Que l'auteur de la discussion veuille bien me pardonner, mais je ne peux m'empêcher de poursuivre cette petite digression sur Chaban-Delmas et son éviction de 1972 - qui anticipe l'abandon de sa candidature en 1974 par certaines éminences grises de l'UDR et de certains "jeunes" élus de l'UDR - car ce point m'a véritablement questionné.
Visiblement, deux aspects de sa personne et de sa manière de gouverner dérangeaient grandement le duo Juillet-Garaud, principaux conseillers du président Pompidou.
L'historien Jérôme Pozzi revient sur ces différends à l'occasion de la candidature à la présidence de le la République annoncée par Chaban à la mort de Pompidou en 1974 et le fait que Chaban soit lâché par une partie de l'UDR :
Citer :
"Pourtant, depuis l’annonce de cette candidature, un trio composé de Jacques Chirac, Marie-France Garaud et Pierre Juillet s’agite en coulisses pour pousser Messmer à être le candidat de la famille gaulliste. Cette entreprise repose sur un certain nombre de considérations, à commencer par un antichabanisme exacerbé des deux anciens conseillers de Pompidou, et ce depuis l’époque où il était Premier ministre. La « nouvelle société » était alors perçue comme une expression à la « portée incertaine et au contenu malléable », émanant des deux principaux collaborateurs de Chaban-Delmas, à savoir Jacques Delors et Simon Nora. Celle-ci était donc marquée par le sceau de l’« a-gaullisme », ne serait-ce que par l’itinéraire politique de ses deux parrains. Dans ces conditions, Marie-France Garaud et Pierre Juillet gardent en mémoire le passage de Chaban-Delmas à Matignon comme une période de flottement et de tension latente entre l’Elysée et Matignon, au cours de laquelle ils n’avaient cessé de l’attaquer, notamment par l’intermédiaire de René Tomasini, alors secrétaire général de l’UDR, afin de le ramener à une stricte orthodoxie gaulliste".
L'essence même de cette politique de "nouvelle société" - que beaucoup de témoins ont parfois jugée comme un simple "coup de com", plus qu'autre chose - pose un grand problème aux deux conseillers spéciaux de Pompidou : elle se fonde sur l'ouverture en direction des chrétiens et sociaux-démocrates.
Chaban, alors premier ministre, se fait attaquer sévèrement par l'entourage direct du président de la République.
Il est pourtant difficile de savoir dans quelle mesure Pompidou a jugé cette politique et si les influences du duo ont été déterminantes dans sa décision de le remercier ou non.
Citer :
"En outre, ce rejet de la candidature du « duc d’Aquitaine » repose sur une différence fondamentale dans la lecture et la pratique des institutions de la Ve République. Celles-ci sont considérées par nos duettistes comme trop parlementaires, et l’accession éventuelle de Chaban-Delmas à l’Elysée constituerait une véritable rupture vis-à-vis du legs institutionnel gaullien. En d’autres termes, l’ancien résistant et Compagnon de la Libération Chaban, trop influencé par sa participation à la vie parlementaire sous la IVe République, est accusé de ne pas être assez gaulliste et de vouloir sans cesse composer avec le Parlement.
D’autre part, l’ère des barons est pour eux révolue ; il est temps que la génération issue du sérail de Georges Pompidou, dont Chirac est le fer de lance, accède aux plus hautes responsabilités de l’État, comme au sein de l’UDR d’ailleurs. En effet, ils sont persuadés que l’accession de Chaban-Delmas à la tête de l’État signifierait pour eux une retraite politique anticipée et un retour des barons du gaullisme sur le devant de la scène politique."
L'Appel des 43 et le mouvement gaulliste : manœuvre politique, relève générationnelle et fronde des « godillots » p.110
Comme vous l'expliquiez bien plus haut, Liber censualis, la pratique de gouverner de Chaban ressemblait bien à une volonté de restaurer des pratiques parlementaires éteintes, héritières de la IIIème et de la IVème République.
Là encore, le duo Juillet-Garaud se pose en gardien du "temple gaulliste" (du moins, tel qu'il le comprend, puisque De Gaulle est mort depuis deux ans).
Enfin, pour eux Chaban serait l'homme du passé, tout comme d'autres "barons", qu'il est temps de remplacer par une nouvelle génération, plus jeune, qui n'a pas connu l'expérience de la guerre et/ou de la résistance.