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Message Publié : 04 Mai 2005 10:44 
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Thucydide
Thucydide

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Puisqu'il a été question de Braudel, et voulant profiter de l'érudition de Florian, je voulais obtenir vos avis sur l'opposition de Braudel à Weber eu égard au capitalisme.
L'ethos capitaliste est née avec le protestantisme : faire du travail une valeur en soi conformément à un idéal ascétique. C'est la thèse de Weber à laquelle s'oppose Braudel en argumentant que les catholiques italiens ont pendant longtemps été les banquiers de l'Europe et se sont montrés être d'habiles entrepreneurs.
.


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Message Publié : 04 Mai 2005 11:16 
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Votre question est très intéressante parce qu'elle permet de traiter de toute la pensée de Braudel, mais il est difficile d'y répondre, précisément parce qu'elle met en question toute la conception braudelienne de l'histoire.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai isolé votre message afin de pouvoir traiter, comme on me l'avait déjà demandé dans la discussion sur l'histoire des mentalités, de la pensée de Braudel.

Pour commencer, quelques éléments de réponse à votre question:

D'abord, il faut bien préciser ce que Braudel entend par capitalisme, à savoir la circulation du capital (ce qui est très différent de la conception marxiste par exemple, centrée sur la dissociation du capital et du travail, ce qui explique que le capitalisme est beaucoup plus vieux pour Braudel que pour Marx).
Ce que Braudel reproche fondamentalement à Max Weber (et à Werner Sombart, le grand théoricien allemand du capitalisme), c'est le recours à la notion d' "esprit" capitaliste. Comme je le disais dans la discussion sur l'histoire des mentalités, Braudel se méfie beaucoup de tout ce qui touche à l'intellectuel, au mental: il fait l'histoire des manifestations concrètes du capitalisme. Pour lui, ce n'est pas un "esprit" qui est responsable du capitalisme, mais des Etats, des institutions, des acteurs: " le capitalisme ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'État, qu'il est l'État " (La dynamique du capitalisme).

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 04 Mai 2005 14:10 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 30 Avr 2005 11:00
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Ces deux concepts sont présentés comme équivalents mais il me semble qu'il existe une différence entre eux.
Le capitalisme est un système économique qui se définit par la propriété privée des moyens de productions et cet "éthos" dont se méfie Braudel. L'économie de marché est un processus de fixation des prix entre l'offre et la demande duquel est absent l'Etat. Ses corrolaires sont le laisser-faire, le laisser-passer et la libre concurrence
Il peut y avoir un système économique capitaliste sans économie de marché. Je ne suis pas historien de formation mais je peux citer des exemples : la compagnie des Indes qui disposait d'un monopole, le cas des corporations qui régulaient en leur sein l'activité de leur secteur d'activité.
Pour Marx, c'est, entre autres, la concurrence acharnée entre les entreprises qui les oblige à toujours investir en diminuant leur taux de profit.
Si le capitalisme est ancien, il acquiert sa forme contemporaine qu'avec la Révolution française qui va poser les jalons d'un marché concurrentiel : interdiction des corporations, création du délit de coalition...
Comment, avant cela, a-t-il pu triompher en s'identifiant avec l'Etat et en étant l'Etat ?


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Message Publié : 04 Mai 2005 14:56 
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Justement, alors que les libéraux (comme les marxistes d'ailleurs) associent le capitalisme au marché concurrentiel, Braudel montre au contraire (comme vous le faites vous-mêmes) que c'est faux, et que c'est peut-être même le contraire qui est juste.
Selon lui, le temps des marchés précède celui du capitalisme, et constitue une forme de "micro-capitalisme". Au contraire, l'âge du capitalisme se caractérise selon Braudel par une hyperconcentration du capital et des activités (par exemple, la division entre le marchand, l'industriel et le financier, est propre au temps des marchés mais pas à celui du capitalisme), bref une forme de monopole qui est tout le contraire d'une économie de marché. En clair, le capitalisme tend au monopole alors que le marché tend à la concurrence.
Si Braudel confond l'Etat et le capitalisme, c'est parce qu'il constate que l'Etat, qui est souvent conçu comme un arbitre qui empêche les monpoles, en a fait été surtout le garant.

