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Message Publié : 05 Nov 2022 16:13 
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Philippe de Commines
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L'occasion de revenir sur la postérité de ce président, généralement perçu comme un idéaliste généreux qui a tenté d'offrir la paix perpétuelle au monde, mais qu'une historiographie récente au contraire présente comme un évangéliste entiché d'exceptionnalité américaine, convaincu de la destinée manifeste de son pays, racialiste - sinon raciste - en diable et attentif à ce que les règles du jeu diplomatique et commercial soient les plus favorables au déploiement de la puissance américaine : affaissement des grands empires européens au nom du droit des peuples (qui apparaît plus justifié par un différentialisme de nature ethniciste que par une générosité kantienne), ouverture des marchés au nom du free trade (le libre-échange) et de l'open door (la doctrine de la porte ouverte), etc. Wilson est moins l'héritier d'Emmanuel Kant que d'Edmund Burke, ce contre-révolutionnaire anglais dont il était un attentif lecteur et un partisan convaincu...

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Message Publié : 24 Mars 2023 16:09 
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Personnalité en effet méconnue, aux nombreux visages, fils d'un pasteur, professeur d'économie, engagé en politique dès 1896 (dans la campagne du démocrate John Palmer), dont parle comme un potentiel vice-président dès la primaire démocrate de 1908, devenu gouverneur du New Jersey en 1911 puis président en 1912.

En fait, sa carrière politique est assez "fulgurante" au sens où il bondit de professeur à gouverneur puis président dans un intervalle de trois ans.

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Message Publié : 25 Mars 2023 11:10 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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J'ignorais tous ces aspects du personnage...
En tout cas ses brillantes idées sont sans doute partiellement à l'origine de la Seconde Guerre mondiale...


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Message Publié : 25 Mars 2023 13:49 
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Jerôme a écrit :
J'ignorais tous ces aspects du personnage...
En tout cas ses brillantes idées sont sans doute partiellement à l'origine de la Seconde Guerre mondiale...

AU 11 novembre 1918 il y avait en France 1 million de soldats américains en ligne et 1 autre million en formation aux méthodes de l'armée française. Sans l'opposition de Wilson, les alliés avec une telle supériorité numérique auraient balayé l'armée allemande, et il n'y aurait pas eu de "légende du coup de poignard dans le dos".
Mais voila, Wilson ne voulait pas humilier le peuple allemand et pensait que les vertus d'une république les transformeraient en peuple pacifique. ("Contagion de la démocratie", on a revu cette ânerie depuis...)

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Message Publié : 25 Mars 2023 14:59 
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Pierma a écrit :
Sans l'opposition de Wilson, les alliés avec une telle supériorité numérique auraient balayé l'armée allemande

Même si Wilson devint un des interlocuteurs principaux pour trouver un moyen de faire la paix, pratiquement par "hasard" - ce sont les Allemands qui se sont adressés à lui, pensant qu'il serait plus clément que les franco-britanniques -, il ne me semble pas qu'il ait pu dicter quoique ce soit aux alliés. Ce sont les franco-britanniques qui politiquement et militairement mènent les opérations, pas les Américains.
D'ailleurs l'"offensive des Cent-Jours" fut avant tout mené par les franco-britanniques (et les Canadiens et Australiens), les Américains n'eurent qu'un rôle secondaire.
Il me semble - à vérifier - que Foch avait planifié une offensive pour janvier 1919, mais comme les Allemands se pressaient pour négocier dans des conditions jugées favorables par l'Entente au début du mois de novembre (nous étions au 52ème mois du conflit), Clemenceau estima qu'on pouvait en rester là.

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Message Publié : 25 Mars 2023 22:23 
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Duc de Raguse a écrit :
Clemenceau estima qu'on pouvait en rester là.

Et Poincaré, plus lucide, déclara "qu'on coupait les jarrets à nos troupes." Clemenceau exigea qu'il retire cette phrase.

