Jerôme a écrit :
Quelques réactions rapides
1981 fut d'abord un contre temps conjoncturel : lancer une relance keynésienne quand tous vos partenaires conduisent une politique de rigueur est absurde.
Ce fut aussi l'occasion de ruiner tous les efforts effectués depuis 1976...et donc des marches plus dures à remonter après 1983 ...par exemple le déficit budgétaire n'est jamais revenu sous la barre des 3% du PIB...
Sur le plan éthique la priorité donnée aux loisirs même si les 35heures ne furent pas mis en œuvre fut aussi très déstabilisante...
Enfin cet "enthousiasme " a très vite abouti à un changement de cap radical...donnant une satisfaction tardive à Barre et Giscard (et Rocard) et désorientant ceux qui avaient cru au changement !
Qu est il reste de 81? La décentralisation ?
L’expérience et son "échec" avec le "tournant de la rigueur" de 1983 ont été traumatisant pour les socialistes qui se sont convertis ou soumis (selon les points de vue ) aux "règles" du capitalisme ... Et jusqu'à aujourd'hui, la vulgate dite libérale ou "néo-libérale" énoncée par Mme Thatcher avec son "there's no alternative" sert de ligne de conduite aux gouvernements successifs (avec un certain bémol pour l’expérience "gauche plurielle" de 1997-2002...
On ne peut reprocher à l'union de la gauche d'appliquer son programme : lors du Conseil des ministres du 3 juin 1981, les socialistes mettent en place certaines mesures de revalorisation sociale en faveur des plus défavorisés : augmentation du Smic ; relèvement des allocations familiales ; relèvement de l’allocation de logement et plan de construction de logements sociaux ; majoration du minimum vieillesse ; majoration de l’allocation aux adultes handicapés ; retraite de base des agriculteurs revalorisée de 10 %. Ce sont plusieurs millions de personnes qui bénéficient de ces mesures dont les effets se font sentir immédiatement. Quinze jours plus tard, elles sont complétées par un ensemble de dispositifs favorables à l’emploi . Le temps de travail est réduit de 40 à 39 heures hebdomadaires – en attendant une grande négociation sur les 35 heures qui n’a jamais vu le jour. La cinquième semaine de congés payés est adoptée, ainsi que le principe du départ à la retraite à soixante ans qu’accompagne un vaste programme de préretraites et, à partir de 1983, un effort important sur la formation professionnelle. Les lois Auroux, au second semestre 1982,complètent ce dispositif.
Avec les nationalisations de 7 grands groupes industriels plus d'importantes prises de participations dans des secteurs clés, l’État restructure complètement les grandes entreprises, les recapitalise, les modernise. L’ensemble du secteur public représente alors près de 30 % des investissements et 20 % de la valeur ajoutée française. À cela s’ajoute une vaste politique industrielle où différents plans se succèdent avec plus ou moins de réussite : plan informatique, plan câble, plan machine-outil, plan acier, etc. Là encore, il s’agit de moderniser le tissu industriel français. Cette politique ne fut nullement interrompue en 1983.
A cela s'ajoutent la création de 55 000 postes dans la fonction publique;mise en œuvre de dispositifs d’aide à l’embauche ; hausse des budgets des ministères de la Recherche, de la Culture, de l’Éducation, avec, en regard, des politiques interventionnistes nouvelles qui se développent. Une hausse des dépenses budgétaires de près de 20 % est prévue
pour 1982. Pour financer ces décisions, un nouvel impôt sur les plus riches est créé en 1982 – l’impôt sur les grandes fortunes, pour un rendement de 3,6 milliards de Francs –, on augmente l’impôt sur les entreprises – pour 3,2 milliards – et sur les produits pétroliers – 0,9 milliard. Toutefois, l’essentiel de ces dispositifs est financé par une hausse de la dette publique dont la charge passe pour 1982 de 19 à 56 milliards de francs, avec un déficit s’établissant à 96 milliards de francs, soit 2,6 % du PIB, ce taux demeurant toutefois l’un des plus bas de l’OCDE...
La relance de 1981 fut à bien des égards une « relance naine »selon l'expression de Jean-Charles Asselain, et nullement la gabegie que de nombreux hommes ou commentateurs politiques de droite ont voulu dénoncer. À cet égard, il faut rappeler que les mesures prises après mai 1981 ont injecté entre 25 et 27 milliards de francs supplémentaires, soit environ 1 % du PIB. Pour mesurer l’ampleur de l’effort ainsi réalisé, il faut le comparer avec la relance de 1975 menée par le gouvernement de Jacques Chirac. Celle-ci, dans un tout autre contexte, injecte près de 60 milliards de francs dans l’économie, soit un peu plus de 2 % du PIB. La hausse des dépenses publiques en 1981 a donc certes été réelle, mais mesurée. On ajoutera que, dès septembre 1981, dans le projet de loi budgétaire pour 1982, un « gel » éventuel de plusieurs milliards de francs était prévu afin d’éviter le dérapage des comptes publics. Or, ces dépenses n’ont jamais été réalisées.
Mais depuis mai 1981 et la victoire de la gauche, le franc français est régulièrement attaqué sur les marchés monétaires. Ce jeu contre la monnaie nationale entraîne des interventions régulières de la Banque de France afin de maintenir le taux de change du franc, notamment par rapport au deutsche mark, l’une des monnaies pivots du Système monétaire européen (SME) dans lequel la France est engagée. En octobre 1981 et juin 1982, les autorités françaises ont déjà dévalué à deux reprises le franc dans le cadre du SME, c’est-à-dire dans le contexte d’un réajustement monétaire négocié avec les grands partenaires européens, la chancellerie allemande en tête.