Enfin, dès lors qu'on pense le capitalisme comme s'opposant au libre-échange, il n'est plus question ni de concurrence pure et parfaite (Walras) ni de baisse tendancielle du taux de profit (Marx).

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Message Publié : 04 Mai 2005 15:02 
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Grégoire de Tours
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Je trouve également cette formulation très curieuse :


Citer :
Pour lui, ce n'est pas un "esprit" qui est responsable du capitalisme, mais des Etats, des institutions, des acteurs: " le capitalisme ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'État, qu'il est l'État " (La dynamique du capitalisme).


Il me semble qu'il est en principe antinomique de l'Etat , puisqu'il repose sur la libre initiative d'individus , et apparaît à un moment oú les états sont encore relativement faibles et peu centralisés . Bien sûr il y aura plus tard des formes de " capitalisme d'état " mais n'est-ce pas là un oxymoron ?
Disons qu'à l'heure actuelle il survit malgré les interventions de l'Etat , ou alors avec son appui , cette fois au détriment des autres capitalistes ( car le jeu de la libre concurrence est faussé ) voire au détriment de la population ,
dont les ressources sont détournées vers ces subsides....


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Message Publié : 04 Mai 2005 15:12 
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Citer :
"Le capitalisme ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'État, qu'il est l'État"


Ce que Braudel veut dire, c'est simplement que le capitalisme ne peut prospérer qu'avec la complicité de la société et donc de l'Etat. Le capitalisme ne peut exister vraiment que si l'Etat ne l'entrave pas (ce qui ne veut pas dire que l'Etat ne peut pas l'entraver, auquel cas ce serait effectivement un oxymoron, mais que dans les faits, les Etats ont facilité la propagation du capitalisme). N'oublions pas que Braudel fait de l'histoire et pas de la théorie économique purement abstraite; quand il dit que "le capitalisme ne triomphe que lorsqu'il s'identifie avec l'Etat", c'est un constat historique et pas une hypothèse.
C'est justement là que Braudel se sépare de Weber et de Sombart: pour eux, les conditions qui favorise l'émergence du capitalisme sont d'ordre mentales et intellectuelles (individualisme, rationnalité, etc.); pour Braudel, elles sont d'ordre social et politique (complaisance de l'Etat, existence d'une bourgeoisie fortunée en capacité d'investir, etc.).

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Message Publié : 04 Mai 2005 15:31 
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Grégoire de Tours
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Ainsi expliqué c'est plus logique . L'Etat est capable de l'entrâver ou de le favoriser . Ou de laisser faire .
Mais ce seront bien des individus qui le mettront en oeuvre , parce que
leur mentalité les y pousse....Mentalité entrepreneuriale....
A quelle époque situe-t-il ce " triomphe " ?
Est-ce qu'il reprend les étapes de capitalisme foncier , commercial , financier et industriel ?


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Message Publié : 04 Mai 2005 15:49 
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Citer :
Mais ce seront bien des individus qui le mettront en oeuvre , parce que
leur mentalité les y pousse....Mentalité entrepreneuriale....

Ca c'est une opinion, qui n'est pas celle de Braudel, mais avec laquelle je suis plutôt d'accord personnelement (si ce n'est l'emploi du mot "mentalité"), même si cela demanderait à être nuancé.
Il faut bien comprendre que si Braudel ne peut pas accepter une telle formule, c'est parce que pour lui, l'économique détermine le social qui détermine à son tour le mental (ce qui explique pourquoi il peut dire que c'est l'histoire qui fait les hommes, que c'est la superstructure économique qui façonne la société et le mental, c'est-à-dire l'homme).
Et de fait, pour prendre un exemple trivial, je ne sais pas si on peut dire comme vous le faites que "les mentalités les y pousse": regardez aujourd'hui, on n'a guère le choix, le marché s'impose à nous et nous façonne plus que nous ne le faisons advenir.

