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Message Publié : 14 Sep 2023 9:21 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Je vous soumets le compte-rendu de l'ouvrage de Pierre Lévêque (que je ne présente pas) sur Pyrrhus. Ce n'est pas moi qui ai fait ce CR mais un ami.
Apparemment les biographies sur ce personnage en sont pas légions.







PYRRHUS
de Pierre LEVÊQUE
(Paris, De Boccard éditeur, 1957)



Pyrrhus est né en 319 av. JC. Il est le fils du roi d’Epire Eacide, de la dynastie du même nom, et de son épouse Phtia. A cette époque, l’Epire, à cheval sur la Grèce et l’actuelle Albanie, est constituée de trois provinces :

:arrow: La Chaonie,
:arrow: La Thesprotie.
:arrow: La Molossie (la plus importante).

Elle est très difficile d’accès, entourée de tous les côtés par des montagnes. Son passage le plus aisé est celui vers la Macédoine, ce qui explique les relations privilégiées, hostiles ou pacifiques, avec ce royaume. Philippe II de Macédoine et père d’Alexandre, a établi son influence partout autour de son pays, notamment sur l’Epire. Sous son règne, celle-ci est pratiquement inféodée à la Macédoine, laquelle est maitresse de ses moyens d’accès à l’extérieur par son contrôle sur les passes des montagnes. D’ailleurs, Philippe II a épousé Olympias, princesse épirote, ce qui fait que Pyrrhus est cousin issu de germain d’Alexandre le grand qu’il admirera et rêvera d’égaler. Il passe aussi pour être le descendant du héros Achille et de son fils Néoptolème. Les Epirotes, peuple montagnard, passent pour sanguins, impulsifs, coléreux. Alexandre et Olympias l’étaient. Pyrrhus le sera aussi.



I. La première partie du règne de Pyrrhus.

1. La jeunesse de Pyrrhus.


Au moment de sa naissance, on est après la mort du grand Alexandre et l’empire qu’il a fondé est sujet à de nombreux troubles. En Macédoine, Olympias a été écartée au profit de Cassandre, maître du pays. Eacide attaque la Macédoine pour soutenir la reine ; forcément elle est sa parente. Mais il est battu et repoussé par Cassandre lequel, poussant les sujets de son ennemi à la révolte, le détrône et l’oblige à quitter son royaume. Eacide emmène avec lui le jeune Pyrrhus, alors âgé de deux ans.

Celui-ci va être finalement confié au roi Glaucias, en Illyrie, région avec laquelle l’Epire a toujours eu des relations. Devenu fils adoptif du souverain, il va grandir avec ses enfants. Cassandre le réclamera à Glaucias en vain. Là, le futur roi va avoir une éducation axée sur l’action plus que sur l’enseignement théorique donné par des philosophes. Il va faire l’expérience de la liberté ce qui lui donnera plus tard l’envie du mouvement, celle de se dépenser physiquement.

De ce premier exil, il va surtout acquérir un sentiment violemment anti-macédonien.

Son père Eacide finit par récupérer son trône, mais pour peu de temps car, à l’occasion d’une nouvelle rébellion organisée par Cassandre, il est tué dans une bataille. Pyrrhus a six ans. Trop jeune pour régner, ses sujets épirotes préfèrent donner leur foi à son oncle Alceitas. Quelques années plus tard, celui-ci trouve la mort dans une guerre contre Cassandre.

Finalement, à douze ans, Pyrrhus est restauré une première fois par ses partisans. Ses tuteurs choisissent de s’allier avec les ennemis de Cassandre, c’est-à-dire avec Antigone le borgne, qui règne en Asie mineure (actuelle Turquie) et rêve de reconstituer l’empire d’Alexandre, surtout avec son fils Démétrios Poliorcète, « le preneur de villes ».

Une deuxième fois, Pyrhhus est détrôné par les partisans de Cassandre alors qu’il se trouve hors de son royaume, assistant au mariage d’un des fils de Glaucias. A sa place ses ennemis mettent sur le trône Néoptolème II, inféodé à la Macédoine. Une formidable coalition comprenant Lysimaque, roi de Thrace, Ptolémée 1er roi d’Egypte, Séleucos, Cassandre, roi de Macédoine se forme contre Antigone et Démétrios. Aux côtés de ces derniers, Pyrrhus participe à la bataille d’Ipsos, en 302 av. JC, en Asie Mineure. Il n’a alors que 17 ans mais suscite l’admiration de tous par sa vaillance. Pour la première fois, il fait montre de son goût pour la chose militaire. A cette bataille, Antigone et Démétrios sont vaincus. Antigone est même tué. Bien qu’il soit vaincu, Pyrrhos reste fidèle à Démétrios et le suit dans son exil. Il est son beau-frère depuis que le fils d’Antigone s’est marié avec sa sœur Deidameia.
Démétrios l’envoie comme otage à la cour de Ptolémée 1er Soter en Egypte. Là, il s’initie à la politique générale, acquiert culture et vernis, la manière de tenir son rang parmi ses pairs. Il s’entend très bien avec Ptolémée et sa famille. La reine Bérénice lui donne pour première épouse sa fille Antigonê. Mais Pyrrhus a compris qu’il avait été « largué » par Démétrios. D’ailleurs, les relations entre les deux beaux-frères se sont tendues depuis la mort de sa sœur Deidameia. Aussi Pyrrhus se résout-t-il à devenir la créature de Ptolémée 1er.

