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Message Publié : 27 Nov 2019 16:29 
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Pierma a écrit :
Il reste malgré tout une circonstance curieuse : le bordereau est en réalité de la main d'Esterhazy, mais celui-ci promet des documents auxquels à priori il ne peut pas avoir accès


Sans doute pas dans son poste d'officier dans un régiment d'infanterie encaserné en Normandie. Mais le relationnel et les réseaux jouent à plein dans l'armée, alors comme aujourd'hui.
1) Esterhazy est passé par la "section de statistiques" après 1877. Il y a d'ailleurs fait la connaissance d'Henry et du capitaine Weil (qui s'entremettra pour que Esterhazy soit appuyé par la communauté israélite... avec succès !) ;
2) même si le parcours d'Esterhazy n'est pas celui d'un officier normal, tout au contraire, puisqu'il n'est passé ni par Saint-Cyr, ni par Polytechnique, il dispose d'un réseau d'amitiés solide, du temps où il servait à la Légion d'Antibes aux côtés des zouaves pontificaux ou pendant la guerre de 1870 où il est dans l'Est avec l'armée de Bourbaki, encore plus lorsqu'il rejoint l'entourage du général Grenier en 1874.

Du coup, ancien du Deuxième Bureau, Esterhazy a pu avoir accès à ces documents par le biais d'amis, la "sécurité opérationnelle" si en vogue depuis la Guerre Froide étant encore tout à fait embryonnaire à l'époque.

Et il a très certainement effectivement bénéficié de protections qui n'ont que peu à voir avec la hiérarchie : les Israélites, les amitiés forgées au cours de ses années de service et de campagne, celles que lui vaut son statut nobiliaire (bien que d'une branche bâtarde, il appartient à une grande famille hongroise, son père et son oncle sont généraux, il fréquente le lycée Bonaparte, etc.).
Il ne faut donc pas chercher midi à quatorze heures : Dreyfus est un coupable idéal (peu de protections, alsacien, juif d'une famille de basse extraction) quand Esterhazy en a à revendre.

CEN EMB

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Message Publié : 27 Nov 2019 18:29 
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Merci à CEN_EMB de ce rappel, qui explique bien tout le potentiel, social et culturel, dont disposait Esterhazy pour se fournir des renseignements.

Pour le reste,

Citer :
Si l'origine est là, Dreyfus aura vraiment joué de malchance du début à la fin.

Elle constitue une des origines à mon sens - bien entendu le fait que Dreyfus soit juif (pas l'origine alsacienne, car Sandherr et Picquart le sont aussi, donc à l'EMA cela ne compte pas, mais dans la population oui, sans aucun doute) est aussi à prendre en considération -, mais c'est aussi la nature même du travail de ces officiers, plongés en permanence dans les secrets, rumeurs et complots (vrais ou faux), qui agitent le corps des officiers supérieurs de toutes les armées d'Europe de l'époque.
En somme leur propre travail les a intoxiqué, ils ne disposaient plus d'aucun recul nécessaire et ne se rendait même plus compte qu'un faux aussi grossier que celui d' Henry ne pourrait "passer".

Citer :
L'idée d'une intoxication menée sans avertir le 2ème Bureau, ce qui aboutit à une catastrophe, se tient, pour moi.

C'est la théorie de Guillemin et de Doise. Elle est plausible, mais manque cruellement de preuves factuelles.

Citer :
comment ont-ils pu s'imaginer, dès l'instant où Picquart démasque Esterhazy, qu'une pareille information allait pouvoir être tenue sous l'étouffoir ?

Les ordres ? Cela compte dans l'armée, non ? :wink:

Citer :
Ce faux est le signe que la panique règne à l'EMA.

Oui, au 2nd bureau, bien gêné par la tournure des événements depuis que Gonse a décidé de laisser l'injustice prospérer.
Je doute que le reste de l'EMA fut mis dans la confidence.

Citer :
En somme, si je vois bien la motivation que tu prêtes aux généraux (dont l'enjeu, l'alliance russe, est colossal) je trouve que pour autant ils ont manqué, au minimum, de réalisme. Et de fait ils se sont mis dans le mur.

