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Message Publié : 04 Déc 2021 10:29 
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En fait, il faudrait déjà reconnaitre qu'il y a plusieurs "histoires". D'un coté, il y a l'histoire universitaire qui se base sur des travaux documentés et réalisés conformément à la méthode historique. Quelle que soit la coloration politique de ceux qui réalisent ces travaux, car il faut bien reconnaitre que même chez ces historiens "sérieux", on peut souvent reconnaitre une coloration politique plus ou moins marquée. Ne serait-ce que par le choix des travaux, on ne choisit pas de travailler sur la mémoire ouvrière du XIXème siècle par hasard...

Il y a ensuite des histoires "identitaires", en fait dans chaque groupe humain, on a développé une espèce de vision commune du passé. Parfois, cette vision dévie fortement par rapport à l'histoire universitaire. Sur les forums sociaux, j'ai souvent des discussions avec les tenants d'une "alsacitude" historique. Pour eux, il s'agirait de rendre à l'Alsace actuelle une grandeur politique passée, qu'on est bien en peine de trouver dans les travaux universitaire. L'Alsace politique semble avoir été créée par Louis XIV et Vauban, avant eux, l'Alsace n'est qu'un espace géographique déchiré par une multitude de réalité politiques antagonistes. Je préfère signaler que je cite l'exemple alsacien car je le connais relativement bien, et que je sais que cet exemple s'applique à de nombreuses autres régions...

Il y a ensuite une histoire "mémorielle", elle se créé à partir des témoignages de ceux qui ont vécu certaines périodes et qui rapportent leurs témoignages dans des livres de mémoire ou des articles. Cette histoire mémorielle est, à minima, duale, car il y a souvent une mémoire de ceux qui ont participé à l'histoire de tel ou tel évènement.

Et puis, il y a le gloubi-boulga que retient la personne moyenne qui ne s'intéresse pas trop aux choses et qui picorent des savoir dans divers supports.

En fonction de la communauté auquel on appartient, il faut bien avoir conscience de l'impact de ces diverses histoires.

J'ai encore plus pris conscience de cet enchevêtrement de strates en lisant une série de pdf réalisée par un groupe de travail d'EDF sur l'histoire de la sûreté nucléaire. Histoire basée sur un travail rigoureux basé sur des témoignages de divers acteurs, mais aussi sur des documents. J'ai vécu cela de l'intérieur, et là je voyais un regard externe et global sur ces longues années. Certaines des tensions que j'avais perçu à l'époque étaient clairement explicités et j'ai mieux compris certaines choses. D'autres, je les avait vécues de manière différente et j'ai dû me poser la question de mon propre ressenti. La diversité des témoignages montrait aussi que tout l monde n'avait pas vécu ces expériences communes de la même manière. Il y avait des antagonismes qui survivaient aux décennies... En fait, si on m'avait demandé de résumer cette histoire comme je l'avais vécue, j'aurais présenté ma vision particulière. Depuis que j'ai lu ces documents, j'ai mieux compris certains choix qui ont été faits à certaines époques.

Mais, en ayant compris cela pour mon propre compte, j'en perçoit la difficulté qu'il peut y avoir pour certains évènements historiques, surtout quand les données manquent. Ou quand on refuse de prendre en compte tous les aspects d'une thématique.

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Message Publié : 04 Déc 2021 12:14 
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Narduccio a écrit :
Ne serait-ce que par le choix des travaux, on ne choisit pas de travailler sur la mémoire ouvrière du XIXème siècle par hasard...