Il me semble bien avoir lu que les franco-britanniques n'imaginaient en aucun cas entrer en Allemagne sans la participation des troupes américaines, et que Wilson s'y refusait absolument. :?:

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Message Publié : 25 Mars 2023 23:54 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Je ne vois pas quelles brillantes idées de Wilson sont partiellement à l'origine de la Seconde Guerre mondiale.

Il est difficile de dire quelles auraient été les conséquences d’une invasion de l’Allemagne en 1918. Ce serait se lancer dans une uchronie. Quel en aurait été le coût humain, matériel et financier ? Combien de temps aurait-il fallu rester occuper l’Allemagne ? Aurait-il été réaliste de la démembrer pour revenir au découpage existant avant 1871 ? Cela aurait-il étouffé dans l’oeuf tout entreprise de revanche et la reconstitution d’une grande Allemagne ?

Je pense que les erreurs décisives ont été commises plus tard, notamment en s’abstenant de réagir sérieusement à la remilitarisation de la Rhénanie en 1936 où même en 1935 lors la création de la Luftwaffe.

Il me semble vite dit que « Clemenceau estima qu'on pouvait en rester là mais Poincaré plus lucide, déclara qu'on coupait les jarrets à nos troupes ». Si encore c’eût été Briand … mais Clemenceau n’était pas un mou. Déjà, Wilson ne voulait pas y aller. Mais ce n’était pas le plus décisif. Quelle aurait été la position de la classe politique et, surtout, celle de l’opinion publique ? N’aurait-ce pas été déclencher de profonds troubles sociaux ?

L’avenir n’était pas écrit. Les nazis n’existaient pas en 1918. Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que les anciens alliés aurait dû manifester de la fermeté et de la détermination.


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Message Publié : 26 Mars 2023 0:32 
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Pierma a écrit :
Il me semble bien avoir lu que les franco-britanniques n'imaginaient en aucun cas entrer en Allemagne sans la participation des troupes américaines, et que Wilson s'y refusait absolument.

Si quelqu'un dispose d'une source à ce sujet, je suis preneur. :wink:

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Message Publié : 26 Mars 2023 9:53 
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En cherchant ceci, j'ai, comme bien souvent, trouvé cela - sans parvenir à obtenir des réponses franches à mes interrogations.
Nous nous éloignons du contexte d'élection de Wilson en 1912 (mais pas trop de sa réélection de 1916), mais quelques éléments peuvent tenter de reconstituer la place et le poids de Wilson à la fin du premier conflit mondial sur la scène internationale : véritable "arbitre de la paix" et père du traité de Versailles, ou bien "dindon de la farce", voire seulement un personnage bien trop velléitaire, qui parlait beaucoup pour faire finalement très peu ?
Les avis reproduits ici sont très tranchés :
- Les diplomates français semblent lui reconnaitre un rôle incontestable dans la paternité des négociations pour la pais - tout en reconnaissant que les Allemands l'avaient sollicité pour tenir ce rôle, à la grande colère franco-britannique -, même si ce sont les militaires français qui avaient la haute main à l'automne 1918 (certes, sans parvenir au niveau allemand, où Guillaume II n'était plus qu'un roi nu, le pouvoir appartenant véritablement à Ludendorff et Hindenbourg).
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/action-scientifique-et-culturelle/expositions/expositions-dossiers-en-ligne/l-armistice-du-11-novembre-1918/article/archives-diplomatiques-l-armistice-du-11-novembre-1918-vu-du-quai-d-orsay
- L'adjoint de Foch, un certain Maxime Weygand, livre dans ses souvenirs un contexte allemand si grave que les plénipotentiaires allemands n'ont pas longtemps tergiversé. Wilson semble très loin de toutes ces tractations, réalisées entre Européens.
https://www.historia.fr/historia-vintage/souvenirs-sur-le-11-novembre-1918-par-le-g%C3%A9n%C3%A9ral-weygand-de-l%E2%80%99acad%C3%A9mie-fran%C3%A7aise
- L'ancien conseiller de Wilson, Bullitt, se livre avec Freud à un drôle de travail de psychologique sur Wilson : celui-ci est représenté comme un idéaliste, rêveur (incapable d'ailleurs de s'appliquer à lui-même l'essentiel de ses préceptes) et beau parleur, mais totalement dépassé par les négociations de la paix s'ouvrant à Versailles. A tel point que les Français obtiennent à peu près ce qu'ils veulent.
J'ai un petit doute quant à l'impartialité de cet ouvrage, écrit bien après les faits et la mort de Wilson par des personnes qui ont vu et vécu l'ascension d'un certain A. Hitler.
https://www.cairn.info/revue-champ-lacanien-2005-1-page-133.htm

