La limite chrono étant repoussée, j'en profite pour ouvrir un sujet sur l'adaptation de Paul Verhoeven de 1997 du livre de Heinlein de 1959.
Le fait que cette parodie soit passée largement au-de la tête du public américain en 1997, qui l'a pris au premier degré et n'y a vu qu'un film de série B, en fait tout l'intérêt : l'imagerie de la société fasciste de
Starship Troopers était trop proche des valeurs martiales américaines pour que le public en saisisse la satire. Cette mentalité patriotico-militaire omniprésente dans la psyché américaine était un peu plus sous-jacente en 1997 mais est revenue au premier plan après 2001 avec les guerres d'Afghanistan et d'Irak, ce qui a fait de
Starship Troopers un film culte devenu évident.
Il fallait un Européen comme Verhoeven pouvait faire ce film en 1997, et porter ce regard sur l'Amérique. La société future est la Fédération Terrienne, calquée sur le sytème fédéral américain, où tout le monde parle anglais, y compris les Argentins qui sont les protagonistes. L'aspiration suprême n'est pas d'aller à Harvard mais de devenir "citoyen" (soldat). Ce n'est pas un hasard si les protagonistes sont Argentins et l'action se passe au début en Argentine, pays de refuge pour les nazis après 1945.
L'acteur a été soigneusement choisi et arrangé pour ressembler à l'aryen parfait. Les actrices également.
La notion de "citoyen" est opposée à celle de "civil" et devient synonyme de "soldat". Le citoyen jouissant de tous ses droits ne peut être qu'un soldat (recrue ou "vétéran"). Les non-soldats sont des êtres de seconde classe, juste bons à payer des impôts. Seuls les "citoyens" ont le droit d'avoir des enfants, de voter, de participer à la vie publique, etc. Les exécutions capitales sont publiques et télévisées en prime time. On invite les enfants à jouer avec des fusils mitrailleurs à balles réelles. Ces détails n'ont pas mi la puce à l'oreille aux critiques américains de l'époque.
Les parades militaires sont calquées sur celles filmées par Leni Riefenstahl dans le Triomphe de la Volonté, film de propagande commandé par Goebbels et Hitler
RASCZAK, le prof d'"Histoire et Philosophie Morale" est un soldat vétéran, qui a perdu un bras au combat. Il fait forte impression aux étudiants. "Cette année nous avons étudié le déclin de la Démocratie, comment les pseudo-scientifiques en sciences sociales ont mené le monde au bord du chaos, et comment les vétérans ont repris le contrôle et imposé une stabilité qui dure depuis des générations. (...) La violence est l'autorité suprême. (...) Ceux que nous appelons citoyens ont conquis le droit de l'utiliser."
L'iconographie: le symbole de la fédération est un aigle, donc une aigle (féminin héraldique), symbole martial par excellence, pont entre nazisme et militarisme américain, qui vient de l'aigle impériale des légions romaines. Les protagonistes, à commencer par le soldat Rico, ont des profils d'Aryen de propagande, mâchoire carrée, cheveu parfait, telles les gravures des magazines national-socialistes. Les uniformes sont soit d'inspiration nazie, soit littéralement des uniformes SS pris pour le film.
Il faut dire un mot de Heinlein, l'auteur du roman, qui fait partie des grands de la Science-Fiction avec Philip K Dick (dont Verhoeven adaptera aussi les oeuvres). Officier de Marine, il développe une vision militarisée à l'extrême de la société, et pousse la logique au bout: un fascisme qui ne dit pas son nom. Paul Verhoeven, néerlandais dont les premiers souvenirs sont ceux des bombardements de La Haye et des nazis sillonnant la ville, pousse la satire un peu plus loin en montrant une société mondiale (totalement américanisée) qui est un miroir de la psyché militariste américaine mais où l'Amérique ne se voit pas, ou plutôt n'a pas vu le problème: le camp du "bien" lui apparaît comme évidemment celui des beaux soldats, summum de la société. Le film de Verhoeven préfigure avec clairvoyance l'Amérique de la guerre d'Irak.
Cette célèbre photo de Jeff Mermelstein montre un New-Yorkais qui ne veut pas lâcher son livre de Heinlein,
Friday.