Article paru dans l'Express du 23/10/2003 :
Le phénomène Max Gallo
Cet Alexandre Dumas de notre temps a inventé un genre littéraire, vivant et rigoureux, historique mais plongé dans les réalités contemporaines
Mille pages d'un coup mises sur le marché du livre, c'est une première en librairie que la publication concomitante des trois volumes consacrés par Max Gallo à la guerre de 14-18. Cette audace est l'occasion de s'interroger sur ce qu'on peut appeler le «phénomène Gallo», auteur de 90 livres, soit près de 50 000 pages imprimées. Aucun écrivain français contemporain n'a produit une telle œuvre. Et, si l'on multiplie ce chiffre par les tirages toujours très importants de ses livres, ce sont près de 3 milliards de pages qui ont été imprimées. Pour obtenir de pareils chiffres, il faut comptabiliser ce qu'ont vendu Chateaubriand ou Victor Hugo en un siècle et demi ou, bien sûr, Dumas. Dumas le prolixe, Dumas le roi du roman populaire, Dumas l'ambassadeur de la littérature française, Dumas, dont on reconnaît enfin le génie.
Il y a, certes, beaucoup de rapprochements à faire entre Dumas et Gallo. D'abord, l'extraordinaire succès des deux écrivains et la pénétration de leurs livres dans des milieux très divers. Ensuite, l'un et l'autre s'attachent à peindre de grandes fresques historiques. Ce sont des écrivains de l'histoire vivante, comme Maurice Druon l'a été avec Les Rois maudits. Si le style de Max est plus sobre que celui d'Alexandre, c'est sans doute une question d'époque. Les différences sont cependant considérables. Les textes de Max Gallo ne contiennent pas d'erreurs historiques. On voit que Gallo est historien de profession. Alexandre Dumas, lui, a pris quelques libertés avec l'Histoire. Max Gallo, par ailleurs, n'utilise pas de nègre. Il se lève à des heures très très matinales et écrit tous les jours. L'écriture est pour Gallo une ascèse - ses proches diraient peut-être même une drogue.
Max Gallo, enfin, n'écrit plus de roman depuis longtemps. Il n'a donc pu écrire l'équivalent des Trois Mousquetaires, de La Reine Margot ou de La Dame de Monsoreau, se privant de communiquer à ses lecteurs l'ivresse triste des romantiques. Les livres de Gallo ne sont ni des romans ni des livres d'histoire. Il a inventé un genre littéraire, vivant et rigoureux, historique mais plongé dans les réalités contemporaines, que l'éditeur Claude Durand appelle le «Gallo-roman».
Malgré la description picaresque qu'il fait lui-même de son rôle dans la révolution de 1830 dans ses Mémoires, Dumas n'a jamais approché les princes qui nous gouvernent. Max Gallo connaît par cœur les arcanes de la vie politique, les phénomènes de cour et de chapelle, les mœurs florentines. Il a été successivement député, ministre porte-parole du gouvernement (son directeur de cabinet étant un certain François Hollande), puis député européen.
Les professeurs d'histoire - les collègues de Max Gallo - ne s'y trompent pas. La majorité d'entre eux lisent les Gallo et les recommandent, ce qui fait dire à certains que Max Gallo a plus d'influence sur l'enseignement de l'histoire en France que n'importe quel ministre de l'Education nationale. Et cette influence dépasse nos frontières: le journal italien Il Giorno a traduit et distribué Cesar Imperator à 1 million d'exemplaires!
Ma reconnaissance du phénomène de société Gallo ne signifie pas pour autant une approbation sans réserve des jugements et des choix du citoyen-écrivain Max Gallo. Choix des sujets, qui, au fil du temps, ont convergé vers des grands hommes ayant tous un certain style. De Gaulle, Napoléon, César, c'est le fil d'Ariane. Jaurès, Hugo rétablissent un peu l'équilibre, mais tout de même. Par ailleurs, ses choix politiques ne sont pas les miens.
L'estime que j'ai pour Jean-Pierre Chevènement sur le plan personnel ne m'empêche pas de désapprouver nombre de ses options. Il a soutenu Otelo de Carvalho, l'homme qui menaçait une démocratie portugaise encore en éclosion; il a été un défenseur du Baas irakien et a rendu visite à Saddam Hussein à Bagdad. Il a démissionné de son poste de ministre de la Défense lors de la guerre du Golfe et, plus récemment, il a fait perdre la gauche en faisant une campagne où il renvoyait dos à dos gauche et droite alors qu'il avait été pendant une douzaine d'années ministre dans des gouvernements de gauche. Comment un historien lucide comme Gallo a-t-il pu être le porte-voix de cette imposture? Une inimitié ancienne et épidermique à l'égard de Lionel Jospin ne peut faire pardonner ce manque de clairvoyance.
Car, quoi qu'en disent certains, Max Gallo est un progressiste, certes un progressiste plus proche de Gambetta que de Léon Blum, de Robespierre que de Condorcet, mais il est dans le camp du mouvement.
Pour ses écrits, Max Gallo devrait être à l'Académie française. Mais Dumas n'a pas été non plus reconnu par l'Académie, et il est enfin entré au Panthéon. Peut-être en sera-t-il de même pour Max Gallo? Il faut dire qu'il y est presque. Il habite en face."
Et dans le Nouvel Observateur du 31 mai 2007
"L'écrivain Max Gallo, 75 ans, a été élu jeudi 31 mai à l'Académie française, au fauteuil du philosophe Jean-François Revel, au premier tour, a annoncé la secrétaire perpétuelle Hélène Carrère d'Encausse.
Max Gallo avait déjà présenté sa candidature en 2000 et n'avait pas alors obtenu un nombre de voix suffisante. Si ses travaux historiques publiés dans les années 1960 - notamment sur l'Italie fasciste et le franquisme - bénéficient du label universitaire, ses séries romanesques n'avaient guère convaincu les académiciens. Fils d'immigrés italiens, avec pour premier diplôme un CAP d'ajusteur, Max Gallo a la fibre patriotique et la passion de la République. Ancien militant communiste, député socialiste (1981-83), puis porte-parole du gouvernement (1983-84), il a rallié récemment Nicolas Sarkozy, auprès duquel il a participé le 16 mai à l'hommage aux résistants à la Cascade du Bois de Boulogne."
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