Boisdeffre a fait comme s'il n'avait rien vu - il aurait peut-être dû s'emparer du problème et ne pas le balayer de la sorte - et Gonse a fait preuve d'une maladresse incroyable, tout comme Billot. Si Henry a pu "s'autosaisir" pour produire un faux, il est impossible que les ennuis de Picquart arrivent sans un ordre donné par le ministre lui-même.

Citer :
Je trouve aussi que dans l'image qu'on donne au public de cet affrontement, on a tendance à opposer "les valeurs de l'armée" (le patriotisme, la discipline...) aux "valeurs démocratiques". (la défense d'un innocent, la justice...) Je trouve que c'est un contresens complet, qui a d'ailleurs été celui de la presse antidreyfusarde : le fait de protéger un traitre, par exemple, n'entre en rien dans les valeurs de l'armée, et d'ailleurs pas davantage le fait d'accabler un innocent.

Une fois que le scandale explose publiquement en 1898, on tombe dans un manichéisme primaire, totalement éloigné des réalités. Par contre ceux qui se positionnent le font en suivant celui-ci.

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Message Publié : 27 Nov 2019 19:18 
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Duc de Raguse a écrit :
Une fois que le scandale explose publiquement en 1898, on tombe dans un manichéisme primaire, totalement éloigné des réalités. Par contre ceux qui se positionnent le font en suivant celui-ci.

J'ai eu mon attention attirée par le cas du commandant Cuignet, l'homme qui a exposé le faux Henry.

Alors qu'il n'avait fait que son devoir, sa culpabilité (il était ami avec Henry, et sans doute très respectueux de ses chefs) l'a jeté "du côté obscur de la force". Il sombre dans un tel activisme politique qu'il sera mis à deux reprises en congé de l'armée, puis réintégré après quelques mois, avant d'être finalement mis en retraite d'office.

Devenu président de la Ligue Antimaçonnique, il dénoncera sans trêve le complot judéo-maçonnique avec des discours de ce tonneau :
Citer :
« La Franc-Maçonnerie n'est que l'instrument du pouvoir juif qui s'efforce d'établir la domination universelle d'Israël. C'est par la Franc-Maçonnerie que progressent dans le monde ces « principes modernes » dans lesquels le Synode israélite de Leipzig, en 1869, saluait le gage de l'impérialat d'Israël sur les nations. Pour lutter efficacement contre la Franc-Maçonnerie, il faut donc combattre ces « principes modernes », et premièrement la thèse de la bonté native de l'homme popularisée par Jean-Jacques Rousseau. La liberté et l'égalité, au sens maçonnique de ces mots, sont également des choses mauvaises, comme est mauvais le suffrage universel, qui met les plus grands intérêts d'un pays à la discrétion des incompétences. »

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Message Publié : 27 Nov 2019 19:47 
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Oui, étrange destinée que ce drôle : il fait son devoir en brandissant le "faux Henry", mais demeure persuadé que Dreyfus est bien coupable... nous sommes en 1898, tout le monde se radicalise, en oubliant souvent le bon sens.
Le complot judéo-maçonnique est fort pratique à agiter à ce moment.
Encore une fois, on peut supposer - même si l'esprit qui animait ces hommes devait le leur interdire, en dehors de quelques rares - que si le mea culpa avait été fait dès 1895 par l'armée, rien de ce est arrivé de néfaste pour elle ne serait parvenu - je pense au nettoyage interne opéré sous les auspices du général André.
Mais c'est là faire preuve d'anachronisme...

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Message Publié : 28 Nov 2019 11:51 
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Tout ces commentaires me donnent envie de voir le film !

Un aspect me semble absent : pourquoi aggrave-t-on les conditions de détention de Dreyfus à l'ïle du Diable ?

Il voit sa cellule entourée d'une barricade de planches, ce qui restreint son périmètre de promenade et lui bouche sa vue sur l'océan ; il est enchaîné toutes les nuits ; l'entrée de sa cellule est obstruée par la guérite d'un préposé qui le garde à vue, ce qui la rend étouffante la nuit ; son courrier est interrompu pendant plusieurs mois...