Celui-ci, apprenant que le puissant Cassandre a fini par rendre l’âme en l’année 298 av JC, parvient finalement à obtenir la restauration de son protégé en Epire, non par sentiment désintéressé, mais par politique, car c’est un bon moyen de contrer la Macédoine. Pour la deuxième fois, Pyrrhus est restauré dans son royaume grâce aux soldats du souverain d’Egypte, en 297. Néoptolème II est obligé de partager le pouvoir et un accord, non sincère, est conclu entre les deux hommes. Finalement, Pyrrhus parvient à faire assassiner son « collègue » et est seul maître du royaume. Il a 22 ans et est très ambitieux. Il est déterminé à lutter contre la Macédoine.

2. Guerre à la Macédoine.

Précisément, la première partie de son règne le verra tout entiers tourné vers la lutte contre ce puissant voisin dont il parviendra même un temps à se faire reconnaître le roi. Dans cette épopée macédonienne commencée avec son père, ses trois grands ennemis auront été successivement :

:arrow: Cassandre.
:arrow: Démétrios.
:arrow: Lysimaque.

Après la mort de sa première épouse Antigoné, Pyrrhus se remarie avec Lanifa, fille d’Agathocle, tyran de Syracuse, princesse de l’île de Corcyre, l’actuelle Corfou. Celle-ci passe alors pour la première fois dans le domaine épirote. Agathocle a choisi de la lui céder car elle est trop loin de la Sicile et il aime encore mieux la donner à son gendre plutôt qu’à la trop puissante Macédoine.

Après la mort de Cassandre, la Macédoine connaît plusieurs jeunes souverains sans envergure. Finalement règnent dans le pays deux frères, Antipatros et Alexandros. Le premier assassine sa mère et chasse Alexandros. Pyrrhus offre son aide à celui-ci mais lui demande de lui céder quelques provinces macédoniennes occidentales (Ambracie…). Antipatros doit s’enfuir. Un accord est à la fin conclu entre les trois souverains : la Macédoine est partagée entre les deux frères et Pyrrhus se voit confirmée la cession des provinces de l’ouest. Ainsi est-il devenu l’arbitre d’une Macédoine divisée.

Il va alors s’opposer à Démétrios Poliorcète qui dès lors sera son grand adversaire.

Celui-ci est alors occupé à guerroyer en Grèce ; il fait le siège d’Athènes. D’abord, il va profiter des problèmes conjugaux de Pyrrhus. Lanifa, las de l’infidélité de son époux, s’enfuit et rejoint son île de Corcyre. Elle propose à Démétrios de l’épouser. Ravi de l’occasion, le fils d’Antigone rejoint Corcyre, épouse Lanifa et se retrouve maître de l’île en l’enlevant à l’Epire.

La division de la Macédoine lui donne ensuite l’occasion d’intervenir dans le pays et il ne s’en prive pas. Il fait assassiner Alexandros envahit la Macédoine et s’en proclame le roi. Il est aussi le maître de la Thessalie inféodée à la Macédoine. Il ne reprend pas les provinces acquises par Pyrrhus cependant.
Le roi d’Epire entre en guerre contre lui. Il commence d’abord par s’occuper de son lieutenant Panmachos, grand général que Démétrios a laissé en Etolie. Pyrrhus se porte à sa rencontre et remporte la victoire.

Pour la première fois, il a montré sa valeur militaire et ses talents de stratège. Un immense prestige en est la conséquence dans le monde grec, chez les Epirotes bien sûr, aussi chez les Macédoniens qui, vaincus, ne l’en admirent pas moins. Du reste, très politique, il a bien traité ses prisonniers. Pour la première fois depuis la mort d’Alexandre, Grecs et Macédoniens réalisent qu’un roi a réussi à égaler ce dernier, non plus sur le plan politique et diplomatique comme c’était le cas jusqu’à présent, mais sur le plan militaire. Pyrrhus est vraiment son digne successeur.

Fort de son succès, il remonte vers le nord, la Macédoine. De son côté, Démétrios descend vers l’Etolie. Les deux rois se manquent. Pyrrhus ravage la Macédoine mais il doit y renoncer devant les forces supérieures de Démétrios, celui-ci revenu à la hâte. Le roi de Macédoine consent à traiter avec Pyrrhus, pour lui du menu fretin. Démétrios ne veut pas perdre de temps avec ce petit royaume. Il a d’autres projets ; il veut reconstituer l’empire d’Alexandre, refonder la monarchie universelle en s’emparant de l’Asie.

Un armistice est conclu. Mais Pyrrhus va le violer très rapidement sous la pression de ses nouveaux alliés. En effet, les ambitions de Démétrios ont ligué contre lui le roi de Thrace Lysimaque et les Etoliens. Pyrrhus envahit une nouvelle fois la Macédoine. Par son prestige et sa séduction, il parvient à détacher les soldats macédoniens de leur maître et celui-ci est contraint de s’enfuir.

Victorieux, Pyrrhus est proclamé roi de Macédoine. Dès lors, il se trouve maître de :

:arrow: L’Epire.
:arrow: La Macédoine.
:arrow: La Thessalie.

Pyrrhus est après cela confronté à Lysimaque, roi de Thrace. Celui-ci veut en découdre avec lui car il le trouve trop puissant. Utilisant les mêmes procédés dont Pyrrhus a usé envers les soldats macédoniens de Démétrios, il parvient à circonvenir ceux-ci en les persuadant qu’ils n’ont pas à obéir à un étranger. Le roi d’Epire, conscient qu’il ne fait pas le poids face à Lysimaque, est contraint d’abandonner Macédoine et Thessalie. Mais il garde toujours les provinces macédoniennes occidentales.