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Message Publié : 28 Mars 2023 13:47 
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Philippe de Commines
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Duc de Raguse a écrit :
En cherchant ceci, j'ai, comme bien souvent, trouvé cela - sans parvenir à obtenir des réponses franches à mes interrogations.
Nous nous éloignons du contexte d'élection de Wilson en 1912 (mais pas trop de sa réélection de 1916), mais quelques éléments peuvent tenter de reconstituer la place et le poids de Wilson à la fin du premier conflit mondial sur la scène internationale : véritable "arbitre de la paix" et père du traité de Versailles, ou bien "dindon de la farce", voire seulement un personnage bien trop velléitaire, qui parlait beaucoup pour faire finalement très peu ?
Les avis reproduits ici sont très tranchés :
- Les diplomates français semblent lui reconnaitre un rôle incontestable dans la paternité des négociations pour la pais - tout en reconnaissant que les Allemands l'avaient sollicité pour tenir ce rôle, à la grande colère franco-britannique -, même si ce sont les militaires français qui avaient la haute main à l'automne 1918 (certes, sans parvenir au niveau allemand, où Guillaume II n'était plus qu'un roi nu, le pouvoir appartenant véritablement à Ludendorff et Hindenbourg).
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/action-scientifique-et-culturelle/expositions/expositions-dossiers-en-ligne/l-armistice-du-11-novembre-1918/article/archives-diplomatiques-l-armistice-du-11-novembre-1918-vu-du-quai-d-orsay
- L'adjoint de Foch, un certain Maxime Weygand, livre dans ses souvenirs un contexte allemand si grave que les plénipotentiaires allemands n'ont pas longtemps tergiversé. Wilson semble très loin de toutes ces tractations, réalisées entre Européens.
https://www.historia.fr/historia-vintage/souvenirs-sur-le-11-novembre-1918-par-le-g%C3%A9n%C3%A9ral-weygand-de-l%E2%80%99acad%C3%A9mie-fran%C3%A7aise
- L'ancien conseiller de Wilson, Bullitt, se livre avec Freud à un drôle de travail de psychologique sur Wilson : celui-ci est représenté comme un idéaliste, rêveur (incapable d'ailleurs de s'appliquer à lui-même l'essentiel de ses préceptes) et beau parleur, mais totalement dépassé par les négociations de la paix s'ouvrant à Versailles. A tel point que les Français obtiennent à peu près ce qu'ils veulent.
J'ai un petit doute quant à l'impartialité de cet ouvrage, écrit bien après les faits et la mort de Wilson par des personnes qui ont vu et vécu l'ascension d'un certain A. Hitler.
https://www.cairn.info/revue-champ-lacanien-2005-1-page-133.htm