Y a-t-il eu volonté, sous prétexte d'éviter une évasion, de le faire craquer et de le contraindre au suicide, ce qui aurait permis d'enterrer l'affaire toute en douceur ? >:(

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Qui contrôle le passé contrôle l'avenir.
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Message Publié : 28 Nov 2019 13:48 
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Nebuchadnezar a écrit :
Tout ces commentaires me donnent envie de voir le film !

Un aspect me semble absent : pourquoi aggrave-t-on les conditions de détention de Dreyfus à l'ïle du Diable ?

Il voit sa cellule entourée d'une barricade de planches, ce qui restreint son périmètre de promenade et lui bouche sa vue sur l'océan ; il est enchaîné toutes les nuits ; l'entrée de sa cellule est obstruée par la guérite d'un préposé qui le garde à vue, ce qui la rend étouffante la nuit ; son courrier est interrompu pendant plusieurs mois...

Y a-t-il eu volonté, sous prétexte d'éviter une évasion, de le faire craquer et de le contraindre au suicide, ce qui aurait permis d'enterrer l'affaire toute en douceur ? >:(

Non, c'est malheureusement l'effet d'une manoeuvre de Matthieu Dreyfus.
Je ne saurais pas la situer dans le temps, mais il y a un moment où la défense de Dreyfus est totalement au point mort. Les journaux n'en parlent plus, il n'y a aucun fait nouveau et Matthieu Dreyfus a frappé à toutes les portes imaginables, sans résultat.
Le silence où le destin d'Alfred Dreyfus est en train de sombrer est pire que tout pour sa famille.
Matthieu Dreyfus, désespéré, fait alors courir le bruit d'une tentative d'évasion. L'effet est immédiat : indignation des journaux, interpellation à la Chambre, etc... On reparle de Dreyfus.

Ce que Matthieu Dreyfus n'avait pas imaginé c'est que cela va déboucher aussi sur une aggravation des conditions de détention du prisonnier. Sans doute pensait-il que l'isolement de l'Ile du Diable rendait inutiles des précautions supplémentaires, et que le ministère se contenterait de faire vérifier qu'il n'y avait aucun risque d'évasion. (Et même, avant cela, de se renseigner et de constater que ces bruits d'évasion ne correspondaient à aucune réalité, ce qui aurait contredit les journaux les plus indignés.) J'ai oublié comment cela s'est déroulé, mais j'imagine que le ministre, sans chercher plus loin, a transmis à la direction pénitencière de Guyane l'instruction de renforcer les précautions contre une évasion.

(Je pense que je tiens cela de l'ouvrage "l'Affaire", de Jean-Denis Bredin, mais je ne l'ai pas immédiatement sous la main. En tous cas il ne soulève pas l'idée que vous suggérez - pousser Dreyfus au suicide - je m'en serais souvenu. D'ailleurs c'est contradictoire avec le fait que ça se produit à un moment où la France a oublié Dreyfus : l'Etat-Major ne souhaite rien d'autre.)

Dans le film apparait aussi une idée qui a pu aider Alfred Dreyfus à tenir. Elle est donnée en voix off, on comprend que Dreyfus écrit à sa femme : ce n'est pas seulement sa vie, c'est aussi son honneur qui est en cause, et il ne veut pas laisser sa femme et ses enfants subir à vie ce déshonneur, ce qui exclut la possibilité du suicide : ce serait un aveu de culpabilité.

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Message Publié : 28 Nov 2019 21:23 
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@Duc de Raguse :
l'explication par l'alliance russe est la première explication que je lis (autre que l'intoxication) qui me semble pouvoir expliquer l'Affaire au bon niveau.
Où as-tu trouvé cette explication possible ? Est-ce en étudiant la biographie de Boisdeffre ?

@Nebuchadnezar : j'ai trouvé la date, sur Wiki tout simplement :
Citer :
Au début, il a une relative liberté de mouvement, quoique fortement suspecté de vouloir s'évader, mais, en 1896, la rumeur d'une tentative de le faire évader lancée par son frère se répand, et le ministre des Colonies, André Lebon, ordonne de faire construire une palissade autour de sa case et de le faire mettre aux fers.

