Nous sommes actuellement le 19 Mars 2024 9:13

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 59 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3, 4  Suivant
Auteur Message
 Sujet du message : Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 16:08 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 28 Nov 2005 23:03
Message(s) : 1018
Localisation : Galaxie d'Andromède, Système solaire Zeta
Chateaubriand était un grand styliste.
Connaissez-vous des passages de ses écrits ou il fait preuve d'effets de style particulièrement réussits ?

_________________
"L'histoire me sera favorable car j'ai l'intention de l'écrire". Winston Churchill.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 19:18 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 07 Sep 2009 17:07
Message(s) : 476
Au lycée (que c'est loin tout ça... :'( ) mes profs de français disaient toujours que Chateaubriand et Jean-Jacques Rousseau étaient les deux très grands "poètes en prose" de la langue française. Je ne sais pas si c'est encore ce qui s'apprend, mais je trouve toujours leur langue magnifique et ne me suis jamais lassé.

Pour Chateaubriand (comme pour Rousseau) il y aurait tellement d'ouvrages et d'extraits à citer ! Mais celui ci-dessous des mémoires d'outre-tombe est sans doute un des plus célèbres (et un des plus beaux). On le trouve fréquemment reproduit dans les manuels scolaires (quand je le lis, je revois dans ma tête le Lagarde et Michard du XIXème siécle :P ). Je pense que tout commentaire serait superflu et qu'il suffit de lire (à voix haute de préférence, la sonorité des mots ajoutant au puissant pouvoir évocateur du texte...).


Les soirées d’automne et d’hiver étaient d’une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une promenade, qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête, demi chauve, était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu’en se promenant, il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant : "De quoi parliez-vous ? " Saisis de terreur, nous ne répondions rien ; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent.
Dix heures sonnaient à l’horloge du château : mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d’argent surmonté d’une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l’ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s’avançait vers sa chambre à coucher dépendante de la petite tour de l’est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l’embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse, sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui.
Le talisman était brisé ; ma mère, ma sœur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher


Dernière édition par Gér@rd le 13 Jan 2012 19:25, édité 1 fois.

Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 19:25 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Nov 2010 17:01
Message(s) : 502
Localisation : sur le cardo d'une cité de la Gaulle romaine
Voici, sans doute, le passage le plus célèbre des M.O. :
Ensuite me rendis chez Sa Majesté : introduit dans une des chambres qui précédaient celle du Roi, je ne trouvai personne ; je m'assis dans un coin et j'attendis. Tout à coup une porte s'ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l'évêque apostat fut caution du serment.

_________________
Je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux. Sophocle


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 19:32 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Excellent. J'aime beaucoup les mémoires d'outre tombe, à mon avis le chef d'oeuvre de la littérature française pour le style. Voici quelques extraits, le dernier a ma préférence. C'est de la poésie pure ... en prose, rien de plus beau:

"Ce lieu me plaît ; il a remplacé pour moi les champs paternels ; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles ; c'est au grand désert d' Atala que je dois le petit désert d'Aulnay ; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme le colon américain, dépouillé l'Indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres ; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille ; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants : c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle."

"Ici, j'ai écrit les Martyrs, les Abencerages, l' Itinéraire et Moïse ; que ferai-je maintenant dans les soirées de cet automne ? Ce 4 octobre 1811, anniversaire de ma fête et de mon entrée à Jérusalem, me tente à commencer l'histoire de ma vie. L'homme qui ne donne aujourd'hui l'empire du monde à la France que pour la fouler à ses pieds, cet homme, dont j'admire le génie et dont j'abhorre le despotisme, cet homme m'enveloppe de sa tyrannie comme d'une autre solitude ; mais s'il écrase le présent, le passé le brave, et je reste libre dans tout ce qui a précédé sa gloire."

"La plupart de mes sentiments sont demeurés au fond de mon âme, ou ne se sont montrés dans mes ouvrages que comme appliqués à des êtres imaginaires. Aujourd'hui que je regrette encore mes chimères sans les poursuivre, je veux remonter le penchant de mes belles années : ces Mémoires seront un temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs."

"Je suis né gentilhomme. Selon moi, j'ai profité du hasard de mon berceau, j'ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l'aristocratie dont la dernière heure est sonnée. L'aristocratie a trois âges successifs : l'âge des supériorités, l'âge des privilèges, l'âge des vanités : sortie du premier, elle dégénère dans le second et s'éteint dans le dernier."