Un tout autre avis est développé par Adam Tooze dans son livre "Le déluge, 1916-1931", à savoir que Wilson est loin d'être le "multilatéraliste" béat, l'idéaliste généreux et naïf qu'on a souvent décrit. Je renvoie à mon propos liminaire à ce fil.
Pour Tooze, l'armistice est une véritable "mise en scène du scénario wilsonien". Certes les allemands ont beau jeu de faire appel à lui quand leurs armées sont en déroute et qu'ils veulent assurer la survie de l'Allemagne en sollicitant l'arbitrage américain sur la base du multilatéralisme, de la paix sans victoire contenue dans les 14 points. Néanmoins, ils ne sont pas dupes (c'est le cas de Max de Bade ou des leaders du SPD) que ce faisant, Wilson pourra appliquer son programme réel qui est d'instaurer un leadership économique américain sur l'Europe et une "pax americana" mondiale. Et les alliés voient rouge quand Wilson se pique de répondre unilatéralement aux allemands, leur faisant miroiter qu'une certaine démocratisation (départ du Kaiser) suffirait à leur obtenir une paix pas trop désavantageuse... Le président américain, qui au fond croit peu en la démocratisation de l'Allemagne, se sert des négociations avec celle ci pour faire pression sur les vainqueurs.
Wilson renvoyait dos à dos les impérialismes allemand et anglais et se déclarait prêt à forcer et contraindre ses alliés à accepter ses conditions de paix. Selon Tooze, une des raisons qui ont poussé Clemenceau et Lloyd George a se résoudre à l'armistice est qu'ils ne voulaient pas voir davantage les américains s'impliquer dans la guerre et la victoire finale. Néanmoins,par le truchement de son émissaire, le colonel House, Wilson a bien imposé aux alliés d'établir un armistice sur la base des 14 points.

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Message Publié : 28 Mars 2023 15:42 
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Intéressant, merci. Après, c'est le point de vue américain qui est présenté (tout comme deux des trois sources que je citais étaient françaises...), il faudrait peut-être le nuancer.
Cela dit, avant de répondre de manière plus détaillée, je vais me diriger à nouveau vers l'Armistice de Rethondes de Renouvin.

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Message Publié : 02 Avr 2023 19:47 
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Liber censualis a écrit :
Pour Tooze, l'armistice est une véritable "mise en scène du scénario wilsonien". Certes les allemands ont beau jeu de faire appel à lui quand leurs armées sont en déroute et qu'ils veulent assurer la survie de l'Allemagne en sollicitant l'arbitrage américain sur la base du multilatéralisme, de la paix sans victoire contenue dans les 14 points. Néanmoins, ils ne sont pas dupes (c'est le cas de Max de Bade ou des leaders du SPD) que ce faisant, Wilson pourra appliquer son programme réel qui est d'instaurer un leadership économique américain sur l'Europe et une "pax americana" mondiale.