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Message Publié : 29 Nov 2019 11:57 
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J'ai étudié l'alliance, la diplomatie des grandes puissances européennes, le personnage de Boisdeffre et, plus succinctement, les travaux du 2nd bureau dans les années 1880 et 1890.
Cette alliance est pour la société de l'époque le "veau d'or" - expression inventée par ses détracteurs - et un signe de gloire d'une armée qui se retrouve après le choc de 1871 et les humiliations allemandes des années 1870-1880.
Elle se retrouve tellement bien qu'elle jouit d'une position dans la société sans égale. Un scandale viendrait ternir tous ces efforts et progrès, dans le contexte de Revanche qui n'échappait à personne.
Mais il ne faut pas non plus grossir à l'excès le poids de cette alliance : elle fait partie d'un contexte polymorphe qui conduit l'EMA à fermer les yeux sur une erreur judiciaire.

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Message Publié : 29 Nov 2019 19:37 
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Duc de Raguse a écrit :
J'ai étudié l'alliance, la diplomatie des grandes puissances européennes, le personnage de Boisdeffre et, plus succinctement, les travaux du 2nd bureau dans les années 1880 et 1890.
Cette alliance est pour la société de l'époque le "veau d'or" - expression inventée par ses détracteurs - et un signe de gloire d'une armée qui se retrouve après le choc de 1871 et les humiliations allemandes des années 1870-1880.
Elle se retrouve tellement bien qu'elle jouit d'une position dans la société sans égale. Un scandale viendrait ternir tous ces efforts et progrès, dans le contexte de Revanche qui n'échappait à personne.
Mais il ne faut pas non plus grossir à l'excès le poids de cette alliance : elle fait partie d'un contexte polymorphe qui conduit l'EMA à fermer les yeux sur une erreur judiciaire.


Sans être un expert, je ne vois pas le rapport entre l'arrestation d'un espion allemand à Paris et l'alliance franco-russe. Cette alliance reposait sur une logique géopolitique évidente : la Russie et la France n'avaient aucun différend alors que l'alliance austro-allemande créait une tension entre Berlin (qui appuyait Vienne) et St-Petersbourg à propos des Balkans. Sans oublier que l'accroissement constant de la puissance économique et militaire du Reich faisait de l'ombre à la Russie.

Que l'espionnage allemand fût actif à Paris était normal au vu de l'antagonisme franco-allemand. Il n'y avait rien là qui eût pu surprendre ou décevoir les Russes.

Que Nicolas eût un caractère moins ferme qu'Alexandre III était notoire. Mais ce n'était pas une affaire d'espionnage qui eût pu le conduire à désavouer son père et l'état major russe en refusant de voir la réalité géopolitique.


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Message Publié : 29 Nov 2019 20:12 
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La question ici n'est pas celle l'alliance franco-russe (elle fait partie d'un contexte multiple), ni d'une simple "affaire d'espionnage", mais bien d'une erreur judiciaire commise par l'armée française, avec en 1ère ligne un 2nd bureau - expert dans le renseignement - particulièrement mauvais.
Ne pas comprendre qu'un scandale de cette nature puisse éclabousser l'armée dans son ensemble, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, me semble plus que particulier...

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Message Publié : 29 Nov 2019 20:41 
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Localisation : Versailles
Duc de Raguse a écrit :
La question ici n'est pas celle l'alliance franco-russe (elle fait partie d'un contexte multiple), ni d'une simple "affaire d'espionnage", mais bien d'une erreur judiciaire commise par l'armée française, avec en 1ère ligne un 2nd bureau - expert dans le renseignement - particulièrement mauvais.
Ne pas comprendre qu'un scandale de cette nature puisse éclabousser l'armée dans son ensemble, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, me semble plus que particulier...



Les affaires d'espionnage ont toujours existé.

Sur le plan de la méthode historique existe t il une preuve, ou au moins un indice, dans les archives militaires ou diplomatiques russes laissant penser que les autorités russes auraient pu renoncer à l'alliance du fait d'une affaire d'espionnage mal gérée ?
'existe t il des indices de même nature dans les archives françaises ?