Effectivement, mais pas forcément uniquement dans cette orientation.
Les sujets dégagés par les historiens dépendent avant tout du contexte, qui entraine l'auteur à les étudier en questionnant certaines thématiques de manière plus ou moins orientée par les interrogations agitant ses contemporains (et donc lui-même).
En effet, on peut citer, entre autres, l'exemple de la crise financière de 2008-2009, qui entraîna à l'époque une cascade d'études sur les crises économiques de 1929, de 1892, voire de 1873, ou encore sur le cheminement de la construction d'une économie capitaliste depuis le Moyen Age, en traversant l'époque moderne, dans les société occidentales. Plus près de nous, la pandémie actuelle (qui n'en termine toujours pas...) a entrainé la production pléthorique d'ouvrages et d'articles sur la "peste noire" de 1348-1351, qui avait en son temps ravagé toute l'Europe - ou presque -, mais également d'autres épidémies ultérieures, comme les épidémies successives de choléra au XIXème siècles ou, plus près de nous, de la grippe espagnole de 1918-1921 - qui aurait fait 50 millions de morts (fourchette moyenne) sur une humanité alors composée d'environ 1 milliard d'individus -, voire encore concernant la grippe de "Hong-Kong" après 1968 et j'en passe.
Bien entendu, ces choix sont les reflets des interrogations qui agitent les esprits des historiens et de leurs contemporains afin de répondre par un éclairage passé à des questions actuelles parfois "brûlantes". Par exemple : comment ces sociétés avaient réagi à l'époque face à des événements parfois proches des leurs - même si comparaison n'est pas raison.
Nous ne sommes par loin des questionnements d'auteurs plus anciens comme un Marc Bloch, qui questionnait déjà de manière quasi immédiate cette "étrange défaite" de 1940 pour dépeindre, de manière aussi acide que réaliste, les structures publiques et sociales d'une société qui était finalement aux abois et qu'aucun politique et militaire du printemps 1940 n'acceptait d'admettre, voire de manière plus ancienne un Machiavel, qui s'interrogeait dans Le Prince sur les qualités idéales qu'aurait dû posséder celui qui devait unifier l'Italie, cela en revisitant toute l'histoire du territoire italien et des différents peuples et personnages providentiels qui l'avaient occupé et/ou gouverné.

A cela il faut parfois ajouter, c'est vrai, l'orientation idéologique de l'auteur, mais pas toujours. Ainsi s'intéresser à l'histoire de l'esclavage ne veut pas forcément dire que ses auteurs s'identifiaient à leur sujet d'étude, comme certains auteurs marxistes auraient pu le faire concernant les masses prolétariennes et/ou populaires - d'ailleurs ils n'ont (fort heureusement) pas borné leurs études uniquement à ces groupes sociaux. Ainsi les travaux d'un Grenouilleau - qu'on ne peut qualifier de politiques ou d'idéologiques, malgré quelques controverses entre certains spécialistes de la question - ont surtout répondu à un questionnement important sur ces points après l'entrée en vigueur de la loi Taubira en 2001, ainsi que des actions identitaires de certains collectifs issus de territoires ultramarins. Il y a parfois une demande sociale sur certains sujets, car justement, les travaux les concernant font parfois défaut ou sont peu nombreux.
Ainsi, des auteurs parfois classés politiquement sur des cases différentes se sont emparés de sujets - pas forcément toujours pour entrer dans de stériles polémiques - qui n'avaient pas vraiment de rapport avec leurs orientations personelles. Ainsi a-t-on pu observer des marxistes travailler sur le clergé à l'époque moderne, des libéraux sur les ouvriers au XIXème siècle, etc.
Il n'y a donc pas toujours corrélation.

Narduccio a écrit :
Il y a ensuite des histoires "identitaires"

Cette histoire n'existe plus vraiment, en dehors de cas et de situations très précis, pour lesquels le pouvoir politique en place a demandé à certains historiens de construire un "roman national". C'est bien entendu le cas en France à partir de 1882, dans un contexte pluriel d'enracinement de la République, de lutte contre le clergé catholique et de revanche contre l'Allemagne. On peut percevoir des cas similaires dans d'autres pays, lorsque l'identité nationale s'est construite ces derniers siècles.
Les historiens ne l'aiment guère, car elle scénarise parfois ce qui ne devrait et pourrait l'être et produit des raccourcis fallacieux à des fins politiques.
Elle a la particularité de se retrouver dans les programmes et manuels scolaires et de fabriquer des représentations communes à tous les élèves qui se l'approprieront.

Narduccio a écrit :
L'Alsace politique semble avoir été créée par Louis XIV et Vauban, avant eux, l'Alsace n'est qu'un espace géographique déchiré par une multitude de réalité politiques antagonistes.