Malgré tout, durant ces seize années entre sa restauration en Epire et son échec face à Lysimaque, son bilan est très positif. Même s’il a échoué en Macédoine, il a réussi à constituer une grande Epire, bien plus forte et disposant de tous ses moyens, que celle qu’il avait trouvée au départ. Finalement, il a été pour l’Epire, ce qu’a été Philippe II pour la Macédoine : il en a fait un royaume puissant doté d’une forte armée. En tant que général, il a fait ses preuves et est resté invaincu ; si le roi de Thrace l’a empêché d’être roi de Macédoine, c’est par des moyens politiques, non militaires.

Dès lors, il est prêt pour s’engager dans une nouvelle aventure.



II. Pyrrhus contre Rome.

De nouveaux troubles agitent le monde gréco-macédonien. Lysimaque, après avoir évincé Pyrrhus de Macédoine, est en butte à l’offensive de Séleucos qui règne sur l’Asie. Il est vaincu et tué par celui-ci en 281 à la bataille de Kouroupédion exactement comme Antigone le borgne vingt ans plus tôt à Ipsos. Mais Séleucos ne profite pas longtemps de sa victoire. Il est assassiné à l’instigation de Ptolémée Kéraunos « la foudre », fils de Ptolémée 1er, candidat malheureux au trône d’Egypte, lequel s’empare de la Macédoine.

1. L’appel à Pyrrhus.


C’est à ce moment que la cité de Tarente en Italie du sud, menacée de plus en plus par Rome, fait appel aux services du roi d’Epire.
Deux raisons expliquent ce choix de Tarente :

:arrow: La proximité géographique de l’Epire face à l’Italie du sud.
Il suffit de parcourir sur mer une courte distance (certains historiens ont même cru qu’il avait envisagé de faire construire un immense pont !)

:arrow: Les précédents.

Tarente fait partie du monde grec. Plusieurs fois auparavant, des cités de la grande Grèce, de l’Italie du sud, avait fait appel à des condottières grecs pour les aider à lutter contre les peuples indigènes, les Lucaniens, les Messapiens :

:arrow: Le roi de Sparte Archidamos III, en 344.
Il avait pris quelques villes aux Indigènes avant de se faire tuer dans une embuscade.

:arrow: Alexandre le Molosse, un oncle de Pyrrhus.
Il avait malheureusement fini par se mettre à dos les cités grecques.

:arrow: Cléonymos, prince spartiate.

Luttant contre Rome, il lui imposa un traité que celle-ci finit vite par violer.

A chaque fois, l’intervention de ces princes avait prouvé que l’on pouvait se créer une situation de premier plan en intervenant en Italie.
Pour Pyrrhus, deux options se présentent à lui.

D’un côté, il peut continuer à lutter contre la Macédoine. Après les troubles qu’elle vient de connaître, la mort de Lysimaque, ce sera peut-être plus facile. Mais lutter contre Ptolémée Kéraunos est aléatoire. D’un autre côté, il est séduit par la nouveauté, la grande aventure ; d’un côté le passé, mais aussi une sorte de sécurité, de l’autre l’avenir, avec son côté incertain.

Finalement, c’est cette dernière option qu’il choisit. Ambitieux, il va tenter de fonder un empire. Quand il se sera imposé en Italie du sud, il ira en Sicile, alors en proie aux divisions depuis la mort du puissant Agathocle de Syracuse. L’île une fois conquise, il ira, pourquoi pas, s’occuper de Carthage et de la Libye. Une fois maître de la grande Grèce, de la Sicile et de l’Afrique, il règnera sur un immense empire, un tremplin lui permettant de conquérir la Grèce et la Macédoine. Finalement, il ne renonce pas à celle-ci, il choisit seulement de lutter sur un autre front. Tout cela lui paraît faisable. Il suffit simplement de vaincre les Romains, le reste ira tout seul. Ce que son cousin Alexandre a fait en Orient, lui le fera en Occident.

Pyrrhus pourrait se contenter de rester dans son royaume et de l’administrer tranquillement (du reste, pays hétéroclite, il en a besoin), mais cela ne l’intéresse pas. Il lui faut bouger, du mouvement, aller guerroyer à l’extérieur de chez lui, conquérir. Les conseils de modération ne lui ont pas manqué cependant, notamment de la part d’un certain Cinéas, philosophe de Thessalie présent à sa cour, lui faisant entendre que cette grande aventure est dangereuse. Pyrrhus l’estime et l’emmènera avec lui dans son expédition d’Italie mais n’aura cure de ses admonestations.

Tout ardent et impatient qu’il est, le roi d’Epire ne fait rien à la légère. Il ne sous-estime absolument pas la puissance de Rome. Il veut tout régler avant d’entreprendre son expédition en Italie. Pour commencer, il se livre à une intense préparation diplomatique auprès des cours hellénistiques. Excepté Ptolémée d’Egypte, tout le monde l’aide. Le souverain séleucide lui donne des fonds. Ptolémée Kéraunos lui fournit cinquante éléphants, des éléphants asiatiques, plus intelligents, dociles et efficaces que leurs congénères africains.