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 19:55 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Nov 2010 17:01
Message(s) : 502
Localisation : sur le cardo d'une cité de la Gaulle romaine
Chateaubriand est aussi un visionnaire.
Toujours dans les M.O. :
« L'univers change autour de nous, disais-je : de nouveaux peuples paraissent sur la scène du monde ; d'anciens peuples ressuscitent au milieu des ruines ; des découvertes étonnantes annoncent une révolution prochaine dans les arts de la paix et de la guerre : religion, politique, mœurs, tout prend un autre caractère. Nous apercevons-nous de ce mouvement ? Marchons-nous avec la société ? Suivons-nous le cours du temps ? Nous préparons-nous à garder notre rang dans la civilisation transformée ou croissante ? Non : les hommes qui nous conduisent sont aussi étrangers à l'état des choses de l'Europe que s'ils appartenaient à ces peuples dernièrement découverts dans l'intérieur de l'Afrique. Que savent-ils donc ? La bourse ! et encore ils la savent mal. Sommes-nous condamnés à porter le poids de l'obscurité pour nous punir d'avoir subi le joug de la gloire ? »

_________________
Je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux. Sophocle


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 13 Jan 2012 20:01 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 08 Nov 2010 17:01
Message(s) : 502
Localisation : sur le cardo d'une cité de la Gaulle romaine
Et ce texte là :


« Le ministère a inventé une morale nouvelle, la morale des intérêts , celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles. Or, cette morale des intérêts, dont on veut faire la base de notre gouvernement, a plus corrompu le peuple dans l'espace de trois années que la révolution dans un quart de siècle.

« Ce qui fait périr la morale chez les nations, et avec la morale les nations elles-mêmes, ce n'est pas la violence, mais la séduction ; et par séduction j'entends ce que toute fausse doctrine a de flatteur et de spécieux. Les hommes prennent souvent l'erreur pour la vérité, parce que chaque faculté du cœur ou de l'esprit a sa fausse image : la froideur ressemble à la vertu, le raisonner à la raison, le vide à la profondeur, ainsi du reste.

_________________
Je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des dieux. Sophocle


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 24 Mai 2012 14:29 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Juil 2011 14:39
Message(s) : 1623
Localisation : Armorique
Bonjour,

Romeo a écrit :
Chateaubriand était un grand styliste.
Connaissez-vous des passages de ses écrits ou il fait preuve d'effets de style particulièrement réussits ?

Tout dépend du Chateaubriand que vous souhaitez connaître, le jeune officier, le voyageur, l'exilé.
Entre Atala, René ("L'appel de l'infini") -Lamartine en reprendra les envolées-, le Génie du Christianisme et sa poéthique, Les Martyrs, Itinéraire de Paris à Jérusalem, vous avez autant de styles que Chateaubriant à de facettes.
Chacune de ces oeuvres mérite analyse et j'avoue que les Mémoires D'Outre-Tombe est loin d'avoir ma préférence. :oops: C'est beau mais j'y vois comme des analyses reprises par Proust dans "A la Recherche du Temps Perdu" avec un style repris par Lamartine aussi ceci peut-il paraître un peu long.
Dans "Mes joies de l'automne" on a l'image d'un Chateaubriand vieilli, une méditation sur l'éphémère de l'homme ; loin est le style de l'adolescent "René" exaltant "Les mois de tempêtes". L'image se superpose et donne un exemple de ce que j'aime chez Chateaubriand, cette langueur dans l'entrainement à la méditation.
Lamartine reprendra ces sujets chers dans ses Méditations Poétiques, mettant parfois en alexandrins la prose de Chateaubriand.

Bien à Vous.
g.

_________________
"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 03 Avr 2014 18:59 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote

Inscription : 06 Juil 2013 7:59
Message(s) : 3
Bonsoir,

Chateaubriand... que de délicieuses nostalgies nous lui devons. Jeune encore, je me réfugiais dans sa prose :

"Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi : le temps des frimas, en rendant les communications moins faciles, isole les habitants des campagnes : on se sent mieux à l'abri des hommes."( M.O.T. )

Bon, à coté de ça : morgue, orgueil égocentrisme exacerbé certes, mais style incomparable bref, on l'aime !


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 05 Avr 2014 8:35 
Hors-ligne
Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
Message(s) : 4383
Localisation : Versailles
Pour ma part, je pense que le récit de sa naissance est un merveilleux exemple de prose poétique (ou de poésie en prose) et d.enthousiasme romantique.