J'ai fait un tour du côté de chez Renouvin - au passage, son ouvrage est excellent - et il ne dit pas autre chose, même si en demeurant très factuel, la chronologie des événements peut laisser penser que les Allemands se sont laissés berner lorsqu'ils font appel à lui au début du mois d'octobre, suite à la mise en scène théâtrale réalisée par Ludendorff à la fin du mois de septembre, expliquant qu'il fallait négocier un armistice très rapidement.
En effet, les premières notes échangées entre Wilson - qui tient totalement à l'écart ses alliés de la discussion - et le gouvernement de Max de Bade, laissent entrevoir une sortie honorable pour les Allemands sur la base des 14 points, qui pouvaient être interprétés de différentes manières. Mais à la fin du mois, Wilson, en clarifiant les conditions du futur armistice - tout en précisant que ce sera aux militaires de le rédiger sous la houlette de Foch (entre temps Wilson avait inclus les principaux chefs des gouvernements de l'Entente à l'opération) -, est bien moins bienveillant à l'encontre de l'Allemagne qu'il pouvait y paraitre au départ. Wilson souhaite tout simplement que les Allemands déposent toutes leurs armes - pour qu'ils ne puissent pas reprendre le combat (Ludendorff et les membres du cabinet de Bade pensaient que cela pourrait constituer un levier dans le contexte d'une paix jugée infamante) et qu'ils devaient se retirer de toutes les régions qu'ils occupaient.
Les Allemands sont sidérés, ils tentent de biaiser, de gagner du temps, mais à la fin du mois d'octobre et au début de novembre les conditions ont changé : la révolution couve et il leur est impossible de la mâter. Wilson tarde à répondre et devant de le risque de devoir capituler avant que l'armistice ne soit signée, certains militaires allemands demandent même qu'on négocie directement avec Foch et plus avec Wilson, qui leur parait être finalement un traitre, tant les conditions posées sont proches des franco-anglais.
En somme, le président américain ressemble davantage à un "as de pique" dans le camp de l'Entente que les Allemands ont pioché malencontreusement. Car le "scénario wilsonien" ressemble pratiquement au franco-anglais.
Le 11 novembre Foch déclara qu'il avait obtenu ce qu'il souhaitait : des Allemands à genoux, dans l'incapacité de pouvoir reprendre les armes, avec des garanties satisfaisantes pour la paix qui allait se négocier. Ni Clemenceau, ni Loyd George, ni les militaires français n'ont eu l'impression que Wilson leur dictait la future paix, bien au contraire.
Par contre, ils ont eu pendant toute la première quinzaine du mois d'octobre une crainte importante (ce que les Allemands pensaient être leur dernière chance), au même titre que le parti républicain : que Wilson ne fasse une paix seul - un sénateur républicain avait alors menacé Wilson de lancer une procédure d'impeachment, appuyé en sous-main par T. Roosevelt -, bien trop clémente, avec l'Allemagne.
Les notes de Wilson de la fin octobre et du début novembre rassurèrent ses alliés (surtout les Français, avec la mention de l'Alsace-Lorraine qui n'apparaissait pas au départ à la grande joie des Allemands), d'autant plus qu'il se retirait quelque peu de la partie, laissant les militaires faire.
En somme, le "scénario wilsonien", qui est avant tout déclenché par les Allemands - qui s'en mangeront les doigts ensuite... -, semble au départ différent de celui des franco-britanniques, pour finalement s'approcher de celui-ci et des principales vues des officiers généraux des armées occidentales dirigées par Foch.

Pierma a écrit :
Il me semble bien avoir lu que les franco-britanniques n'imaginaient en aucun cas entrer en Allemagne sans la participation des troupes américaines, et que Wilson s'y refusait absolument.

Là aussi, j'ai trouvé une foule d'informations à ce sujet dans l'ouvrage de Renouvin.
En réalité aucun officier général de l'Entente ne pensait qu'il était possible de poursuivre le conflit et que l'armistice du 11 novembre était largement satisfaisant. Ils avaient fort bien compris que les troupes ne souhaitaient plus consentir à un effort supplémentaire de cette envergure après 51 mois de combats, qui plus est, lorsque la question s'est posée au début du mois de novembre, la révolution avait commencé en Allemagne et leur peur d'un bolchevisme triomphant et risquant de se répandre sur toute l'Europe n'était pas une fiction.
Cela dit, des échanges ont eu lieu entre Foch, Pétain, Haig, Pershing et Biss (et le colonel House pas trop loin...) à ce sujet dans l'optique où les Allemands rejetteraient les conditions de cet armistice - ils ne pouvaient le faire au regard de la situation militaire et, surtout intérieure, dans les villes allemands.
Les Français semblaient être disposés à entrer en Allemagne, jusqu'à Berlin s'il le fallait (l'offensive sur Metz était déjà prête) et Pétain, souvent présenté comme un adepte de l'option défensive, était disposé à mener une opération d'envergure, quitte à perdre de nombreux hommes. Les Anglais n'y étaient pas du tout favorables et, à ma grande surprise, j'ai pu constater que c'était les deux généraux américains qui étaient prêts à marcher le plus rapidement sur Berlin, sans se soucier des conséquences (visiblement Pershing n'aimait par Wilson et suite aux élections législatives qui avaient vu la défaite de Wilson, il savait que le "roi était nu").
Mais, comme on le sait bien, les conditions de l'armistice du 11 novembre étaient largement suffisantes pour Foch et ses compagnons, ils n'ont pas eu besoin de recourir à cette extrémité.

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Message Publié : 03 Avr 2023 19:12 
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Merci Duc de Raguse pour cet exposé très complet et intéressant.