En fait, ses pairs l’aident pour deux raisons, d’abord parce qu’ils sont ravis de voir s’éloigner cet excité, notamment de la Macédoine, ensuite parce qu’ils sont favorables à cette manière de croisade visant à soutenir l’hellénisme occidental contre le Barbare romain. Pyrrhus confie son royaume d’Epire à son fils Ptolémée et part pour l’Italie. Il emmène avec lui sa propre armée malgré les offres des Tarentins qui lui ont proposé de le placer à la tête de la leur, car il veut être indépendant.

2. Pyrrhus en Italie.

Lors de la traversée en mer, une tempête met à mal ses navires et il en perd quelques-uns. Il finit cependant par débarquer et est bien accueilli par les populations lucaniennes, messapiennes. Avec ses soldats, il est bien reçu également à Tarente, d’autant plus qu’il y avait envoyé au préalable son conseiller Cinéas pour préparer le terrain.

Tout de suite, il se met à la tâche. Ainsi, il restreint la liberté des Tarentins et des cités qui lui sont alliées, augmente impôts et contributions, force les jeunes Tarentins, assez indolents, à s’engager dans son armée. Il les mélange à ses soldats épirotes car il ne veut pas qu’ils constituent une force autonome susceptible de se mutiner. Pyrrhus ne voulait pas que se renouvelle l’exemple de son oncle Alexandre le Molosse, son prédécesseur, lequel n’avait pas réussi à s’imposer réellement aux habitants. S’il voulait faire du bon travail contre les Romains, il devait disposer d’une base arrière absolument sûre. En général, la population a bien accepté les mesures prises par ce « tyran », surtout le parti démocratique, qui l’avait fait venir. En ce qui concerne le parti aristocratique, c’est différent, car il était partisan de la conciliation avec Rome. Aussi, un certain noble nommé Aristarchos s’est enfui de Tarente et est probablement allé renseigner les Romains sur les projets du roi d’Epire.

Pyrrhus a avec lui, outre les alliés grecs de Tarente, les Samnites, les Lucaniens, les Bruttiens, les Messapiens.


3. Le temps des victoires.

Contre Rome, il va remporter deux grandes victoires :

:arrow: Héraclée.
:arrow: Ausculum.

Pour la première fois, les Romains ont à combattre un ennemi « trans marin », c’est-à-dire venu de l’extérieur de l’Italie. Au moment où celui-ci arrive, ils sont aux prises avec une révolte des Etrusques qu’ils ont soumis il y a peu. Ils ont à leur disposition deux armées, l’une et l’autre commandées par les consuls du moment, celle contre les Etrusques commandée par le consul Cornificius, celle supposée intervenir en Italie du Sud commandée par le consul Laenivius.

Deux coalitions s’affrontent : d’un côté, Rome et ses « alliés » italiens (contraints de combattre avec elle en fait) sous la direction de Laenivius, de l’autre Pyrrhus et ses alliés d’Italie du sud. La rencontre a lieu à Héraclée, dans une plaine le long de la côte d’Ionie, en juillet 280. Le glaive romain affronte la sarisse (longue lance) grecque. Alors que les Romains commencent à faiblir, le roi d’Epire lance ses fameux éléphants. Les citoyens de l’Urbs, terrifiés par ces bestioles qu’ils n’ont jamais vues, sont littéralement écrasés, dans tous les sens du terme, et Pyrrhus est vainqueur. Il a alors 39 ans.
La conséquence de sa victoire est que toute l’Italie du sud se rallie à lui. Malheureusement, il n’obtient pas l’alliance des villes de Campanie, notamment celle de Naples et de Capoue, rétives à être alliées aux Samnites, dans le camp de Pyrrhus, autrefois durs ennemis.

On a parlé à ce sujet de « victoire à la Pyrrhus », une victoire sans lendemain. En fait les historiens antiques (Plutarque, Appien…) ont été influencés par les analystes romains, absolument furieux que leur patrie se soit fait battre. Aussi ont-ils insisté sur la vaillance des Romains, laquelle aurait frappé le roi d’Epire. Il est certain que ce dernier a laissé pas mal de bons soldats sur le terrain mais de là à être impressionné par ceux qu’il avait vaincus… Quant au prétendu découragement qu’il aurait éprouvé devant la résistance romaine, il doit être tout relatif car, aussitôt après sa victoire, il marche sur Rome.
Il aurait, paraît-il, aperçu de loin les murs de la Ville. Mais il ne put se résoudre à la prendre car, aventuré en territoire latin inconnu, il s’était avancé loin de ses bases. Laenivius, après sa défaite, avait regroupé les rescapés et pouvait s’appuyer sur Naples et Capoue précisément. Par ailleurs, l’autre armée, celle du consul Coruncanius, n’avait pas été vaincu et pouvait le menacer. En fait, le roi d’Epire n’escomptait pas prendre Rome. S’il s’était avancé vers elle, c’était pour trois raisons :

- tenter de détacher de l’Urbs les cités d’Italie centrale.
- soulever les Etrusques, mal soumis, et les lancer contre Rome, dès lors pris dans un étau.
- Intimider les Romains et les forcer à traiter.

Sur tous ces points, il fut déçu. Les villes alliées ne firent pas défection. Les divisions des unes et des autres ont joué en faveur de Rome. C’est le même problème auquel se heurtera plus tard Hannibal qui ne réussit pas lui non plus à détacher les Italiens de l’alliance romaine.