"La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donna un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir ces diverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées."

Je suis toujours stupéfait du prestige de Chateaubriand de son vivant. Loin d'être un artiste maudit comme le romantisme en aima, il est parfaitement reconnu et adulé alors même qu'il n'a publié que des œuvres secondaires. Son chef d'oeuvre , l'une des quatre ou cinq plus grandes œuvres de notre littérature , ne sera publié qu'après sa mort.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 31 Mai 2014 18:33 
Hors-ligne
Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
Message(s) : 2231
"...la chambre où ma mère m'infligea la vie...", "...un nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur..." ne me semble pas particulièrement exprimer l'enthousiasme.

Les heures très sombres de la Révolution, au cours de laquelle plusieurs membres de sa famille et certains de ses proches moururent sur l'échafaud, le marquèrent profondément. Ensuite, bien que, dès son retour d'exil, tout lui réussît, son temps ne cessa de le décevoir et quand, par fidélité envers les Bourbons, il abandonna la vie publique bien qu'au fond il désapprouvât les ultras, pour reprendre une formule de de Gaulle, il n'eut plus jusqu'à la mort qu'à rester dans son chagrin.

A vrai dire comment, intellectuellement conquis par les Lumières mais légitimiste par devoir, aurait-il pu être heureux ?

"Loin d'être un artiste maudit comme le romantisme en aima, " Lesquels ? A vrai dire, je ne crois pas en connaître de ces artistes maudits.

"...il est parfaitement reconnu et adulé alors même qu'il n'a publié que des œuvres secondaires." Ses oeuvres romanesques et ses essais sont, il est vrai, passées de mode. Sont-elles pour autant des oeuvres secondaires ? Je n'oserais le prétendre.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 31 Mai 2014 22:28 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Les mémoires d'outre tombe sont l'un des plus grands chefs d'oeuvre de la littérature française. Je les parcours toujours avec délectation.
Sur Napoléon, Chateaubriand a écrit des pages magnifiques comme:

"Bonaparte n'est point mort sous les yeux de la France, il s'est perdu dans les fastueux horizons des zones torrides. L'homme d'une réalité si puissante s'est évaporé à la manière d'un songe ; sa vie, qui appartenait à l'histoire, s'est exhalée dans la poésie de sa mort. Il dort à jamais, comme un ermite ou comme un paria, sous un saule, dans un étroit vallon entouré de rochers escarpés, au bout d'un sentier désert. La grandeur du silence qui le presse égale l'immensité du bruit qui l'environna. Les nations sont absentes, leur foule s'est retirée. L'oiseau des tropiques attelé, dit magnifiquement Buffon, au char du soleil, se précipite de l'astre de la lumière, et se repose seul un moment sur des cendres dont le poids a fait pencher le globe.
Bonaparte traversa l'Océan pour se rendre à son dernier exil ; il s'embarrassait peu de ce beau ciel qui ravit Christophe Colomb, Vasco et Camoëns. Couché à la poupe du vaisseau, il ne s'apercevait pas qu'au-dessus de sa tête étincelaient des constellations inconnues ; leurs rayons rencontraient pour la première fois ses puissants regards. Que lui faisaient des astres qu'il ne vit jamais de ses bivouacs et qui n'avaient pas brillé sur son empire ? Et néanmoins, aucune étoile n'a manqué à sa destinée : la moitié du firmament éclaira son berceau ; l'autre était réservée pour illuminer sa tombe "

Il y a aussi cette réflexion profonde:
" Une expérience journalière, écrit Chateaubriand, fait reconnaître que les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n'aiment point la liberté ; l'égalité seule est leur idole. [...] Sous ces deux rapports, Napoléon avait sa source au coeur des Français, militairement inclinés vers la puissance, démocratiquement amoureux du niveau "

" À l'instar des dieux d'Homère, il veut arriver en quatre pas au bout du monde. Il paraît sur tous les rivages ; il inscrit précipitamment son nom dans les fastes de tous les peuples ; il jette des couronnes à sa famille et à ses soldats ; il se dépêche dans ses monuments, dans ses lois, dans ses victoires. Penché sur le monde, d'une main il terrasse les rois, de l'autre il abat le géant révolutionnaire ; mais, en écrasant l'anarchie, il étouffe la liberté, et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataille "

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 23 Août 2020 14:08 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live

Inscription : 08 Mai 2020 12:38
Message(s) : 369
Localisation : En Mayenne
Je remonte ce fil déjà ancien, pour ajouter ma petite pierre au monument à la gloire de cet auteur.
On se posait la question de l'origine de son extraordinaire célébrité de son vivant. Je la situerais dans la publication du Génie du christianisme. Sa parution en 1802, au sortir de la Révolution, a visiblement été considéré comme une réhabilitation du fait religieux, vécue comme un grand soulagement après les pratiques déicides de la Révolution.
J'ai essayé en vain de lire l'ouvrage ; il m'est rapidement tombé des mains. Et je suis bien vite revenu aux Mémoires d'outre-tombe.

Pour le fun : cet extrait, où il exprime le regret d'avoir écrit René. Ce qui débouche sur d'intéressantes considérations sur la littérature en général.

Jean-Jacques Rousseau introduisit le premier parmi nous des rêveries désastreuses, le roman de Werther développa depuis ce genre de poison. Les couvents offraient autrefois des retraites à ces âmes contemplatives que la nature appelle impérieusement aux méditations.
Elles y trouvaient auprès de Dieu de quoi remplir le vide qu’elles sentent en elles-mêmes, et souvent l’occasion d’exercer de rares et solides vertus. Mais depuis la destruction des monastères et les progrès de l’incrédulité, on doit s’attendre à voir se multiplier au milieu de la société des espèces de solitaires tout à la fois passionnés et philosophes, qui, ne pouvant renoncer aux vices du siècle ni aimer ce siècle, renonceront à tout devoir divin et humain, se nourriront à l’écart des plus belles chimères, et se plongeront dans une misanthropie orgueilleuse qui les conduira à la folie et à la mort…

Afin d’inspirer plus d’éloignement pour ces rêveries criminelles, je mis la punition de René dans le cercle de ces malheurs qui appartiennent moins à l’individu qu’à la famille de l’homme et que les anciens attribuaient à la fatalité… Au surplus, si René n’existait pas, je ne l’écrirais plus ; s’il m’était possible de le détruire, je le détruirais : il a infesté l’esprit d’une partie de la jeunesse, effet que je n’avais pu prévoir, car j’avais au contraire voulu la protéger.

Une famille de Renés-poètes et de Renés-prosateurs a pullulé ; on n’a plus entendu bourdonner que des phrases lamentables et décousues ; il n’a plus été question que de vents d’orage, de maux inconnus livrés aux nuages et à la nuit ; il n’y a pas de grimaud sortant du collège qui n’ait rêvé être le plus malheureux des hommes, qui, à seize ans, n’ait épuisé la vie, qui ne se soit cru tourmenté par son génie, qui, dans l’abîme de ses pensées, ne se soit livré au « vague de ses passions » qui n’ait frappé son front pâle et échevelé, qui n’ait étonné les hommes stupéfaits d’un malheur dont il ne savait pas le nom, ni eux non plus.

Dans René, j’avais exposé une infirmité de mon siècle ; mais c’est une folie aux autres romanciers d’avoir voulu rendre universelles les afflictions en dehors de tout exprimées dans René et depuis dans Childe-Harold.

Les sentiments généraux qui composent le fond de l’humanité, la tendresse paternelle et maternelle, la piété filiale, l’amour, l’amitié, sont inépuisables : ils fourniront toujours des inspirations nouvelles au talent capable de les développer ; mais les manières particulières de sentir, les individualités d’esprit et de caractère ne peuvent s’étendre et se multiplier dans de grands et nombreux tableaux.
Les petits coins non découverts du cœur de l’homme sont un champ étroit ; il ne reste rien à recueillir dans ce champ après la main qui l’a moissonné la première : une maladie de l’âme n’est pas un état permanent et naturel ; on ne peut la reproduire, en faire une littérature, en tirer partie comme d’une passion générale incessamment reconstituée au gré des artistes qui la manient et en changent la forme.


[Mémoires d'outre-tombe, deuxième partie – Livre 1 – Chapitre 12].


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 24 Août 2020 12:06 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 17 Nov 2019 20:27
Message(s) : 154
En effet, le style de Châteaubriand me semble (presque) inégalable (peut-être Rousseau dans ses grandes lancées?).

