Au sujet du ravitaillement, on nous permettra de citer Christian Goudineau (
César et la Gaule - Editions Errance, 1990) :
Christian Goudineau a écrit :
Le premier problème logistique tient au ravitaillement des troupes. L'alimentation du soldat repose essentiellement sur le blé (frumentum) transformé en pain, en biscuits ou en galettes; s'y ajoutent des produits de complément (que César désigne sous le terme de commeatus), notamment de la viande, mais qui ne sauraient se substituer complètement au blé. Ainsi, en 52, devant Bourges, l'armée romaine, victime de la politique de la « terre brûlée» instaurée par Vercingétorix, se trouva sans blé et n'échappa aux horreurs de la famine que grâce à du bétail amené depuis des bourgs assez lointains - situation anormale et préoccupante. Or, on estime à 1 kg environ la ration journalière d'un soldat, soit environ 50000 kg pour une dizaine de légions, chiffre à doubler (au moins) pour tenir compte de tous les «accompagnateurs» (valets, esclaves, prisonniers, mercenaires, auxiliaires) : un minimum de 1 00 tonnes de blé par jour !
En théorie, l'armée disposait de services chargés du ravitaillement, encore qu'à certaines époques les «fournitures» aient été affermées à des sociétés privées. César évoque un chevalier romain, C. Fufius Cita, massacré à Orléans par les Carnutes début 52, qu'il avait chargé de l'intendance frumentaire, et diverses citations font allusion à ses transports de blé, par exemple remontant la Saône (depuis la Provincia ?). Mais il semble bien que l'essentiel doive être trouvé sur place: «dons» volontaires des peuples amis, réquisitions sur les peuples ennemis ou vaincus, pillage des greniers, moissons faites dans les champs. Dans la Guerre des Gaules, l'obsession du ravitaillement éclate presque à chaque page. A quoi s'ajoutent les besoins en fourrage, eux aussi considérables, non seulement pour les montures des cavaliers et des officiers (de 4 000 à 8 000 selon les moments) mais aussi pour les bêtes de somme qui assuraient le train, elles aussi au nombre de plusieurs milliers.
En 58, lancé à la poursuite des Helvètes, César s'inquiète :
César réclamait chaque jour aux Éduens le blé qu'ils lui avaient officiellement promis. Car, à cause du froid -la Gaule, comme on l'a dit précédemment, est un pays septentrional-, non seulement les moissons n'étaient pas mûres, mais le fourrage aussi manquait; quant au blé qu'il avait fait transporter par eau en remontant la Saône, il ne pouvait guère en user, parce que les Helvètes s'étaient écartés de la rivière et qu'il ne voulait pas les perdre de vue. Les Éduens différaient leur livraison de jour en jour: «On rassemblait les grains, disaient-ils, ils étaient en route, ils arrivaient. » Quand César vit qu'on l'amusait et que le jour était proche où il faudrait distribuer aux soldats leur ration, il convoque les chefs éduens qui étaient en grand nombre dans son camp. ( ... ) II se plaint vivement que, dans l'impossibilité d'acheter du blé ou de s'en procurer dans la campagne, quand les circonstances sont si critiques, l'ennemi si proche, il ne trouve pas d'aide auprès d'eux et cela, quand c'est en grande partie pour répondre à leurs prières qu'il a entrepris la guerre; plus vivement encore, il leur reproche d'avoir trahi sa confiance.
(I.16)
La même année, lorsque l'armée apprend que César projette une campagne contre les Germains d'Arioviste, les soldats, paniqués à l'idée d'affronter ces guerriers redoutables, prétextent
qu'ils ne craignaient point l'ennemi, mais les défilés qu'il fallait franchir et les forêts immenses qui les séparaient d'Arioviste, ou bien ils prétendaient redouter que le ravitaillement ne pût se faire dans d'assez bonnes conditions.
(I,39)
A quoi César répondit de la manière suivante:
Ceux qui déguisaient leur lâcheté en prétextant qu'ils étaient inquiets de la question des vivres et des difficultés de la route, ceux-là étaient des insolents, car ils avaient l'air ou de n'avoir aucune confiance en leur général, ou de lui dicter des ordres. Il s'occupait de ces questions: du blé, les Séquanes, les Leuques, les Lingons en fournissaient, et les moissons étaient déjà mûres dans les champs.
