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Message Publié : 10 Mars 2021 19:08 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Bonjour !
:mrgreen:

Les philosophes de l'antiquité ont-ils disserté sur le thème du "bon" souverain ?
Quelles étaient les vertus cardinales que devait posséder un empereur romain, par exemple, selon eux ?
Du moins quelles valeurs cherchaient-on à inculquer aux enfants promis à l'imperium ?

Merci de vos connaissances !

_________________
Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
Proverbe Albanais


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Message Publié : 10 Mars 2021 19:28 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Localisation : Limoges
Le mieux je pense est de laisser directement la parole à des princes qui ont fait profession en même temps de philosophie, à savoir Marc Aurèle et son émule Julien.

Je commence avec le portrait que Marc Aurèle brosse d'Antonin le Pieux qui, selon lui, l'a influencé de bien des manières :

De mon père adoptif[38], j’ai appris la bonté ; l’inébranlable constance dans les jugements qui ont été une fois mûris par la réflexion ; le dédain pour ces honneurs factices qui séduisent la vanité ; la passion du travail ; l’application perpétuelle ; la disposition à prêter l’oreille à toutes les idées qui concernent l’intérêt public ; l’invariable attention à rendre à chacun selon son mérite ; le discernement à juger des occasions où l’on doit tendre les ressorts et de celles où on peut les relâcher ; la sévérité à poursuivre et à punir les amours pour les jeunes gens[39] ; le dévouement au bien de l’État ; la liberté qu’il laissait à ses amis, sans les astreindre nécessairement à partager tous ses repas, ou à le suivre dans tous ses voyages ; l’absolue égalité d’humeur, où le retrouvaient au retour ceux qui avaient dû le quitter pour quelque cause urgente ; la consciencieuse analyse des choses dans toutes les délibérations ; la persistance à ne point se départir de son examen, en se contentant des premières solutions qui se présentaient ; l’attachement rempli de soins pour ses amis, aussi peu porté à se dégoûter d’eux sans raison qu’à les aimer à la fureur ; l’indépendance d’esprit en toutes choses et la sérénité ; la prévoyance à longue vue et la vigilance à régler les moindres détails, sans en faire tragiquement étalage ; la précaution de repousser les acclamations populaires et la flatterie sous toutes ses formes ; l’économie à ménager les ressources nécessaires à l’autorité ; la retenue dans les dépenses pour les fêtes, tout prêt à souffrir les critiques sur ce chapitre ; la piété sans superstition envers les dieux ; la dignité avec le peuple, qu’il ne fatigua jamais de ses adulations ni de son empressement à complaire à la foule ; la sobre mesure en toutes choses ; le solide respect de toutes les convenances, sans un goût trop vif pour les nouveautés ; l’usage, sans faste et aussi sans façon, des choses qui rendent la vie plus douce dans les occasions où c’est le hasard qui les offre, les prenant quand elles se trouvaient sous sa main avec indifférence, et n’en ayant nul besoin, si elles venaient à manquer ; l’attitude de quelqu’un dont on ne peut dire ni qu’il est un sophiste, ni qu’il est un provincial, ni qu’il est entiché de l’école, mais d’un homme dont on dit qu’il est mur et complet, au-dessus de la flatterie, capable d’être à la tête de ses affaires propres et des affaires des autres. Ajoutez-y encore l’estime pour les vrais philosophes ; l’indulgence exempte de blâme pour les philosophes prétendus, sans d’ailleurs être jamais leur dupe ; le commerce facile ; la bonne grâce sans fadeur ; un soin modéré de sa personne, comme il convient quand on n’est pas trop amoureux de la vie, sans songer à rehausser ses avantages, mais aussi sans négligence, de manière à n’avoir presque jamais besoin, grâce à ce régime tout individuel, ni de médecine, ni de remèdes intérieurs ou extérieurs ; la facilité extrême à s’effacer sans jalousie devant les gens qui s’étaient acquis une supériorité quelconque, soit en éloquence, soit en connaissance approfondie des lois, des mœurs, et des matières de cet ordre ; la condescendance qui s’associait à leurs efforts pour les faire valoir, chacun dans leur domaine spécial ; la fidélité en toutes choses aux traditions des ancêtres, sans d’ailleurs vouloir se donner l’air d’y tenir essentiellement ; un esprit qui n’était ni mobile, ni agité, irais sachant endurer la monotonie des lieux et des choses ; reprenant les occupations habituelles, dès que le permettaient des maux de tête cruels, avec plus d’ardeur et de vivacité que jamais ; n’ayant pas beaucoup de secrets qui lui appartinssent, et ces secrets en très petit nombre et fort rares ne concernant guère que l’État ; circonspect et près-regardant dans la célébration des fêtes solennelles, dans le développement des travaux publics, dans les distributions au peuple ; et quand il les croyait nécessaires, ayant en vue ce que la convenance exigeait bien plutôt que le renom qu’il en pourrait retirer pour ce qu’il aurait fait ; ne prenant jamais de bains hors des heures régulières ; sans passion pour les bâtisses ; ne songeant nullement à la composition de ses repas, ni à la qualité ou à la couleur de ses habits, ni à la beauté de ses gens. Ses vêtements étaient faits de la laine de Lorium[40], sa petite ferme, et le plus souvent de la laine de Lanuvium[41] ; le manteau qu’il avait à Tusculum était d’emprunt ; et toute sa façon était aussi simple. Jamais rien de dur, rien même de brusque, rien de pressé, et comme dit le proverbe : « Jamais jusqu’à la sueur : » mais toute chose faite avec pleine réflexion, comme à loisir, sans le moindre trouble, dans un ordre absolu, robustement, et en harmonieuse correspondance de toutes les parties. C’est bien à lui que s’applique cette louange adressée jadis à Socrate[42] « qu’il savait s’abstenir et jouir de ces choses dont la plupart des hommes ne s’abstiennent qu’à contrecœur, et dont ils jouissent en s’y abandonnant avec ivresse. » Demeurer fort dans l’une et l’autre rencontre, conserver constamment sa vigueur et sa tempérance, n’appartient qu’à l’homme qui a l’âme ferme et invincible, comme fut mon père durant la maladie de Maxime[43].

