MITHRIDATE VI EUPATOR
Roi du PontPar Théodore REINACH
(Paris, Librairie de Firmin-Didot et Cie, 1890)
Mithridate VI le grand (132-63 avant JC), célèbre adversaire de Rome, fut roi du Pont de 120 à 63 avant JC. .
Le Pont était un royaume situé au sud de la mer noire, au nord de la Turquie actuelle.
I. Les origines.1. Les ancêtres de Mithridate.A l’origine, les ancêtres de Mithridate étaient d’obscurs nobles perses aventureux qui s’étaient emparés du pouvoir dans la ville de Cios, colonie grecque sur la mer noire, en Mysie (nord-ouest de la Turquie) pas loin du site de l’ancienne Troie. Ils en étaient devenus les tyrans à la suite des conquêtes de Cyrus. L’un d’eux, bien en cour à Persépolis, avait été satrape de Phrygie.
A leur époque, le Pont, au nord, et la Cappadoce, au sud, faisait partie de la même Satrapie. Leurs peuples étaient parents et avaient la même origine.
Puis vint Alexandre.
Prenant habilement partie dans la guerre entre ses successeurs, notamment en faveur d’Antigone le borgne, un Mithridate fut favorisé par ce dernier dans sa ville de Cios avant d’être mis à mort par son protecteur pour l’avoir trahi au profit de Cassandre son ennemi. Son fils, prénommé aussi Mithridate, ami d’enfance de Démetrios Poliorcète, fils d’Antigone et grand capitaine de son temps, s’enfuit pour éviter le même sort. Après cet « hégire », il connut un retour de fortune après la défaite d’Antigone à Ipsos en 301, et fut reconnu par les Séleucides comme souverain de ce que l’on appelait alors la « Cappadoce pontique », soit la Cappadoce du nord, celle donnant sur la mer noire, et que pour simplifier on appela très vite le Pont, du nom du Pont-Euxin, la mer noire. Le pays fut dès lors séparé de la Cappadoce proprement dite, au sud, sur laquelle régna un autre aventurier, lui aussi favorisé par les Séleucides.
Il régna sur le pays sous le nom de Mithridate 1er Ctistès, le « fondateur ».
C’est donc à la faveur des conquêtes d’Alexandre que les Mithridate allaient régner sur le Pont.
2. Le Pont avant Mithridate le grand.180 ans séparèrent ce premier souverain du grand Mithridate. Les voisins du Pont étaient :
La Paphlagonie, à l’Ouest.
La Cappadoce, au Sud.
Le pays était bien moins puissant que les deux autres petits royaumes à l’ouest de l’Asie mineure, le royaume de Pergame et celui de Bithynie (le peuple de celui-ci était d’origine Thrace, des guerriers redoutables).
Durant cette période, ces monarques tentèrent de s’étendre à l’intérieur de l’Asie mineure, notamment grâce à l’aide des mercenaires gaulois. Mais ceux-ci étaient prompts à la révolte si leur salaire tardait et furent plus une plaie pour le pays qu’une force vraiment utile. Ils finirent par se fixer en Asie mineure, au centre, dans une région qui s’appela dès lors la Galatie.
Pour se prémunir contre tout danger extérieur, les rois du Pont se reconnurent les vassaux des « rois des rois » Séleucides.
En fait, ils ne réussirent alors qu’à soumettre les colonies grecques du sud de la mer noire, tout particulièrement Sinope et ses dépendances, conquis par
Pharnace 1er, oncle de Mithridate, et qui devint alors la capitale du royaume. C’est là que naquit notre futur roi.
Sur le plan culturel, la religion du Pont était le Mazdéisme, d’origine perse. Mais le pays subissait l’influence prédominante de l’hellénisme.
Pharnace tenta de renouer avec une politique d’expansion mais échoua. Surtout, il avait méconnu le nouvel acteur sans lequel il n’était possible de rien tenter en Orient, Rome, qui faisait alors son entrée sur la scène dans cette partie du monde. Resté neutre, car trop loin, dans les guerres qui opposèrent la cité du Tibre aux Séleucides, le Pont n’en dut pas moins faire sa cour à l’Urbs.