Quant à intimider les Romains, le roi d’Epire a envoyé, en avant-garde de son armée, Cinéas négocier avec le Sénat. Avant cela, il a libéré des prisonniers romains, à la demande de Fabricius, ambassadeur de Rome, pour mieux séduire le Sénat romain. La paix qu’il lui propose est dure mais non inacceptable. Telle était la volonté de Pyrrhus pour que Rome accepte facilement sa paix et qu’il puisse mener à bien plus vite ses vastes projets. Il propose à Rome un partage d’influence en Italie : le sud pour lui, tout le reste de la péninsule pour elle. Il demande aussi que leurs terres soient rendues aux Samnites. Ces exigences ont été bien près d’être acceptées. Mais l’intervention du sénateur Appius Claudius, digne patriarche aveugle et paralytique qui en impose par son prestige grâce à son activité politique passée en faveur du parti démocrate, parvient à faire refuser par la haute assemblée ces propositions. En fait, les Romains n’ont aucune raison de demander la paix. Laenivius, malgré sa défaite, reste redoutable et surtout, celle de Coruncanius vient de battre les Etrusques et est à présent disponible. Aussi, Rome a encore des forces conséquentes.

Puisque, les Romains n’ont pas compris, Pyrrhus se résout à poursuivre la guerre. Ses entreprises l’amènent en Apulie (les Pouilles actuelles) pour mettre à la raison les cités favorables à l’Urbs, notamment la colonie romaine de Venouse.

Peu soucieux de laisser vaincre leur allié, les Romains se portent à la rencontre de l’envahisseur et lui livrent une nouvelle bataille à Ausculum en 279.
De nouveaux, ils sont battus, même si, bravaches, ils se proclament victorieux. Cette fois-ci, méfiants, ils n’ont pas attaqué les premiers, contrairement à Héraclée, mais ont attendu l’attaque des Epirotes. Une fois encore, les éléphants du roi d’Epire ont fait leur œuvre. Les Romains, se souvenant de leur première expérience, auraient cependant essayé de les contrer en lançant contre eux des chars munis de faux et d’étoupes enflammées. Mais cela n’a pas marché car Pyrrhus les a lancés en un autre endroit.

Les deux victoires remportées par Pyrrhus s’expliquent par ses qualités de stratèges. La formation en phalange était alors adoptée par les souverains hellénistiques. La phalange était en fait une « forteresse mobile », très peu mobile en fait et peu manœuvrable. De cette faiblesse tout le monde était parfaitement conscient. Les troupes légères disposées en avant, notamment, celles chargées d’affaiblir l’ennemi en lui lançant flèches ou javelots, n’avaient pas la possibilité de se retirer rapidement car aucun intervalle n’était disposé à l’arrière dans la phalange. Il lui fallait se retirer sur les côtés ce qui réduisait nécessairement leur temps d’action. Les souverains ont essayé de remédier à ces inconvénients chacun à leur manière, Philippe II en donnant une certaine importance aux troupes légères, Alexandre, par la cavalerie, ce qui réduisait la phalange à être une simple « enclume ».
Pyrrhus, lui, sut innover en fractionnant la phalange et en disposant entre ces formations plus réduites des troupes légères, rendant plus souple la stratégie d’ensemble. Dans tous les cas, contrairement à ce qu’avait fait Porus contre Alexandre à la bataille de l’Hydaspe, ou plus tard, Démétrios, il n’envoie jamais ses éléphants au début, mais à la fin, pour faire la décision et en finir définitivement avec l’adversaire.

Une nouvelle fois, Cinéas se rend à Rome pour formuler les exigences de son roi. Une nouvelle fois, les Romains refusent, non plus par fierté patriotique comme précédemment, mais pour des raisons plus pragmatiques. Ils ont en effet obtenu l’alliance de Carthage. La cité punique (en Tunisie) se sent menacée par le roi d’Epire en Sicile où elle est très possessionnée. Carthage promet à Rome le concours de sa flotte, très puissante, pour le transport de ses soldats, Rome promet à Carthage l’aide des légionnaires en Sicile contre Pyrrhus. En fait, ces clauses ne seront jamais appliquées, mais le traité entre les deux cités est capital car sans l’alliance de Carthage, Rome aurait peut-être conclu la paix avec Pyrrhus à son désavantage et le cours de l’Histoire en aurait été changé.

Après Ausculum, Pyrrhus et les Romains restent un temps inactifs. Cependant le roi est sollicité par les Grecs de Sicile durement éprouvés par Carthage. Après la mort du grand Agathocle aucune forte personnalité ne s’est élevée dans l’île pour lutter contre la cité punique et les Siciliens sont terriblement divisés, ce qui les rend vulnérables. Les Puniques assiègent Syracuse et sont sur le point de s’en emparer. Les Grecs sont conscients qu’ils ne peuvent triompher par leurs propres moyens, il leur faut l’aide de Pyrrhus.

Deux options s’offrent de nouveau à ce dernier, encore une fois l’Est ou l’Ouest. D’une part, il peut quitter l’Italie et recommencer sa lutte contre la Macédoine, à présent plus aisée car Ptolémée Kéraunos, son souverain, est mort. D’autre part, il peut choisir une fois encore l’aventure en allant toujours plus à l’ouest.

C’est cette dernière décision qu’il prend. Puisqu’il n’arrive pas à vaincre définitivement Rome, il ira secourir les Siciliens. Il estime qu’une fois conquise l’île, riche terre à blé qui lui apportera un surcroît de puissance, il pourra vaincre plus facilement les Romains. C’est un peu la même idée qui lui a fait entreprendre son expédition en Italie pour s’emparer plus facilement de la Macédoine.

