerf à l'Atlantique dans une forêt plus fermée, cela correspond à la fréquence des espèces (Rouffignac, Barrière 1973-74, Rozoy 1978). Le chevreuil, omniprésent, abondant, mais trop petit, n'a été utilisé que très occasionnellement. En poids de viande, castor, loutre, lapin et tous animaux petits n'ont constitué que des appoints gustatifs, tout comme les coquillages de bords de mer ou les escargots (les amas de coquilles sont impressionnants, mais en poids de viande c'est minime et ne peut fournir plus de 3 % des calories nécessaires, Peterssen 1922, Rozoy 1978 p. 1035). Martre, blaireau, putois, loup, renard, lynx, peu sapides, sont chassés pour leur fourrure, de toutes façons les quantités en sont trop faibles pour intervenir dans les comptes de poids de viande. L'ours lui-même ne fournit que peu, dans un seul site connu (Birsmatten, Bandi 1963, Rozoy 1978). Nos archers sont des chasseurs de grands herbivores, ils n'ont pas peur des plus dangereux (aurochs). Si l'on reprend les calculs en ne comptant que 20 % de viande par bête (la bonne viande à rôtir), la place des petits animaux (lapin compris) reste minime. L'homme apparaît à cette époque comme un prédateur parmi les autres, ne prélevant probablement pas beaucoup plus que le loup : 5 à 7% des animaux chassés. Aucune espèce n'a été exterminée, à ce niveau les archers n'avaient pas même à s'en préoccuper.
Pour les quantités de viandes disponibles, je dois reconnaitre que ma mémoire m'a trahi :
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Le nomadisme était purement culturel : Nos gens connaissaient leur terrain, puisqu'ils revenaient aux mêmes points et campaient au même endroit du site, où ils avaient leurs habitudes, on peut même imaginer qu'ils y avaient leurs traditions et leurs légendes. Ce n'était pas une errance au hasard, mais des retours plus ou moins fréquents dans des lieux bien connus qui portaient certainement des noms. Ils auraient pu vivre sédentaires, disposant dans le rayon de deux heures de marche de 160 tonnes de viande, dont 30 abattables sans raréfier le gibier (plus les petits animaux et le poisson, voir ci-dessus, au 2.), alors que 20 personnes n'en consomment que 9 tonnes par an. Même en tenant compte du gaspillage, deux ou trois camps de base auraient suffi, qui auraient laissé des traces bien plus fortes que ce que nous trouvons.
Ce n'aurait pas été plus nomade que nous-mêmes, qui allons ailleurs l'été et en fin de semaine. Mais, comme la plupart des peuples chasseurs subactuels (Constandse-Westermann 1995), les archers mésolithiques ont déménagé beaucoup plus souvent, sans nécessité économique : c'est une question d'état d'esprit.
J'ai parlé de 20 tonnes, en fait, il y a 160 tonnes de viande disponible dont 30 tonnes abattables sans raréfier la ressource. Les besoins se montent à 9 tonnes.
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La capacité nutritive maximale du territoire est, pour estimer les nombres absolus des habitants, le seul mode de calcul acceptable (et très approximatif). Ni le nombre de sites, ni les restes de cuisine ne permettent un calcul des effectifs d'ensemble : beaucoup de sites sont détruits, ou enfouis, et nous ignorons dans quelles proportions; les carnivores emportent les os, qui de toute façon ne se conservent pas s'ils ne sont pas enfouis rapidement, or ce cas est rare. On se base donc sur la population animale consommée : 4 cerfs (minimum) et 2 sangliers au km2, dont on peut tuer sans risque de disparition un
animal sur six, et qui fournissent 60 % de viande (le chevreuil a été très peu utilisé). Et une consommation moyenne de 2 500 calories par personne et par jour, soit 1,2 kg de viande. Mais la population effective (observée sur les peuples chasseurs subactuels) ne suit que de loin cette capacité nutritive théorique, ne serait-ce qu'en raison des mauvaises années où les effectifs des animaux s'effondrent de moitié. Il paraît raisonnable de n'en compter que le tiers. On parvient alors, en tenant compte aussi (forfaitairement, vu le manque de données) de la pêche et du gaspillage, à 30 000 à 70 000 rations réellement disponibles : 50 000
habitants en France à l'Atlantique, peut-être moitié plus au Boréal (Rozoy 1978, p. 1064-1066). Il ne s'agit que d'un ordre de grandeur, une base de discussion à peu près raisonnable. Elle donne toutefois la mesure de l'abîme qui nous sépare des chasseurs mésolithiques : l'agglomération de Périgueux répartie sur toute la France, 500 personnes par département, soit 25 à 50 groupes de 10 à 20 personnes (enfants compris), ou encore deux groupes de 15 personnes par canton.
Les gisements sont beaucoup plus nombreux qu'au Paléolithique, dans une proportion énorme qui compense très largement leur petite taille, et suggère que la population dépasse très fortement celle du Magdalénien, culture la plus abondante (en France) de tout le Paléolithique. Des recensements basés sur les publications, sans examen systématique du terrain (Kwamme et Jochim 1989), montrent pour les zones à peu près étudiées un site mésolithique pour 5 à 6 km2, et c'est ce qu'on trouve aussi partout chaque fois que l'on prospecte sérieusement (Rahir 1903, Fagnart 1993), contre un site pour 1 400 km2 pour le Magdalénien sur l'ensemble de la France, mais un site magdalénien pour 230 km2 effectivement occupés en Périgord.
Compte tenu de divers correctifs (Rozoy 1992 c), l'augmentation des populations totales atteignait quatre à cinq fois plus pour le Boréal ou l'Atlantique, juste avant la néolithisation. Le Périgord est la seule région où les populations du Magdalénien supérieur avaient atteint une densité comparable à celle du Mésolithique. La différence entre le Magdalénien et le Mésolithique est essentiellement dans l'occupation totale et uniforme par les archers, opposée à une utilisation d'îlots dans un désert glacé pour les lanceurs de sagaies. François
Bordes (1968, p. 235) a écrit, à juste titre : "On pourrait définir le monde paléolithique comme un désert humain fourmillant de gibier" et aussi : "un homme pouvait sans doute vivre toute sa vie en ne rencontrant que très rarement un homme d'une autre tribu, surtout d'une autre culture". Ce n'est plus le cas au Mésolithique, il n'y a plus ces immenses espaces vides entre les groupes régionaux, chaque groupe régional (tribu, probablement) a des voisins qu'il connaît et fréquente. En témoigne la très rapide diffusion à travers toute l'Europe des inventions importantes, comme localement celle des petites particularités typologiques qui permettent de sentir au niveau des frontières interculturelles des influences réciproques.