Ainsi fit Mithridate V « Evergète », père du grand Mithridate, lequel se déclara client de Rome. Comme tel, il fut l’allié de Scipion Emilien à qui il amena quelques troupes pour l’aider contre Carthage dans la troisième guerre punique. Il put alors se lancer dans une politique de grande envergure en Asie mineure en imposant son autorité à la Paphlagonie, à la grande Phrygie, à la Galatie. Il épousa une princesse syrienne nommé Laodice, fille du roi Séleucide Antiochos Epiphane. Inféodée à Rome, elle fit assassiner son époux, en 120 avant JC, probablement sur l’instigation du pouvoir romain qui estimait que Mithridate V commençait à devenir un peu trop puissant, et devint régente au nom de son jeune fils le futur Mithridate VI le grand. Avec elle, le pays tomba à vaux l’eau, les territoires obtenus par Mithridate V furent perdus, sa politique réduite à néant.
Le jeune Mithridate était né à Sinope, colonie grecque de la mer noire, résidence des rois du Pont, en 132 avant JC. Plus reine que mère, Laodice estimait que son fils grandissait trop vite et n’entendait pas lui laisser le pouvoir. Elle tenta en vain de le faire mourir discrètement par « accident » ou en le faisant empoisonner, mais en vain. Il en découla chez lui une méfiance envers tous les poisons et le désir de s’immuniser contre eux par la « mithridatisation ». Réalisant que sa vie était en danger, il s’enfuit et se cacha dans la nature durant sept années.
Puis il revint subitement, et à la faveur d’un coup d’état, fit jeter sa mère en prison où elle mourut peu après. Ainsi commençait le règne de Mithridate VI, surnommé Eupator, le « bien né », car il était de noble naissance puisqu’il descendait des Séleucides (ce surnom d’ « Eupator » était emprunté au roi Séleucide Antiochos VI). Il n’avait alors que vingt ans.
II. Les premières conquêtes de Mithridate.1. La conquête des côtes de la mer noire.Très ambitieux, il se créa une armée très performante propre à assouvir son désir d’expansion. Celui-ci allait d’abord le tourner vers les territoires au nord de la mer noire, dans la péninsule de Crimée, appelée Tauride dans l’Antiquité.
La situation était alors explosive. Des colonies grecques avaient jadis été fondées dans cette région, la principale étant Chersonèse. Mais elles avaient beaucoup de difficultés avec les populations barbares de l’arrière-pays : les Tauriens, les Scythes, puis les Sarmates. Du temps de la puissance athénienne, elles avaient pu tenir le coup. Mais quand l’empire d’Athènes s’écroula, toutes ces cités furent livrées à elles-mêmes, face à ces sauvages aux dents longues. Les tributs qu’elles étaient obligées de leur payer pour avoir la paix étaient de plus en plus lourds. Aussi, comme plus tard les Gaulois obligés de choisir entre le Barbare Arioviste et le civilisé Jules César, elles se jetèrent dans les bras de Mithridate, au sud, afin qu’il les protège de tous ces peuples.
C’est ainsi que le roi du Pont confie, en 110 avant JC, son armée à un général grec qui connaît très bien le pays, un certain Diophante.
Au terme de quatre expéditions, celui-ci mate les Scythes, les Sarmates, les Roxolans et impose le pouvoir de son roi à toutes ces régions, le triomphe de la civilisation (grecque) sur la barbarie. Les Grecs l’acceptent, bénéficient de sa protection moyennant paiement d’un impôt. De nouveaux capitaux vont remplir les coffres du roi, de nouvelles sources de revenus viennent l’enrichir. Les expéditions contre les Barbares avaient surtout pour but d’obliger ceux-ci à lui fournir des soldats, notamment les excellents cavaliers Basterne qui devaient beaucoup l’aider plus tard dans sa guerre contre Rome. A son titre de roi du Pont, Mithridate ajoute dès lors celui de roi du Bosphore cimmérien. Les guerres en Crimée l’amènent progressivement à contrôler tout le pourtour de la mer noire, dont la légendaire Colchide, placé à présent sous sa domination ; il est réellement devenu le « roi de la mer ». Tous les Grecs admiratifs, où qu’ils soient, tournent les yeux vers lui. Tous les Barbares sont tenus en respect.