Cela est autre chose : c'est la copie et la volonté de fabriquer un "roman national" pour une région en fonction de velléités identitaires (forcément régionalistes). Le plus souvent c'est une minorité de la population qui la réclame - mais face à la maladie actuelle de la démocratie représentative, ils peuvent se hisser au pouvoir, c'est le cas des identitaires corses.
Ce qui rejoint cela :
Narduccio a écrit :
Il y a ensuite une histoire "mémorielle"

Les deux sont intiment liés actuellement, dans un contexte de dilution de l'identité nationale dans un contexte de mondialisation et d'intégration des territoires français dans la construction européenne.
La nation s'efface donc et voit des groupes et communautés identitaires manifester leur désir d'exister pour ce qu'ils sont et non pour suivre un "roman national", jugé trop réducteur (où sont les mémoires corses, bretonnes, occitanes, issues de l'immigration là-dedans ?) désuet (la fin du XXème siècle tue les nations en Europe) et méprisant (le fameux "nos ancêtres les gaulois").
La conséquence de ceci est l'inflation de travaux communautaristes et identitaires à finalité mémorielle, visant souvent à déconstruire le récit déjà établi, voire à s'y insérer. En invoquant (inventant ?) la mémoire de tel ou tel groupe on permet à celui-ci de ne plus jamais être oublié, mais également d'exister et, finalement, de se structurer afin de peser politiquement.
La guerre d'Algérie est assez éclairante à ce sujet : tous les groupes y ayant participé demandent à avoir un récit mémoriel et identitaire actuellement, au-delà de celui qui a(urait) été écrit par les héritiers du FLN et du gouvernement français : AMN, "pieds-noirs", harkis, militaires, etc.
Ce phénomène s'observe également dans d'autres pays et pour d'autres évènements, bien naturellement.
Personnellement il me semble dangereux - plus dangereux encore que les "romans nationaux" du XIXème siècle -, parce que souvent revendiqué par des personnes qui n'ont aucun rapport avec l'histoire et l'utilisent à des finalités politiques en l'agitant contre les pouvoirs en place, pétries de velléités destabilisatrices.

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Message Publié : 04 Déc 2021 12:31 
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Pierre de L'Estoile
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Narduccio a écrit :
En fait, il faudrait déjà reconnaitre qu'il y a plusieurs "histoires". D'un coté, il y a l'histoire universitaire qui se base sur des travaux documentés et réalisés conformément à la méthode historique. Quelle que soit la coloration politique de ceux qui réalisent ces travaux, car il faut bien reconnaitre que même chez ces historiens "sérieux", on peut souvent reconnaitre une coloration politique plus ou moins marquée. Ne serait-ce que par le choix des travaux, on ne choisit pas de travailler sur la mémoire ouvrière du XIXème siècle par hasard...
On peut rajouter que non seulement l'histoire universitaire est influencée par le contexte politique, mais que le monde universitaire a lui aussi tendance à agir en acteur politique. De là la profusion de studies et de déconstructions qui fleurissent sous l'influence américaine, déjà décrites dans une Amérique qui fait peur en 1995.

Vézère a écrit :
Ecarquillement d'yeux en face, bouche ouverte et silence stupéfait. Enfin, au bout de quelques secondes, le cri du cœur:
- "mais... à quoi ça sert?"
Quand un Américain demande ça, il faut lui renvoyer le colonel Trautman lol
C'est à 2'14, je n'ai pas trouvé la VF.
Si vous aviez étudié l'histoire de ce pays, vous auriez su qu'ils n'ont jamais été vaincus. Ils mourront plutôt que d'accepter une domination étrangère ! Nous avons eu notre Viet Nam, maintenant c'est votre tour !"
On n'écoute jamais assez le bon colonel :wink:

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Message Publié : 07 Déc 2021 10:54 
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Jean Froissart
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Pierma a écrit :
Karolvs a écrit :
Vézère a écrit :
L'Histoire ne sert qu'à nourrir la politique.
Ne sert-elle pas aussi un peu à nourrir notre envie de savoir ?
Certes oui. Si l'histoire ne servait qu'à nourrir la politique, elle en mourrait. Usée et abusée jusqu'à la trame. :rool:

Ma foi, on peut en discuter. Je viens de prendre quelques instants pour y penser et il me semble que c'est l'inverse.
Si l'on ne s'intéressait à l'histoire qu'à titre de curiosité intellectuelle, on se lasserait forcément. Je ne nie pas ce moteur: moi-même j'adorerais être petite souris pour savoir ce qu'avait Ravaillac en tête, voir Néandertal cohabiter avec sapiens, et être présent silencieux dans le bureau de De Gaulle aux heures de crise.
Mais cet aspect passionnel me paraît accessoire et passager par rapport au puissant rôle de l'Histoire en tant que:
-aide à la prise de décision,
- aide au jugement sur les hommes et les actions du temps présent,
- aide à la formation de nos enfants (au sens le plus large, j'inclus là-dedans la propagande politique)
- appel à la responsabilité et à l'honneur ("l'Histoire te jugera", "pense à ce que diront tes petits-enfants de toi" etc.)
Bref, bien des choses très politiques.