Je renvoie au journal de Paleologue que j'ai lu il y a longtemps et dans lequel ce jeune diplomate très bien informé (il était chargé des affaires militaires au quai d'Orsay) exposait au contraire que la gestion calamiteuse de l'Affaire par l'Etat Major nuisait gravement à la crédibilité de la France.

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-26 ... 345_0000_1
Et
https://www.monde-diplomatique.fr/1956/ ... ENNE/21718


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Message Publié : 29 Nov 2019 23:31 
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Jerôme a écrit :
Les affaires d'espionnage ont toujours existé.

Pour m'être pas mal intéressé au sujet du renseignement, j'ai l'impression que l'idée que "les affaires d'espionnage ont toujours existé", même vraie, n'existe pas vraiment avant le début de la guerre froide.

C'est un peu du "feeling" de ma part, mais j'ai l'impression que chaque affaire d'espionnage est vécue isolément comme une catastrophe, sans perspective historique longue d'autres cas qui permettraient de relativiser ou de tirer des leçons utiles.

Par exemple, je ne trouve pas trace d'une compilation ou étude de cas d'espionnages avant 1946 (mais il y en aura pas mal à partir de la deuxième moitié de la guerre froide).


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Message Publié : 29 Nov 2019 23:44 
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Citer :
Les affaires d'espionnage ont toujours existé.

Relisez-moi mieux - ainsi que le titre de ce fil - , il n'est nullement question dans mes propos d'une affaire d'espionnage qui aurait mal tourné, mais d'une enquête interne à un service de renseignement (suite à une affaire d'espionnage, ou pas d'ailleurs !) qui s'est ridiculisé en condamnant un innocent. Si cela est rendu public, cela fait plus que désordre.

Vos liens sont bien intéressants, mais ils ne renvoient pas sur ce qui nous intéresse dans les derniers messages.
De plus, à cette date et pour ceci ce n'est pas Paléologue - en 1914 et pour d'autres choses, oui (et encore il a souvent pris des libertés avec les faits) - qu'il faut lire.

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Message Publié : 30 Nov 2019 0:44 
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Duc de Raguse a écrit :
Ne pas comprendre qu'un scandale de cette nature puisse éclabousser l'armée dans son ensemble, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, me semble plus que particulier...

Echanger à l'Ile du Diable Dreyfus contre Esterhazy aurait certes fait des vagues, mais après tout c'était une preuve d'honnêteté. La simple publication du bordereau - c'est d'ailleurs ce qui s'est finalement passé, mais avec un effet totalement inverse - aurait suffi à mettre en évidence, auprès de dizaines de témoins correspondants d'Esterhazy, que cette fois on tenait bien le bon coupable.

Il se serait certes trouvé des caricaturistes pour ricaner, quelques politiques pour s'indigner, mais jamais, au grand jamais, ça n'aurait dégénéré en affaire politique durable. (Surtout de nature et d'ampleur à couper la France en deux.) On ne peut s'empêcher de penser que derrière cette peur de quelques égratignures d'amour-propre se cache un orgueil... Je ne sais pas comment qualifier ça. Bon, ils étaient chargés de la revanche et se voyaient comme les sauveurs éventuels de la France, le sel de la terre, mais au point de protéger un traitre pour ne pas faire de vagues ? 8-|

Quand tu me dis : les ordres... ça compte ! Certes, mais pour couvrir une forfaiture ? Même ce commandant Cuignet, que j'ai signalé, ne s'y résout pas, alors que toutes ses opinions politiques et ses amitiés personnelles devraient l'y conduire.

Ce que je vois, c'est des généraux fébriles et bornés qui fabriquent une catastrophe pour éviter quelques remous, mais on a déjà fait ce constat. C'est plutôt l'idée que l'exposition d'Esterhazy et la libération de Dreyfus auraient eu des conséquences dramatiques que je ne perçois pas.

L'armée dans son ensemble ? Pour une erreur dans une enquête interne, erreur qu'on pouvait d'ailleurs - et sans exagération - mettre sur le dos des experts en écriture ? Bertillon risquait plus que Boisdeffre, dans cette histoire.