Ainsi, les trois parties de l’empire pontique de la mer noire sont dès lors:
Le Pont, au sud, qui sera toujours loyal à son roi (les populations grecques ou autres se sentaient solidaires entre elles).
Le royaume du Bosphore, soit les provinces du nord de la mer noire, souvent en révolte, soit contre le vice-roi placé là par Mithridate, un de ses fils, soit pour ce vice-roi.
La Colchide, simple satrapie à l’Est, centrée sur la vallée du Phase, dont les affluents, dit-on, prodiguaient des paillettes d’or (d’où la légende de la toison d’or) habitée notamment par les Colques, qui ont donné son nom au pays.
Cela fait, de nouvelles ambitions le tournent vers :
2. La conquête de l’Asie mineure (l’actuelle Turquie).C’est là qu’il va s’opposer à Rome.
Avant de se lancer dans cette entreprise, Mithridate veut faire un périple, un voyage incognito avec quelques amis, à travers toute l’Asie mineure, ce vers 106-105 avant Jésus Christ, afin de repérer ses points forts et ses faiblesses.
A cette époque, les deux puissances hellénistiques qui s’étaient disputées cette péninsule, les Séleucides et l’Egypte des Ptolémée avaient été exclues. Des petits pays se partageaient la région, ce sous l’influence de Rome.
Celle-ci y avait alors deux provinces :
La province d’Asie (territoire hérité du roi de Pergame en 133 av.JC).
La province de Cilicie-Pamphylie, au sud.
Sévissaient là tout particulièrement les publicains, les chevaliers financiers, dont les gouverneurs romains étaient pratiquement les hommes de paille, et qui ne pensaient qu’à exploiter des populations considérées comme de vulgaires troupeaux. Grande était la rancœur chez celles-ci.
A l’extérieur, les royaumes client de Rome sont:
La Galatie.
La Paphlagonie.
La Cappadoce.
La Bithynie.
S’ajoutaient quelques Etats grecs encore indépendants comme Rhodes, Cyzique et Héraclée.
La Galatie, la Paphlagonie et la Cappadoce étaient alors en proie à l’anarchie, au désordre, surtout la Galatie, une fédération de peuples gaulois dont les membres ne pensaient qu’à se vendre comme mercenaires au plus offrant.
La Bithynie, au contraire, était bien gouvernée par le roi Nicomède II, et comme telle était l’Etat le plus fort, aussi le plus ancien, éventuellement rival du Pont.
Tout ceci a bien été compris par Mithridate lors de ses pérégrinations. Il comprend le sentiment de haine des populations soumises envers Rome, ainsi que les divisions auxquelles sont en proie ces Etats. Il estime avoir des droits légitimes sur tous ces royaumes, tout particulièrement sur la Cappadoce avec qui existe une affinité de race avec le Pont, et dont la reine est la sœur de Mithridate.
Profitant de tous ces avantages, il lui faut seulement s’entendre avec cet autre ambitieux qu’est Nicomède.
Concernant Rome, Mithridate estime que le moment est propice. En effet, l’Urbs est alors aux prises, en 105 avant JC, avec l’invasion des Cimbres et des Teutons, lesquels menacent l’Italie. Le roi du Pont a probablement, d’ailleurs, envoyé une ambassade à ces derniers. Occupé en Occident, Rome ne pourrait donc s’opposer aux ambitions de Mithridate.
Qui plus est, ce dernier ne tient pas la cité du Tibre en grande estime. Pour lui, l’ère de ses conquêtes est terminée et elle ne pense plus qu’à conserver les territoires qu’elle a déjà acquis. Il voit Rome comme étant gouverné par des sénateurs corrompus et dégénérés, peu aptes à s’opposer à ses projets. Déjà le roi de Numidie Jugurtha l’avait compris (« Ville tu es à vendre, le premier acheteur te prendras »). Du reste, le roi du Pont prodigue lui aussi tout son argent dans la Ville pour corrompre le plus possible les sénateurs avides.
3. L’alliance avec la Bithynie.Le Pont et la Bithynie, concluent alors une alliance, en 104 avant JC, le roi de l’un et celui de l’autre ayant l’arrière-pensée de prendre toutes les parts pour lui seul.
Les deux monarques s’emparent de la Paphlagonie, puis de la Galatie, ce qui rend leurs deux pays voisins de la Cappadoce.
Mais là c’est la rupture car l’un et l’autre entendent bien avoir celle-ci pour lui seul. Nicomède envahit ainsi la Cappadoce d’autant plus facilement que sa reine, sœur de Mithridate, s’est offerte à lui en mariage. Mithridate riposte, lui reprend le pays à la tête duquel il installe son jeune neveu Ariobarzane, avec Gordios, âme damné du roi du Pont, pour régent.
Fort dépité, le roi de Bithynie va se plaindre à Rome, dont il est client. Celle-ci, qui a à présent les mains libres après avoir vaincu les Cimbres et les Teutons, ordonne alors à Mithridate de rendre toutes ses conquêtes, ce qu’il est obligé de faire. Il doit en effet abandonner outre la Cappadoce, la Paphlagonie et la Galatie, tout comme Nicomède d’ailleurs.
Ainsi se terminent sur un échec huit années d’effort.
4. L’alliance avec l’Arménie.Mithridate se tourne alors vers un nouvel allié pour remplacer la Bithynie et le trouve cette fois-ci à l’Est de son royaume, soit dans la Grande Arménie.
Celle-ci était alors à l’apogée de sa puissance sous le règne de son roi Tigrane II. Elle venait de s’agrandir de la Sophène. Mithridate, qui possédait déjà ce que l’on appelait la petite Arménie, s’allie avec Tigrane et lui donne l’une de ses filles en mariage. Sur sa demande, l’armée arménienne, en 93 avant JC, envahit la Cappadoce et réinstalle Gordios au pouvoir, homme de paille de Mithridate.
Cette fois-ci la réaction de Rome est brutale. Elle intervient en effet en envoyant une armée commandée par un jeune général du nom de Cornelius Sylla. Celui-ci passe le Taurus, entre en Cappadoce et en chasse les Arméniens. Cappadoce et Galatie sont déclarées « libres » c’est-à-dire inféodées à Rome. Mithridate a encore échoué.
5. Vers la guerre contre Rome.Mithridate se résout à attendre un moment plus opportun et prépare peu à peu son armée. Mais les événements le surprennent.
En effet, en 91 avant JC éclate en Italie la guerre sociale, la révolte contre Rome de ses alliés italiens.
Cela pouvait être une aubaine pour le roi du Pont, car une nouvelle fois, depuis l’affaire des Cimbres et des Teutons, Rome connaissait des difficultés dont il pouvait profiter. Mais, cette révolte vient beaucoup trop tôt, il n’est pas prêt, occupé qu’il est à parachever ses conquêtes au nord de la mer noire.
Il veut cependant profiter de l’occasion, mais plus discrètement, par souverains interposés. C’est ainsi qu’il tente d’imposer son protectorat à :
La Cappadoce.
La Bithynie.
En Cappadoce, il chasse Ariobarzane et installe au pouvoir son fils Ariarathe.
En Bithynie, au vieux Nicomède II a succédé son fils Nicomède III, être fourbe et lâche. Son frère Socrate est imposé par le roi du Pont à sa place.
Nicomède III et Ariobarzane, évincés, vont donc se plaindre à Rome, laquelle, tout occupée qu’elle est par la guerre sociale, n’entend pas laisser diminuer son influence en Orient. Aussi, en 89 avant JC, envoie-t-elle une ambassade en Asie mineure présidée par le peu commode Aquilius, déterminé à se couvrir de gloire par d’éventuelles victoires. Arrivé là, le Romain ordonne au roi du Pont de retirer ses candidats de ces deux royaumes, ce que fait Mithridate. Cela n’arrange pas ce va-t’en guerre d’Aquilius qui veut absolument sa guerre et qui donc demande à Nicomède III, ravi, de faire piller une partie du Pont par ses troupes, rien que pour le provoquer. Cette fois-ci Mithridate, qui veut avoir le droit pour lui, envoie son ambassadeur Pelopidas tenter de négocier avec Aquilius. Mais celui-ci finit par le renvoyer ignominieusement et c’est la guerre.
Les trois principaux généraux romains qui, dans l’avenir, vont se battre contre Mithridate seront :
Sylla.
Lucullus.
Pompée.
La suite dans quelques jours...