Citer :
Est-ce qu'il reprend les étapes de capitalisme foncier , commercial , financier et industriel ?

Pour lui, la distinction entre le commercial, le financier et l'industriel n'est pas propre au capitalisme mais au contraire à l'âge qui lui précède. En gros, le capitalisme naît selon Braudel avec les grandes découvertes.

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Message Publié : 04 Mai 2005 16:41 
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Grégoire de Tours
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Citer :
Il faut bien comprendre que si Braudel ne peut pas accepter une telle formule, c'est parce que pour lui, l'économique détermine le social qui détermine à son tour le mental (ce qui explique pourquoi il peut dire que c'est l'histoire qui fait les hommes, que c'est la superstructure économique qui façonne la société et le mental, c'est-à-dire l'homme).


Est-ce que Marx ne dit pas la même chose ? Quand il pose l'économie comme infrastructure , et l'idéologie comme superstructure ?

Pourquoi faut-il toujours rechercher un "primum movens " ( Qui de l'oeuf
ou de la poule...) au lieu d'envisager des déterminismes multiples , avec
rétroactions ( modèle cybernétique ) ?

Et ai-je bien compris que pour Braudel , il faut distinguer un capitalisme de marché ( correspondant au " petit " capitalisme ? ) et un grand capitalisme monopolistique ?


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Message Publié : 04 Mai 2005 16:56 
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Citer :
Est-ce que Marx ne dit pas la même chose ? Quand il pose l'économie comme infrastructure , et l'idéologie comme superstructure ?


Je me garderai bien de vous faire une réponse pour la simple raison qu'on a dit tout et son contraire sur Marx, et que chaque exégète prétend avoir la vérité du marxisme sans jamais tomber d'accord avec ses prédecesseurs.
Je me contenterai de vous citer la bonne phrase d'un des plus grand spécialiste de Marx, Michel Henry, qui commençait son livre sur Marx par: un :"J'appelle marxisme l'ensemble des contresens qui ont été faits sur Marx" ou encore celle de Raymond Aron, autre grand lecteur de Marx qui disait: "Le marxisme peut être expliqué fidèlement en cinq minutes, en cinq heures, en cinq ans ou en un demi-siècle, ce qui permet éventuellement à celui qui n'y connaît rien d'écouter avec ironie celui qui a consacré sa vie à l'étudier". Bref, il est très dangereux de vouloir expliquer Marx car on pourra toujours vous prouver le contraire de ce que vous dites.

Citer :
Et ai-je bien compris que pour Braudel , il faut distinguer un capitalisme de marché ( correspondant au " petit " capitalisme ? ) et un grand capitalisme monopolistique ?

Oui, même s'il préfère éviter de parler de "capitalisme de marché": il parle simplement de marché (mais il emploie parfois aussi l'expression "micro-capitalisme").

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"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 04 Mai 2005 17:29 
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Thucydide
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Il y a un économiste pour lequel l'Etat a contribué à l'essort du capitalisme : Polanyi (j'écorche peut-être l'orthographe). Le rôle de l'Etat est essentiel dans la mise en place d'un cadre juridique servant à réguler la sphère économique : droit des contrats, propriété intellectuelle. Il est le seul à pouvoir financer des infrastructures lourdes qui servent à tous les acteurs mais qu'aucun ne peut financer.


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Message Publié : 21 Mai 2005 17:05 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Avr 2005 10:54
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Interessant.
Ce que je comprends de votre presentation, Florian, c'est que Braudel applique a l'histoire economique le principe d'explication que Norbert Elias applique a l'histoire politique (La Dynamique de l'Occident), c'est-a-dire la constitution progressive des monopoles par la situation de concurrence.
C'est ca ?
D'ou des lors, peut-etre, cette analogie entre Etat et capitalisme qui choque effectivement de prime abord.
Ca donne envie de lire ce Braudel en tout cas.


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