Foch ayant finalement toutes les cartes en main et obtenant des condition qui lui conviennent, avec l'accord des politiques, j'entends bien. (Et Pierre Miquel rapporte lui aussi que les Poilus n'en pouvaient plus. Ils obéissaient par discipline et parce qu'ils constataient qu'on avançait partout, qu'on allait gagner la guerre, mais ils étaient à bout.)

L'erreur de tous les décideurs alliés de l'acte final est sur la peur du bolchevisme, qui les a poussés à aller trop vite. Parce qu'en réalité, le véritable phénomène décisif est que l'armée allemande, en dehors des divisions d'élite, était en train de se disloquer. Les désertions se multipliaient, les landsers inquiets des bruits de révolution voulaient rentrer veiller à ce qu'on ne collectivise pas leur champs, et bien sûr le moral de cette armée, battue partout, s'était effondré.

Je pense qu'il y a eu un défaut de renseignement côté allié. Leur vision de "l'autre côté de la colline" était faussée. (Après je ne sais pas dire si les Alliés, à ce jeu, étaient si près de Berlin que ça, mais je je me demande si l'angélisme wilsonnien - la république en Allemagne suppléera à tout - et la lassitude des deux armées anglaises et françaises a peut-être empêché un scénario plus agressif et pas si coûteux que ça.)

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Message Publié : 03 Avr 2023 20:02 
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Pierma a écrit :
L'erreur de tous les décideurs alliés de l'acte final est sur la peur du bolchevisme, qui les a poussés à aller trop vite. Parce qu'en réalité, le véritable phénomène décisif est que l'armée allemande, en dehors des divisions d'élite, était en train de se disloquer.

C'est justement l'empressement de Ludendorff (puis de Groener) qui donne ce tempo aux alliés. Les militaires allemands avaient une telle peur d'une capitulation militaire, ce qui aurait été un déshonneur pour eux, qu'ils ont accéléré le rythme fin septembre-début octobre. C'est pour cela qu'ils poussent le gouvernement impérial de Max de Bade à se dépêcher d'obtenir un armistice avant qu'il ne soit trop tard. En somme le rythme de cette guerre aura toujours été réglé par Berlin (ou Spa), du début à le fin...
Après, personne du côté de l'Entente - les soldats les premiers - n'a regretté que cela se soit terminé plus rapidement.
Cela dit, l'armée allemande tiendra relativement bien jusqu'au 11 novembre et cela malgré la révolution qui avait commencé à l'intérieur du pays.
Ce qui est certain, c'est que la légende du "coup de poignard dans le dos" ne tient pas une seule seconde : c'est le haut commandement allemand qui est responsable de la panique politique d'octobre, cette dernière engendrant les mouvements révolutionnaires et non l'inverse (comme Hindenburg a pu le répéter faussement par la suite).

Pierma a écrit :
Leur vision de "l'autre côté de la colline" était faussée.

Effectivement, ils ne connaissaient pas la situation exacte de l'armée allemande (après, Ludendorff a aussi eu des propos contradictoires entre fin septembre et fin octobre), encore moins de ce qu'il se passait en Russie.