Julien, justement, dans un texte quelque peu satirique, Le banquet des Césars, s'amuse à brosser le portrait des empereurs ses devanciers. Il les écorne souvent mais quand il arrive à Marc Aurèle :

[23] Au moment où Marc-Aurèle ouvre la bouche, Silène dit tout bas à Bacchus :

« Écoutons ce stoïcien; voyons quels paradoxes, quels dogmes étranges il va nous débiter. »

Mais lui, regardant Jupiter et les dieux :

«Il me semble, Jupiter et vous dieux, dit-il, que je n'ai besoin ni de discours, ni de dispute. Si vous ignoriez mes actions, naturellement je devrais vous en instruire, mais puisque vous les savez, et que rien n'échappe à votre connaissance, accordez-moi le rang qui m'est dû. »

Ainsi Marc-Aurèle, si admirable du reste, fit preuve d'une extrême sagesse, pour avoir su, à mon avis,

« parler quand il fallait et se taire à propos ».


Ici, Virtus, Sapiens, Pietas, certaines des valeurs cardinales de Rome et qui doivent se retrouver chez un empereur. En vérité on retrouve ces valeurs fondamentales dans les panégyriques, oeuvres totalement formelles qui énoncent servilement les qualités des princes régnants.
L'empereur doit en outre être l'arbitre suprême et le protecteur de l'Empire. Il doit moissonner la Gloria sur les champs de bataille pour justifier sa fonction.

_________________
Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 10 Mars 2021 20:05 
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Polybe
Polybe

Inscription : 16 Jan 2020 17:59
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Localisation : Alsace
Sénèque, dans la Clémence, a aussi abordé le profil de l'empereur idéal. Voir la traduction un peu datée de l'œuvre entière ici : http://remacle.org/bloodwolf/philosophe ... emence.htm, au premier paragraphe. (j'ai traduit ce texte récemment mais ma traduction n'était pas parfaite non plus !)

Selon Sénèque, il est bon, pour une empereur de se dire ceci :
« Seul de tous les mortels j'ai été élu et jugé digne de représenter les dieux sur la terre : j'ai le droit de vie et de mort sur les peuples. La balance des destinées et des conditions de tous est remise en mes mains; ce que le sort réserve à chaque individu, c'est par ma bouche qu'il le déclare : une seule de mes réponses va porter l'allégresse aux nations et aux cités. Rien ne fleurit nulle part que par ma volonté et sous ma tutelle. Tous ces milliers de glaives que la paix conservée par moi retient dans le fourreau, je puis d'un signe les en faire sortir : quelles nations seront anéanties ou transportées ailleurs, affranchies ou réduites en servitude, quel roi va devenir esclave, quel front va ceindre le bandeau royal, quelles villes doivent tomber ou s'élever, c'est à moi de le décider. Au sein de la toute-puissance, rien n'a pu m'arracher d'injustes condamnations, ni la colère, ni la fougue de la jeunesse, ni cet esprit de témérité et de révolte chez les peuples, qui souvent fait perdre patience aux âmes les plus calmes, ni l'ambition cruelle, mais si commune aux maîtres du monde, de signaler leur pouvoir par la terreur. J'ai enfermé, j'ai scellé mon glaive, avare du sang même le plus vil! : toujours, à défaut d'autres titres, le titre d'homme m'a trouvé indulgent. Couvrant ma sévérité d'un voile, ma plus belle arme est la clémence. Je m'observe comme si les lois, que de la poussière et de l'oubli j'ai exhumées au grand jour, me devaient demander compte de mes actes. La jeunesse de l'un, la vieillesse de l'autre me touchent ; à celui-ci son illustration, à celui-là son obscurité ont valu le pardon; et si les motifs de commisération me manquent, c'est pour moi-même que je fais grâce. Qu'aujourd'hui les dieux immortels me somment de leur répondre, je suis prêt à leur présenter le tableau complet du genre humain. »

Là où c'est un peu rigolo, c'est qu'il s'adresse, et dédie tout l'ouvrage, à Néron !


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Message Publié : 11 Mars 2021 21:00 
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Salluste
Salluste
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Inscription : 28 Mars 2020 20:19
Message(s) : 236
Localisation : Poitou
log a écrit :
Là où c'est un peu rigolo, c'est qu'il s'adresse, et dédie tout l'ouvrage, à Néron !


Pas tant que ça! Si Sénèque dédie son ouvrage à Néron, c'est moins par esprit de flagornerie que parce qu'il se considère comme son mentor. De fait, le philosophe aura une influence prépondérante et utile dans la première partie du règne de Néron. Après, quand le prince décidera de s'affranchir de cette tutelle, les choses se gâteront...

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La classe des sots politiques est, de toutes les classes de sots, la plus sotte (Alexandre Erdan).


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Message Publié : 11 Mars 2021 21:44 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
Message(s) : 5716
Localisation : Limoges
Se gâteront surtout d'un point de vue sénatorial de l'idée de gouvernance. Néron, comme Caligula, défendaient une vision du pouvoir nettement plus monarchique que l'image que l'élite aristocratique était prête à tolérer. Ils s'accrochaient à la fiction augustéenne comme une moule à son rocher alors que certains princes voulaient pleinement assumer la réalité objective de leur pouvoir.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 12 Mars 2021 11:17 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Avr 2008 9:32
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Localisation : région de Meaux
Chez Pline, dans le panégyrique de Trajan, la figure de "l'optimus princeps" est celle du magistrat républicain non ? En fait, pour les sénateurs, le bon prince est celui qui incarne une monarchie qui ne dit pas son nom et fait mine de préserver l'illusion du maintien des symboles républicains .

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Message Publié : 12 Mars 2021 13:45 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Avr 2008 9:32
Message(s) : 1785
Localisation : région de Meaux
Pièce jointe :
51L5zLoZF0L._SX352_BO1,204,203,200_.jpg
51L5zLoZF0L._SX352_BO1,204,203,200_.jpg [ 42.95 Kio | Consulté 5546 fois ]


Quelqu'un a lu ce livre récent ? Son auteur a participé à 3 émissions de Storia Voce sur le sujet, vraiment très intéressantes.

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