(I.40)
A la fin 57 et au début 56, P. Crassus hivernait avec la VIIe légion chez les Andes, à proximité de l'Océan. Le blé faisant défaut dans ces parages, il envoya des préfets et des tribuns militaires dans les États voisins pour y chercher du blé et des vivres. Les Vénètes s'emparent des envoyés et transportent tout leur blé dans leurs places fortes, pensant que les troupes romaines à cause du manque de blé ne pourraient demeurer longtemps chez eux. Ce fut le début de la guerre vénète.
Lors du premier débarquement en Bretagne, lorsque la tempête brisa les navires, la consternation qui s'empara de l'armée tenait principalement aux vivres: On n'avait fait aucune provision de blé pour passer la saison d' hiver en ces lieux.
On n'en finirait pas de donner des exemples, en particulier tirés du livre VII (les campagnes de 52). Les troupes gauloises connurent elles-mêmes à Alésia les affres de la disette.
Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir les légionnaires, accompagnés de valets et de bêtes de somme, se transformer en moissonneurs et en fourrageurs , ce qui leur valut parfois de tomber dans des embuscades. A l'exemple déjà proposé de la légion de Q. Cicéron à Atuatuca, ajoutons un épisode qui se produisit en Bretagne, après le naufrage de la flotte :
Comme, selon l'habitude, une légion - c'était la septième - avait été envoyée au blé et sans que rien jusque-là se fût produit qui pût faire craindre des hostilités, une partie des Bretons restant aux champs, d'autres même fréquentant notre camp, les gardes qui étaient en avant des portes annoncèrent à César qu'un nuage de poussière d'une grosseur insolite se voyait du côté où était partie la légion. César - et il ne se trompait point- soupçonna quelque surprise des Barbares : il prit avec lui, pour aller de ce côté, les cohortes qui étaient aux postes de garde et ordonna que deux de celles qui restaient en fissent la relève, tandis que les autres s'armeraient et le suivraient sans retard. S'étant avancé à quelque distance du camp, il vit que les siens étaient pressés par l'ennemi et se défendaient péniblement : la légion formait une masse compacte sur laquelle les traits pleuvaient de toutes parts. Comme, en effet, le blé avait été coupé partout, sauf en un endroit, l'ennemi, soupçonnant que nous y viendrions, s'était caché la nuit dans des bois; puis, tandis que nos hommes étaient dispersés, sans armes, et occupés à moissonner, ils les avaient assaillis soudainement, en avaient tué quelques-uns, et avaient jeté le trouble chez les autres qui n'arrivaient pas à se former régulièrement; en même temps, la cavalerie et les chars les avaient enveloppés.
(IV, 32)
Plusieurs fois, César indique que le «jour de la distribution» du blé aux soldats était arrivé ou allait arriver. Quelle en était la périodicité? De quelle quantité s'agissait-il? On ne sait exactement. Le seul texte un peu explicite - il est de Cicéron - concerne le paquetage du soldat :
Vous voyez que de peine, que de fatigues dans ces déplacements ( ... ) Le soldat doit porter des vivres pour plus de quinze jours, porter tout ce qui doit lui servir, porter un pieu pour la palissade. Le casque, le bouclier, l'épée, nos soldats ne les comptent pas plus en poids que leurs épaules, leurs bras, leurs mains - ne dit-on pas que les armes sont les membres du soldat?
II,37
Une quinzaine de jours de blé, - en leur adjoignant un peu de pain, de sel, de fromage, cela représenterait de 15 à 20 kg, à quoi il faut ajouter le pieu et les armes. Or, le soldat portait également quelques ustensiles de cuisine : une marmite (à bouillir), une broche (pour rôtir la viande), sans doute une sorte de cocotte en céramique pour confectionner des galettes, et une coupe. Avec les armes, le paquetage devait avoisiner les 38 kg du zouave de Napoléon III. A noter que César n’évoque pas une seule fois le vin, ni même la boisson du légionnaire, la posca, un mélange de vinaigre et d’eau.