à moi, il me semble que si l'Histoire n'était qu'excitation cérébrale et plaisir d'apprendre, c'est à ce moment-là qu'elle risquerait de finir par lasser.

Mais j'imagine très volontiers que tout le monde ne le voit pas ainsi.
Les hobbys de l'un peuvent être des outils essentiels pour un deuxième, ou encore carrément la profession d'un troisième.

En tout cas, en voilà un post utile! :mrgreen: :mrgreen: je sacrifie à l'Agora du commerce ce matin. lol


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Message Publié : 07 Déc 2021 12:53 
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Perso, je trouve que la connaissance de l'histoire m'aide à comprendre pas mal de problèmes actuels. Et je me rends compte que peu de choses ont changées en 5000 ans de civilisation... Du coup, je me demande pourquoi "on" ne prends pas de meilleures décisions et pourquoi "on" retombe toujours dans les mêmes travers...

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Message Publié : 07 Déc 2021 18:06 
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Peut-être parce qu'une majorité de l'humanité est à la fois sotte et vaniteuse, chaque génération étant persuadée qu'elle fera mieux que la précédente qui n'avait rien compris en son temps, elle.

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Message Publié : 07 Déc 2021 19:14 
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Duc de Raguse a écrit :
Peut-être parce qu'une majorité de l'humanité est à la fois sotte et vaniteuse, chaque génération étant persuadée qu'elle fera mieux que la précédente qui n'avait rien compris en son temps, elle.


+1 ;)

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Message Publié : 07 Déc 2021 19:23 
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Duc de Raguse a écrit :
Peut-être parce qu'une majorité de l'humanité est à la fois sotte et vaniteuse, chaque génération étant persuadée qu'elle fera mieux que la précédente qui n'avait rien compris en son temps, elle.

Pas faux, chaque génération nouvelle, et c'est humain, se sent capable de réinventer la poudre. :rool:


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Message Publié : 12 Déc 2021 9:27 
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Sur la figure de Jeanne d'Arc et son "usage" politique, il y a un excellent livre d'un auteur allemand, Gerd Krumeich, "Jeanne d'Arc à travers l'histoire", dans lequel il raconte comment les époques et les régimes ont fait évoluer le mythe : de la brave paysanne, partie guerroyer pour son roi, avec l'aide du bras armé de Dieu, jusqu'à la paysanne manipulée, injustement abandonnée sur le bûcher par un roi qui n'avait que faire du petit peuple une fois le pouvoir retrouvé.

Duc de Raguse a écrit :
Cette histoire n'existe plus vraiment, en dehors de cas et de situations très précis, pour lesquels le pouvoir politique en place a demandé à certains historiens de construire un "roman national". C'est bien entendu le cas en France à partir de 1882, dans un contexte pluriel d'enracinement de la République, de lutte contre le clergé catholique et de revanche contre l'Allemagne. On peut percevoir des cas similaires dans d'autres pays, lorsque l'identité nationale s'est construite ces derniers siècles.

Tout à fait d'accord et ce "roman national" patriotique, né au XIXème siècle, prend un tournant après la Première Guerre mondiale, parce que la classe politique veut infuser des idées pacifistes au lendemain de la guerre. Paul Lapie, directeur de l'enseignement primaire de 1914 à 1925, en est un des premiers artisans.

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Message Publié : 12 Déc 2021 9:48 
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Jadis a écrit :
Tout à fait d'accord et ce "roman national" patriotique, né au XIXème siècle, prend un tournant après la Première Guerre mondiale, parce que la classe politique veut infuser des idées pacifistes au lendemain de la guerre. Paul Lapie, directeur de l'enseignement primaire de 1914 à 1925, en est un des premiers artisans.

Effectivement, ce qui me surprend encore plus aujourd'hui lorsque certains "historiens" critiquent le fait que ce "roman national" soit toujours d'actualité. On se demande s'ils ont ouvert un Lavisse de l'époque, ainsi que certaines recommandations avancées par un Buisson sur l'enseignement de l'histoire à cette date. Rien à voir avec ce que nous pouvons observer ces trente dernières années...