Comme avant son expédition d’Italie, il ne fait rien à la légère et règle tout au préalable. A la demande des Grecs d’Italies du sud, il laisse la moitié de son armée, 10000 hommes, en garnison chez eux pour les protéger des Romains.


III. Pyrrhus en Sicile.


1. Pyrrhus impose son pouvoir.

Avec 60 navires, notamment ceux prêtés par les Syracusains, il s’embarque, évite la flotte de Carthage et débarque en Sicile où il est triomphalement accueilli. Il marche tout de suite sur Syracuse, alors assiégé par les Carthaginois. Bien que ces derniers soient cinq fois plus nombreux, ils préfèrent déguerpir, se souciant très peu d’affronter celui qui a vaincu les Romains par deux fois ! Toutes les villes lui ouvrent leurs portes et il est proclamé roi de Sicile. Déjà avant lui, Denys l’ancien et Agathocle de Syracuse avait eu le même honneur, mais se l’était procuré par la force. Lui l’obtient décerné par tous les Siciliens, dans l’allégresse générale.

Fort de ce titre, il assure son hérédité en décidant que son fils Alexandre aura après sa mort l’Italie, son fils Helenos, qui plus est petit-fils du grand Agathocle celui-là, aura la Sicile (son aîné Ptolémée règnera en Epire), « Royaume des Deux-Siciles » avant l’heure. Puis, il prépare son armée pour lutter contre Carthage : un tiers de celle-ci est constitué par ses soldats épirotes, les deux autres tiers, des Siciliens.
Il impose à l’île un monnayage approprié pour bien asseoir son pouvoir.

2. Les combats contre Carthage.

Sa guerre en Sicile est une guerre de sièges, non de batailles, car les Carthaginois ne veulent absolument pas l’affronter. Une par une, il prend les forteresses puniques, bien que beaucoup soient réputées inexpugnable. Il s’illustre notamment en s’emparant d’Eryx, qui pourtant sera l’un des nids d’aigles inatteignables à partir duquel Hamilcar Barca lancera ses opérations de guérilla contre les Romains lors de la première guerre punique.
Le roi d’Epire s’empare de toutes les forteresses jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le port de Lilybée, dernière possession de la cité punique.
Ancienne fondation Carthaginoise, Lilybée voit alors ses fortifications renforcées par ses occupants, lesquels multiplient les tours de gués du côté de la terre. Pyrrhus ne peut la prendre par mer, Carthage pouvant la ravitailler sans problème, il est obligé d’en ordonner l’assaut. Mais il a beau faire, il ne parvient pas à s’emparer du port trop bien défendu. Après deux mois d’efforts infructueux, il lève le siège.

Après cet échec, il décide de se lancer dans une nouvelle opération. Puisqu’il ne parvient pas à chasser complètement les Carthaginois de la Sicile, il ira les attaquer sur leur propre terrain en Afrique, une fois encore stratégie indirecte visant à venir à bout de ses ennemis sur un autre front. On a pensé qu’il était versatile en faisant cela, mais en fait, l’Afrique, mirage fascinant, a toujours été le but ultime de son entreprise, l’aboutissement du grand empire occidental qu’il voulait créer.

Il a une flotte pour passer la mer, mais elle manque d’équipages. Aussi demande-t-il aux Grecs de Sicile de lui en fournir. Mais là, ils ont le front de les lui refuser ! Pyrrhus est furieux. Il a beau faire exécuter quelques personnalités sous prétexte de complots, rien n’y fait. Finalement, Pyrrhus n’aura jamais l’occasion de vaincre Carthage en Afrique, ce qu’avait tenté son beau-père Agathocle et ce que ne réussira plus tard que Scipion l’Africain.
Le roi est frappé par la décadence morale des Siciliens. Ils avaient l’occasion de se débarrasser une bonne fois pour toutes de l’ennemi multiséculaire carthaginois, ils refusaient de faire les sacrifices nécessaires ! Dégouté, Pyrrhus décide de partir et de regagner l’Italie. Que peut-il faire d’autre ? Il s’en va donc avec un butin énorme et 30000 hommes, c’est-à-dire bien plus de soldats que ceux avec lesquels il était venu car il a recruté dans la grande île des mercenaires. Son aventure en Sicile aura duré près de deux ans. Il aurait supputé sur « le beau champ de bataille laissé en Sicile entre Romains et Carthaginois ». C’est faux en fait, car les Romains n’avaient pas encore soumis l’Italie du sud et la Sicile était pour eux à l’époque la 5ème roue de la charrette.

Carthage profite de sa traversée pour l’attaquer sur mer avec sa flotte toute puissante et remporte la victoire, c’est-à-dire détruit les bateaux de guerre de Syracuse chargés d’escorter Pyrrhus, véritable « Trafalgar » pour la cité grecque qui doit définitivement laisser la maîtrise des mers à Carthage. Cependant, les bateaux de transports ne sont pas atteints par les puniques et Pyrrhus peut débarquer avec son armée.