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Message Publié : 04 Avr 2023 10:41 
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Duc de Raguse a écrit :
J'ai fait un tour du côté de chez Renouvin - au passage, son ouvrage est excellent - et il ne dit pas autre chose, même si en demeurant très factuel, la chronologie des événements peut laisser penser que les Allemands se sont laissés berner lorsqu'ils font appel à lui au début du mois d'octobre, suite à la mise en scène théâtrale réalisée par Ludendorff à la fin du mois de septembre, expliquant qu'il fallait négocier un armistice très rapidement.
En effet, les premières notes échangées entre Wilson - qui tient totalement à l'écart ses alliés de la discussion - et le gouvernement de Max de Bade, laissent entrevoir une sortie honorable pour les Allemands sur la base des 14 points, qui pouvaient être interprétés de différentes manières. Mais à la fin du mois, Wilson, en clarifiant les conditions du futur armistice - tout en précisant que ce sera aux militaires de le rédiger sous la houlette de Foch (entre temps Wilson avait inclus les principaux chefs des gouvernements de l'Entente à l'opération) -, est bien moins bienveillant à l'encontre de l'Allemagne qu'il pouvait y paraitre au départ. Wilson souhaite tout simplement que les Allemands déposent toutes leurs armes - pour qu'ils ne puissent pas reprendre le combat (Ludendorff et les membres du cabinet de Bade pensaient que cela pourrait constituer un levier dans le contexte d'une paix jugée infamante) et qu'ils devaient se retirer de toutes les régions qu'ils occupaient.
Les Allemands sont sidérés, ils tentent de biaiser, de gagner du temps, mais à la fin du mois d'octobre et au début de novembre les conditions ont changé : la révolution couve et il leur est impossible de la mâter. Wilson tarde à répondre et devant de le risque de devoir capituler avant que l'armistice ne soit signée, certains militaires allemands demandent même qu'on négocie directement avec Foch et plus avec Wilson, qui leur parait être finalement un traitre, tant les conditions posées sont proches des franco-anglais.
En somme, le président américain ressemble davantage à un "as de pique" dans le camp de l'Entente que les Allemands ont pioché malencontreusement. Car le "scénario wilsonien" ressemble pratiquement au franco-anglais.
Le 11 novembre Foch déclara qu'il avait obtenu ce qu'il souhaitait : des Allemands à genoux, dans l'incapacité de pouvoir reprendre les armes, avec des garanties satisfaisantes pour la paix qui allait se négocier. Ni Clemenceau, ni Loyd George, ni les militaires français n'ont eu l'impression que Wilson leur dictait la future paix, bien au contraire.
Par contre, ils ont eu pendant toute la première quinzaine du mois d'octobre une crainte importante (ce que les Allemands pensaient être leur dernière chance), au même titre que le parti républicain : que Wilson ne fasse une paix seul - un sénateur républicain avait alors menacé Wilson de lancer une procédure d'impeachment, appuyé en sous-main par T. Roosevelt -, bien trop clémente, avec l'Allemagne.
Les notes de Wilson de la fin octobre et du début novembre rassurèrent ses alliés (surtout les Français, avec la mention de l'Alsace-Lorraine qui n'apparaissait pas au départ à la grande joie des Allemands), d'autant plus qu'il se retirait quelque peu de la partie, laissant les militaires faire.
En somme, le "scénario wilsonien", qui est avant tout déclenché par les Allemands - qui s'en mangeront les doigts ensuite... -, semble au départ différent de celui des franco-britanniques, pour finalement s'approcher de celui-ci et des principales vues des officiers généraux des armées occidentales dirigées par Foch.


Tooze développe une autre analyse, mais il est vrai qu'elle n'est pas nécessairement celle des acteurs de l'époque, allemands ou alliés. Pour l'auteur du "Déluge", l'armistice fut une aubaine pour l'Allemagne. Il intervient juste à temps, alors que l'Allemagne en état de déliquescence avancée sombre dans la révolution. Or, si Clemenceau et Lloyd George avaient eu conscience (ce qui selon Tooze n'était pas du tout le cas) de l'affaiblissement radical de leur ennemi, ils n'auraient jamais accepté d'entrer dans le jeu de Wilson. Ce dernier voulait à tout prix (et comme vous le rappelez, contre l'avis de l'opposition républicaine US, T. Roosevelt en tête ) que la guerre s'arrête avant une victoire définitive et sans conditions des alliés.
Selon Tooze, bien que léonins (et voulus tels par Foch qui pensaient que l'Allemagne les refuserait et lui permettrait de reprendre le chemin de Berlin pour obtenir une victoire définitive ), les termes de l'armistice connus le 5 novembre par les allemands, sont accueillis avec soulagement. Peut-être les allemands ont-ils déploré une certaine duplicité de Wilson, néanmoins il semble que pour eux l'armistice tombait à point nommé, car plus aucune résistance militaire n'était possible...

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