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Message Publié : 21 Déc 2021 13:54 
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Grégoire de Tours
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Narduccio a écrit :
Perso, je trouve que la connaissance de l'histoire m'aide à comprendre pas mal de problèmes actuels. Et je me rends compte que peu de choses ont changées en 5000 ans de civilisation... Du coup, je me demande pourquoi "on" ne prends pas de meilleures décisions et pourquoi "on" retombe toujours dans les mêmes travers...


Question intéressante et qui turlupine forcément toute personne s'intéressant un peu à l'Histoire.

Je me permet quelques élucubrations sur mon rapport personnel à cette question.

Personnellement, dans mon parcours, j'ai été frappé à quel point le passé est émaillé de brutalités insensées qu'on aurait même pas imaginé, nous qui vivons sur un petit ilots de paix (à la fois dans le temps et l'espace). J'en suis même venu à me demander comment avons-nous pu continuer à "faire comme si de rien était". Car oui, on commémore, mais derrière rien ne change. On continue même à prôner une certaine violence, voir une certaine brutalité, une radicalité en tous cas (le fait que ce fil ait commencé sur Zemmour n'est pas étranger à cette réflexion) qui conduit nécessairement vers une forme de violence ou une autre. Et globalement, on continue de promouvoir le même modèle civilisationnel qui a permis et favorisé ces brutalités insensées (en parlant de "modèle civilisationnel", je parle au sens très large).

L'Histoire me passionne depuis que je suis très jeune, mais je n'ai jamais vraiment mis le doigt sur ce qui m'attire tant là dedans. Elle ne m'a d'ailleurs pas rendu très heureux tant je suis stupéfait de ce à quoi ressemble l'humanité sans le vernis civilisationnel quotidien. C'est peut-être pour cela qu'elle me plait tant: elle propose de regarder la réalité en face, affranchie des propagandes, des mythes politiques, des positionnements idéologiques qui ne font que la grimer pour en faire un outil. Et ce n'est pas agréable. Ca n'est pas confortable.

Je pense que c'est pour cela que malgré le travail des historiens, l'histoire sera toujours brandie comme outil politique. On ne veut pas regarder la réalité en face. On a envie de voir le monde tel qu'on aimerait qu'il soit et pas tel qu'il est (même si la notion de "vérité" est aussi une construction culturelle que les sciences ont tendance à discuter largement). Distinguer connaissances et croyances demande à s'arracher (et j'emploie ce terme à dessein) intellectuellement à la vision du monde confortable que l'on s'est créée. Les hommes politiques eux ont intérêt à insister sur la vision qui sert le mieux leurs intérêts (sans compter qu'eux-mêmes, considérant l'énergie et la conviction qu'ils mettent dans leur combat, vont naturellement avoir du mal à nuancer leur vision et leurs scories politisées). Et ils trouveront toujours un auditoire en des masses de gens qui ont envie de croire... parce que le monde dans sa complexité insaisissable, nuancée, froide, est effrayant. Affronter le monde tel qu'il est, ça demande un courage permanent. On est exposé intellectuellement et moralement, on ne vit plus dans un petit cocon où l'on met ce qui nous dérange sous le tapis et où on a des outils clefs en main pour expliquer ce qu'on arrive plus à y mettre.

Je pense que notre culture nous a amené à avoir nombre de difficultés pour appréhender le monde dans toute sa complexité et toutes ses nuances. On a du mal à accepter qu'il n'y a pas une vérité, mais des vérités. Que le monde n'est pas blanc ou noir. Qu'il est si complexe qu'à notre échelle désirer en avoir une vision claire, radicale et définitive est une chimère, et même une erreur. Mais on continue, dans un monde extrêmement complexe, souvent brutal, et face au grand mystère de l'existence (qui est on le sait, finie, qui est extrêmement fragile et souvent, de notre point de vue "gâchée") à vouloir trouver un certain confort en entretenant certains biais intellectuels. Personnellement mon parcours d'amateur d'Histoire ne m'a pas procuré une grande joie de vivre. L'Histoire m'a profondément interrogé sur ce que l'on accepte comme la ou des vérités, sur la nature même de l'existence, sur l'humanité et sa place dans ce monde. Elle m'a fait douter, m'a déprimé, m'a plongé dans d'intenses réflexions assez anxiogènes...

Et bizarrement, pour rien au monde je ne reviendrais en arrière et n'abandonnerait cet intérêt pour l'Histoire. Et c'est peut-être précisément pour tous ces points que j'évoque. S'intéresser à l'Histoire amène, si on arrive à minimiser ses propres biais, à toucher du doigt, un tout petit peu, le monde tel qu'il est et pas tel qu'on aurait envie qu'il soit ou tel que notre culture nous a dit qu'il était.