IV. Derniers combats en Italie.


Il entreprend alors, après celles d’Héraclée et d’Ausculum, sa troisième campagne contre Rome. Durant son absence, les Romains, sans pour autant tenter de s’emparer de Tarente bien défendue par la garnison que Pyrrhus y a laissée, ont grignoté peu à peu l’Italie du Sud. Deux peuples notamment s’opposent à l’Urbs, les Lucaniens et les Samnites. Ces derniers, malgré quelques succès, sont découragés par les dévastations romaines sur leur territoire. Pour les secourir, laissant une armée en Lucanie, Pyrrhus s’avance avec ses principales forces dans le Samnium. Il est menacé par deux armées romaines, chacune commandée par l’un des deux consuls en activité. Le roi d’Epire décide de livrer bataille à celle qui a à sa tête le consul Curius avant que l’autre consul fasse sa jonction avec lui, en 275. L’armée romaine occupe alors une position formidable sur une hauteur à Bénévent. Les forces sont égales dans les deux camps.

Pyrrhus envoie, de nuit, ses meilleurs soldats surprendre les Romains bien retranchés et dont le chef, qui se soucie fort peu de l’affronter, veut rester dans l’expectative. Arrivés trop tard alors qu’il fait jour, complètement crevés après avoir gravi la montagne, les Epirotes attaquent les Romains dans de mauvaises conditions. D’abord surpris, ceux-ci les repoussent puis passent à l’offensive dans la plaine en bas. Sur l’une des ailes, ils ont vainqueurs, ailleurs les éléphants de Pyrrhus font une nouvelle fois merveilles. Finalement, le roi d’Epire choisit de se retirer laissant le champ de bataille aux Romains ce qui permet à ceux-ci de dire qu’ils sont vainqueurs. Mais ils n’ont certainement pas remporté une victoire écrasante. Le roi n’a pris cette décision que parce qu’il le voulait bien, il pouvait continuer encore à se battre et ses ennemis se gardent bien de le poursuivre. Finalement, Bénévent n’est qu’un combat indécis.

Avec l’armée qu’il a laissé en Lucanie, ses forces sont en définitif intactes et il peut très bien continuer la guerre contre Rome. Mais il comprend qu’il est impossible de venir à bout de l’Urbs sans des troupes supplémentaires. Pour en obtenir, il fait appel à ses pairs, les monarques hellénistiques. Ces derniers refusent, peu intéressés. Réaliste, Pyrrhus décide alors de quitter l’Italie et de retourner en Epire. Mais, il est déterminé à revenir et dans ce but il laisse une garnison à Tarente sous le commandement de son lieutenant Milon ainsi que son fils Hélénos. Ce n’est que plus tard, qu’il demandera à Milon de lui renvoyer la plupart de ses soldats quand il en aura besoin. Il pense, toujours de manière indirecte, qu’une fois qu’il aura conquis la Macédoine et la Grèce, il disposera de forces conséquentes lui permettant d’en finir avec Rome.

Celle-ci a beaucoup appris de sa confrontation avec le roi d’Epire, tant sur le plan militaire que sur le plan diplomatique.
Pour la première fois, les consuls, simples magistrats en fait, ont eu à faire face à un grand général pour qui la victoire ne dépendait pas seulement de la vaillance des soldats, mais d’une bonne stratégie, de la meilleure façon de manier les corps d’armée, d’envoyer ses meilleurs éléments au moment choisi. Cela a incité les Romains à perfectionner leurs formations manipulaires. Ils ont aussi amélioré la façon de dresser des camps pour cantonner les soldats. Sur le plan diplomatique, ils ont appris à dialoguer avec les souverains hellénistiques, les ambassades de Cinéas ont été pour eux un apprentissage. Avec Pyrrhus, Rome est entré dans le concert des grandes puissances.

V. Le retour en Epire.

1. Lutte contre la Macédoine

Une fois revenu en Epire, Pyrrhus se livre à des opérations de razzias en Macédoine. Après la mort de Ptolémée Kéraunos, tué par les Celtes, le royaume voisin est en proie à l’anarchie. Plusieurs candidats au trône se disputent le pouvoir. L’un d’eux, Antigone Gonatas, finit par triompher. Les Macédoniens l’acceptent car il est sage et pondéré.

Des opérations de razzias, Pyrrhus devient plus ambitieux et veut devenir roi de Macédoine. Il va faire la guerre à outrance contre Antigone, dès lors son plus grand ennemi.

Il commence par tenter de circonvenir les soldats de son ennemi, comme il l’avait fait autrefois, mais en vain. Il guerroie alors contre lui et remporte la victoire aux passes de l’Aoos en 274. Une deuxième fois, Pyrrhus est roi de Macédoine. Mais il s’y rend impopulaire en laissant stupidement ses soldats galates piller les tombes des rois à Aigai, « Saint Denis » des Macédoniens.

Antigone Gonatas doit quitter son royaume. Il lui reste cependant des points d’attache en Macédoine et en Grèce, notamment sur la côte où il peut disposer d’une flotte puissante lui permettant de narguer son ennemi.


2. Passage en Grèce.

Le roi d’Epire décide de passer en Grèce pour en finir avec lui. Il est séduit par les propositions de Cléonymos, prince de Sparte l’ayant autrefois précédé en Italie, qui lui demande de l’aider à prendre le pouvoir. Si Pyrrhus en fait le roi de Sparte, il aura là un homme lui devant tout, ce qui lui permettra d’arracher à Antigone ses dernières enclaves dans le monde grec. En même temps, il veut conquérir le Péloponnèse. Une fois tout cela réalisé, il reviendra en Italie en finir avec Rome. Et puis, pourquoi pas, ne s’intéresserait-il pas ensuite à l’Asie…

Pyrrhus ravage la Laconie. Mais de même qu’il s’est acharné inutilement contre Rome, il va refaire la même erreur contre Sparte, que n’avaient d’ailleurs réussi à prendre dans le passé ni Epaminondas, ni Philippe II. Il décide d’en faire le siège. Arrivé à la tombée de la nuit, il commet l’erreur de ne pas l’attaquer tout de suite, car, paniqués, les Spartiates n’étaient pas encore en mesure de se défendre. En fait, Pyrrhus ne voulait pas livrer la ville à sa soldatesque, la prendre seulement par pure violence, car cela l’aurait empêché de remettre Cléonymos au pouvoir, les Spartiates n’en auraient pas voulu. Quand il s’est enfin résolu à l’assiéger, les Spartiates se sont entretemps organisés. Sous l’action des femmes surtout, ils sont résolus à la résistance à tout prix. Une certaine Archidamia, en particulier (grand-mère du futur roi Agis IV) exhorte ses compatriotes à lutter. Pyrrhus a beau faire, il ne parvient pas à prendre la ville, c’est un échec. La valeur guerrière légendaire spartiate s’est vérifiée. Il doit prendre le large, d’autant plus qu’Antigone Gonatas arrive et qu’il risque d’être pris entre deux feux.

Il entreprend alors d’aller prendre Argos, autrefois grande rivale de Sparte dans le Péloponnèse, à présent son alliée contre Pyrrhus.
C’est là que l’attendait son destin.
C’est une course de vitesse contre Antigone qui lui aussi veut avoir Argos, base essentielle. La campagne n’est pas simple pour le roi d’Epire car les Spartiates ne se sont pas reposés sur leurs lauriers après la levée du siège mais, à leur tête leur chef Areus, l’ont poursuivi et ont harcelé ses troupes. Au cours d’un engagement, le fils aîné de Pyrrhus, Ptolémée, a trouvé la mort à l’âge de 24 ans, tué par des soldats d’élite commandés par un certain Evalcos. Fou de douleur, le roi s’est livré à un combat acharné contre ceux qui l’avait tué, tuant notamment Evalcos.

Cela fait, il arrive devant Argos pour s’apercevoir qu’Antigone Gonatas l’a devancé et occupé ses hauteurs. Malgré tout, Pyrrhus entre dans la ville. Des engagements violents ont lieu avec les habitants. D’une fenêtre, une femme, s’apercevant que son fils est en difficulté, lance à Pyrrhus une tuile et le blesse mortellement à la nuque. Achevé par un ennemi, sa tête sera tranchée et apportée à Antigone Gonatas. Pyrrhus avait 47 ans.

Ce dernier aura la sagesse de laisser revenir les soldats épirotes chez eux. Conscient que son ennemi était davantage Pyrrhos que le royaume sur lequel il régnait, il consentira même à laisser à celui-ci les provinces macédoniennes dont son roi s’était emparé. En fait, son principal ennemi à présent n’était plus l’Epire mais l’Egypte de Ptolémée.


Conclusion.

Pyrrhus a tenté de créer un empire en Occident, comme l’avait fait Alexandre en Orient. Contrairement à ce dernier, il n’y est pas parvenu. Mais il faut dire que la situation n’était pas la même. Alexandre avait affaire à la Perse, alors, malgré les apparences, en pleine décadence. Le roi d’Epire avait affaire à Rome, peuple guerrier et en pleine ascension ; c’était une autre paire de manches. De plus, contre la Macédoine et une Grèce bien tenue en main, le petit royaume d’Epire ne faisait pas le poids. Le roi a dû aussi compter avec les Grecs d’Occident, pas toujours de bonne volonté, et n’avait pas de moyens suffisants à sa disposition. Paralysés par des siècles de prospérité et de division, les habitants de l’Italie du sud étaient capables d’un sursaut d’indignation passager, non d’une résistance suivie contre l’Urbs. Enfin, Pyrrhus était seul et n’avait pas à ses côtés de personnalités d’envergure si l’on excepte Milon et Cinéas, tandis qu’Alexandre avait avec lui une cohorte d’hommes d’élite, généraux ou conseillers, qui d’ailleurs ont fait parler d’eux après sa mort.

On a dit que c’était un grand général mais un mauvais homme d’Etat. Mais c’est injuste ou alors il faudrait dire la même chose d’Alexandre, Hannibal ou Napoléon ! En fait Pyrrhus, ne changeait pas d’avis brusquement, comme cela sans réfléchir. Ces décisions étaient toujours muries par de longs mois de réflexion. Toujours, il s’est efforcé de profiter de toutes les opportunités s’offrant à lui.

Malgré son échec, Pyrrhus, par ses guerres, a cependant contribué à décloisonner l’hellénisme de la Méditerranée occidentale, à mettre en contact l’hellénisme oriental avec celui-ci. Il a forcé les Romains à s’intéresser davantage à l’hellénisme, à s’imposer d’abord aux Grecs d’Italie du sud puis plus tard au monde grec oriental. Sans le roi d’Epire, les Carthaginois se seraient emparés de toute la Sicile, même si son départ a effectivement livré l’île aux Barbares, tant ceux du nord que ceux du sud. Si les Grecs ont pu en conserver un tiers, c’est à Pyrrhus qu’ils le doivent.

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 21 Nov 2023 13:35 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 11 Jan 2009 11:45
Message(s) : 39
Merci beaucoup pour ce compte-rendu sur Pyrrhus


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