Je relis une partie de l'édition GF Flammarion tous les ans. Cette année, c'est tombé sur les Livres 01 à 05. Le plus intéressant pour moi a été de trouver dans mon achat d'occasion une tonne d'annotations de je-ne-sais-qui, une synthèse de chaque livre en post-it et autres considérations philosophiques et littéraires.

Pour ma part, je pense souvent à cette phrase (p.49) :
Citer :
Ces Mémoires seront le temple de la mort élevé à la clarté de mes souvenirs.


Hugo se voulait Châteaubriand ou rien. Il aura été à la fois bien plus (sur la production, renommée, création de personnages) et bien moins sur le style (hors Légende des siècles ).

(Je n'ai pas détesté le téléfilm avec Frédéric Diefenthal %1 )

_________________
Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Beaumarchais, Le Barbier de Séville, 1775.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 24 Août 2020 13:30 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live

Inscription : 08 Mai 2020 12:38
Message(s) : 369
Localisation : En Mayenne
On dit que tout se joue dans l'enfance. Celle de Châteaubriand eut assez peu à voir avec la vie de château. Il en parle ainsi, dans la première partie, livre 1, chapitre 7 :

C’est sur la grève de la pleine mer, entre le château et le Fort Royal, que se rassemblent les enfants ; c’est là que j’ai été élevé, compagnon des flots et des vents. Un des premiers plaisirs que j’aie goûtés était de lutter contre les orages, de me jouer avec les vagues qui se retiraient devant moi, ou couraient après moi sur la rive. Un autre divertissement était de construire, avec l’arène de la plage, des monuments que mes camarades appelaient des fours. Depuis cette époque, j’ai souvent cru bâtir pour l’éternité des châteaux plus vite écroulés que mes palais de sable.
Mon sort étant irrévocablement fixé, on me livra à une enfance oisive. Quelques notions de dessin, de langue anglaise, d’hydrographie et de mathématiques, parurent plus que suffisantes à l’éducation d’un garçonnet destiné d’avance à la rude vie d’un marin.
Je croissais sans étude dans ma famille ; nous n’habitions plus la maison où j’étais né : ma mère occupait un hôtel, place Saint-Vincent, presque en face de la porte de la ville qui communique au Sillon. Les polissons de la ville étaient devenus mes plus chers amis : j’en remplissais la cour et les escaliers de la maison. Je leur ressemblait en tout ; je parlais leur langage ; j’avais leur façon et leur allure ; j’étais vêtu comme eux, déboutonné et débraillé comme eux ; mes chemises tombaient en loques ; je n’avais jamais une paire de bas qui ne fût largement trouée ; je traînais de méchants souliers éculés, qui sortaient à chaque pas de mes pieds ; je perdais souvent mon chapeau et quelquefois mon habit. J’avais le visage barbouillé, égratigné, meurtri, les mains noires. Ma figure était si étrange que ma mère, au milieu de sa colère, ne se pouvait empêcher de rire et de s’écrier : « Qu’il est laid ! (...)
Certains jours de l’année, les habitants de la ville et de la campagne se rencontraient à des foires appelées assemblées, qui se tenaient dans les îles et sur des forts autour de Saint-Malo (…) J’étais le seul témoin de ces fêtes qui n’en partageât pas la joie. J’y paraissais sans argent pour acheter des jouets et des gâteaux. Evitant le mépris qui s’attache à la mauvaise fortune, je m’asseyais loin de la foule, auprès de ces flaques d’eau que la mer entretient et renouvelle dans les concavités des rochers. Là, je m’amusais à voir voler les mouettes, à béer aux lointains bleuâtres, à ramasser des coquillages, à écouter le refrain des vagues parmi les écueils. Le soir au logis, je n’étais pas plus heureux ; j’avais une répugnance pour certains mets : on me forçait d’en manger. J’implorais les yeux de La France qui m’enlevait adroitement mon assiette quand mon père tournait la tête. Pour le feu, même rigueur : il ne m’était pas permis d’approcher de la cheminée. Il y a loin de ces parents sévères aux gâte-enfants d’aujourd’hui»
.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message : Re: Le style de Chateaubriand
Message Publié : 24 Août 2020 23:17 
Hors-ligne
Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
Message(s) : 2231
b sonneck a écrit :
On dit que tout se joue dans l'enfance. Celle de Châteaubriand eut assez peu à voir avec la vie de château.
Enfance austère, peut-être, mais vie de château tout de même :

Image


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 59 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3, 4  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB