Suite à la visite du blog de robur2, je tiens à intervenir une nouvelle fois. Je suis ravi que la contradiction se fasse jour dans cette réflexion sur la traversée d’Hannibal. Seule cette condition fait avancer.
Il est traité dans ce blog d’un ''faux historique'', à savoir l’itinéraire alpin mentionné par Polybe. Je tiens à rectifier certaines erreurs ou invraisemblances (du moins à mes yeux) de robur2. J'en relève 12.
1- Tout d’abord, on ne sait en définitive rien du peuple des Ardyes ou Ardyens dont parle Polybe mais que robur2 situe pourtant dans le Bas Valais Suisse. Les références des 18e et 19e siècles sont encore mal informées, et je renvoie aux annotations du livre III de Polybe selon Jules de Foucault, autrement plus fiables.
2- Ensuite, autre erreur, Polybe ne mentionne jamais les Salassi, c’est Strabon qui lui fait dire ce qu’il n’a jamais dit. Pourtant robur2 en fait un argument de poids, disant faussement à trois reprises que Polybe avait parlé des Salassi…
3- Ensuite, Polybe ne dit jamais qu’Hannibal va passer par le pays de ces Ardyes, contrairement à ce qu’écrit robur2. Ce sera peut-être le cas, mais il ne fait que les mentionner dans le Livre III.
4- Autre erreur ou plutôt ignorance, lorsque robur2 parle d’une peuplade indéterminée à l’arrivée à l’île, sauf que nos connaissances actuelles pourraient lui permettre de déterminer avec certitude qu’il s’agissait des Segovellaunes (et non des Allobroges). robur2 semble ne pas s’être documenté à ce sujet.
5- Ensuite, robur2 remet en question la description géographique de Polybe, avec un regard d’homme du XXIe siècle. Il n’est pas très honnête de procéder de la sorte, les romains n’ayant évidemment qu’une connaissance encore parcellaire (par rapport à nous) de la géographie, notamment dans leur faculté à donner des points de repérages dans l’espace. Polybe annonce un départ vers l’est le long du fleuve, sachant qu’à l’époque les romains imaginent le Rhône parallèle aux Alpes, et coulant d’est en ouest. robur2 ne mentionne pas, ce qu’il aurait par souci de rigueur dû faire, la notion antique de couchant et de levant d’hiver, le levant d’hiver correspondant au nord-est. Je renvoie une nouvelle fois aux annotations du Livre III selon Jules de Foucault. Sur ce dernier point, tout l’argumentaire de robur2, qui n’hésite pourtant pas à parler de digression, de conception personnelle de la part de Polybe, tombe à l’eau. Par souci de rigueur aussi, robur2 aurait dû citer Tite Live, qui de son côté fait partir bizarrement Hannibal ‘’à gauche’’, ce qui signifierait plutôt vers le nord que vers le sud, lorsqu'on regarde les Alpes. Mais passons.
6- Une invraisemblance est liée à l’épisode après la bataille du Rhône. robur2 s’étonne d’abord (je m’étonne de cet étonnement) qu’Hannibal n’ait pas livré bataille à P. Cornelius, ayant pourtant 10 fois plus de cavaliers et deux fois plus de fantassins. C’es faux. Hannibal avait vraisemblablement, à ce moment de son épopée, environ 38000 fantassins et 8000 cavaliers. P. Cornelius disposait d’environ 25000 fantassins, dont deux légions complètes, et de très nombreux auxiliaires gaulois, venus notamment de Marseille. Il disposait enfin d’au moins 2000 cavaliers. Le rapport de force n’est pas du tout le même que celui annoncé par robur2, qui semble au passage oublier que Tite Live lui-même explique pourquoi Hannibal ne livre pas bataille à ce moment-là. L’historien romain écrit en effet : ‘’…les romains qu’il (Hannibal) ne voulait combattre qu’au sein même de l’Italie…’’. Quel intérêt stratégique aurait eu Hannibal à risquer des milliers de morts bien avant son arrivée en Italie ?
7- Après avoir, au sujet de Polybe, parlé de ''fabulation'', robur2 continue en ignorant, décidément, apparemment beaucoup de choses sur les Allobroges, notamment qu’ils n’ont véritablement commencé à exister sous ce nom (c’était des migrants venus d’ailleurs, d’une autre terre, d’où leur nom) qu’au début du IIIe siècle avant J.C, soit quelques décennies avant le passage des puniques. robur2 se trompe, quelques rares lettrés antérieurs à Polybe les mentionnent pourtant déjà, sous le nom d’Allobriges ou Allobroges, ce n’est pas Polybe qui invente l’expression…robur2 en fait pourtant un autre argument de poids.
8- Je ne sais pas non plus comment robur2 peut écrire : ‘’…il est assuré que les distances parcourues en Gaule Transalpine n’ont jamais figuré dans les livres des accompagnateurs de l’armée d’Hannibal…’’. Dans la mesure où aucun écrit de ces mêmes accompagnateurs ne nous est parvenu, d’où robur2 tient-il cette affirmation fallacieuse ? Grosse interrogation, d’autant que robur2 insiste malgré tout là-dessus, en disant que les distances des témoins oculaires de la traversée, qui auraient laissé des écrits là-dessus, ne sont pas mentionnées par Polybe. Oui, ces témoins ont comme Silénos laissé des écrits, mais encore une fois ces écrits sont perdus ! robur2 balaie ainsi d’un revers de main, en inventant lui-même des source écrites qui ont pourtant disparu depuis très longtemps, tous les épisodes futurs ayant rapport avec les Allobroges et relatés par Polybe.
9- robur2 prend ensuite 177,7 mètres comme valeur du stade, empruntant là un des stades grecs (il y avait plusieurs dimensions, dont le grand stade grec). La totalité des érudits modernes de renommée mondiale, historiens comme archéologues (ex : Bocquet, Hunt, Ancel…) raisonnent avec le stade romain, soit environ 185 mètres. Simple détail.
10- De même, robur2 semble considérer qu’Hasdrubal et son armée de renfort serait passés au même endroit qu’Hannibal, dix ans plus tard. En fait, on n’en sait absolument rien, mais robur2 en fait un nouvel argument, songeant aux Hautes-Alpes.
11- robur2 place ensuite de nouveaux jugements moraux à la fois sur Polybe (parlant à son sujet de ''carences'') et à la fois sur P. Cornelius, qui aurait fait preuve de ‘’laxisme’’ en ratant l’interception d’Hannibal au bord du Rhône. C’est là ignorer la remarquable mobilité de l’armée carthaginoise, qui a su prendre de vitesse les romains, et il n’y a eu aucun laxisme de la part de P. Cornelius, simplement une interprétation personnelle.
12- Pour la remontée très haute du fleuve Rhône jusqu’à l’Isère, que robur2 semble remettre en question, le problème est que Tite Live et Polybe sont au moins d’accord là-dessus, avant que leurs textes ne se séparent. J’arrête là mon relevé des erreurs et invraisemblances (selon moi, mais basées si possible sur de solides arguments et références), relevées sur le blog de robur2, en faisant une remarque. Bon nombre de chercheurs ont inversé l’ordre des choses, partant d’un parcours préétabli pour se reporter ensuite aux textes. J’ai fait de même pendant longtemps, voulant à tout prix qu’Hannibal soit passé près de chez moi. Cette tendance ‘’locale’, ce biais, a semble-t-il induit en erreur bien des gens. La seule démarche qui vaille est de faire l’inverse, et de partir des textes pour ensuite aller vers un parcours envisageable. Cela limite voire supprime le biais cognitif de confirmation.
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