C'est en m'intéressant à la science "dure" qu'est l'astrophysique (et la physique en général, à un humble niveau, n'étant pas matheux pour un sou) que j'ai pu mettre des mots sur ce qui me plaisait tant dans l'Histoire. La physique a aujourd'hui révélé des notions que l'on aurait jamais imaginé. Elle fait donc profondément réfléchir sur le fait que notre compréhension instinctive du monde, qui pourtant parait si évidente, est non seulement biaisée, mais souvent nous fait croire des choses fausses. Il faut réellement se "vriller le cerveau" à des moments pour passer outre cette perception instinctive (mais largement influencée par notre culture et notre éducation) du monde et comprendre des concepts et des notions (ce qu'est vraiment la relativité du temps et de l'espace par exemple en physique... ce qu'implique un absolu de vitesse, la notion d'univers observable qui correspond à un "espace-temps"... c'est tout bonnement renversant) qui vont totalement à l'encontre de notre instinct, et qui sont infiniment plus stupéfiants et inattendus (parfois effrayants) que ce que notre imagination et nos convictions nous inspirent.

Les sciences permettent d'entrevoir, par une toute petite fenêtre, une infime partie du monde dans toute sa complexité, tel qu'il est. Je pense personnellement que rien que pour ça, elles sont infiniment précieuses et utiles. L'Histoire nous donne une fenêtre sur l'humanité elle-même... car l'humanité dans son passé et l'humanité tout court c'est la même chose: du passage du temps découle la nature d'une chose. Cette même chose dans un temps figé n'est rien. Regarder dans le passé, c'est regarder l'humanité elle-même, ce qu'elle est, son fonctionnement, sa "nature" (avec d'énormes guillemets, il faudrait expliciter ce que j'entend par là). En cela, elle est irremplaçable et il est totalement incongru de discuter de son utilité (et je plains cet "homme d'affaire brillant" pour avoir eu cette réaction).

Pas plus qu'il ne faut confondre science et technologies (applications concrètes de la science par lesquelles certains lui trouvent une "utilité" (qui consiste bien souvent à remplir leurs proches)), il ne faut confondre Histoire et récupérations politiques de l'Histoire. C'est en essayant de fabriquer des outils qu'on a inventé la science. Et c'est en fabriquant de la politique qu'on a inventé l'Histoire (pour légitimer le concept d'Etat nation, la légitimité d'un souverain (nombre de travaux "historiques" anciens sont des chroniques commandées par des puissants pour légitimer leur pouvoir. L'Histoire est né de ce besoin d'armes politiques pour légitimer un discours et un pouvoir quand ils n'allaient plus de soit). Mais ces disciplines sont justement l'aboutissement de toute une démarche intellectuelle qui s'est affranchie de ce rapport utilitaire aux choses.

Reste le problème de l'effort et du courage qu'il faut pour saisir ce qu'est l'Histoire (et les sciences en général) qui n'a jamais été et se sera jamais une collection de dates, d'évènements ou de noms de personnages (l'histoire n'est pas le passé, elle est l'étude du passé), mais qui est une proposition: celle de regarder l'humanité en face, sans biais idéologiques ou croyances, avec méthodologie, en remplaçant la radicalité par la nuance, ce qui par définition n'aide jamais à légitimer une cause politique.

Et je pense que si on retombe toujours dans les mêmes travers c'est qu'on ne saisit que très mal cette portée des sciences dans notre rapport au monde. A la clef, il y a une émancipation possible de l'humanité de nombre de ses travers, de la sortir de sa radicalité culturelle et idéologique, de lui apporter la nuance, la remise en question et la pondération nécessaire pour éviter de commettre encore et à nouveau les mêmes erreurs. Le jour où la majorité des gens comprendra ce qu'est l'Histoire, ce que sont les sciences, et ce qu'elles peuvent apporter intellectuellement (et donc à notre rapport au monde, à l'autre, à notre organisation sociale, politique et économique... il y a peut-être la dedans une forme de transcendance... revenir à un vocabulaire religieux à ce stade ne manque par de sel, mais je trouve que c'est intéressant)... ce sera peut-être la fin de l'Histoire.

Mais c'est pas demain la veille comme le montre effectivement le fonctionnement de notre système politique actuel.


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