L'expression de "Veau d'Or" pour l'alliance russe n'est pas si mal trouvée - elle n'est d'ailleurs sans doute pas apparue sans raison - si elle les a poussés à trembler dans leurs braies à la seule idée d'admettre la moindre erreur. (Sachant que l'histoire du dossier secret utilisé au procès risquait de sortir, on peut se demander aussi s'ils n'ont pas tout simplement craint pour leur carrière. C'est vraiment la seule manoeuvre malhonnête qu'on pouvait reprocher au 2ème Bureau. Et encore...il y avait moyen de la "noyer".)

Une question annexe : quand on parle du service de statistiques, on parle en réalité du contre-espionnage, non ? On ne voit jamais le moindre renseignement venu d'Allemagne, le museau du moindre espion français, ni des chefs du service de renseignement, qui semble être demeuré à l'abri des vagues pendant toute l'Affaire. (Le 2ème Bureau est normalement chargé, à l'Etat-Major, de la synthèse et de la conduite des deux services : SR et CE. Mais j'ignore si cette partition, pourtant logique, existait déjà à l'époque. Elle existera pendant la Grande Guerre, mais je n'en sais pas plus.)

@Rob1 : je ne comprends pas ce que vous appelez "une affaire d'espionnage". Pour moi elles sont de tous temps. Voulez-vous parler d'un scandale public relié à l'espionnage ? (Quelques années plus tôt il y avait eu l'affaire Schnaebele, un commissaire de Nancy qui faisait du renseignement sur l'Alsace, une configuration un peu bizarre...)

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Message Publié : 30 Nov 2019 10:33 
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Citer :
Echanger à l'Ile du Diable Dreyfus contre Esterhazy aurait certes fait des vagues, mais après tout c'était une preuve d'honnêteté.

Certes, mais c'était surtout, et avant tout, une preuve d'incompétence. Je crois qu'il ne faut pas l'oublier dans le contexte de l'époque.
A cette date le 2nd bureau avait déjà réussi - après que Boisdeffre et l'attaché militaire Moulin aient réussi à finaliser l'alliance franco-russe - à obtenir, entre autres, les grandes lignes de la 1ère version du plan Schlieffen, les plans de concentration de l'armée austro-hongroise, mais là, il n'est pas capable de mettre la main sur un mouchard de bas étage ? Avouons que cela ne fait pas très sérieux - et encore, je ne prends pas en compte la théorie de Guillemin/Doise, selon laquelle Esterhazy aurait été chargé d'intoxiquer les Allemands (dans ce cas là, c'est non seulement de l'incompétence, mais en plus on aurait frisé l'incident diplomatique majeur).

Citer :
Il se serait certes trouvé des caricaturistes pour ricaner, quelques politiques pour s'indigner, mais jamais, au grand jamais, ça n'aurait dégénéré en affaire politique durable.

Nous n'en savons rien, la République se remet à peine de deux profonds scandales, qui ont failli l'emporter en moins de 4 ans : Boulanger et Panama.

De plus, concernant la question russe, Alexandre II avait déjà tenté de se rapprocher de la France en 1879 - lorsque Boisdeffre était attaché militaire à Saint-Pétersbourg et le général Chanzy ambassadeur - et le refus du gouvernement français de livrer aux Russes le nihiliste Hartmann fait alors tout capoter.
Fort heureusement, une décennie plus tard, en 1888, les nihilistes russes arrêtés en France sont remis à la police russe : on fait alors davantage confiance au gouvernement républicain, mais si c'est alors Charles Floquet le ministre de l'Intérieur - rappelons que le drôle avait osé dire à Alexandre II, en visite à Paris en 1867, "Vive la Pologne libre, Monsieur !".

Autre exemple : on sait aujourd'hui que le scandale de Panama a retardé de près d'une année au moins la ratification de l'alliance franco-russe (Boisdeffre et Moulin, alors, ne relâchent pas leurs efforts pour que le contact, perdu en février 1893, soit rétabli avec les Russes, ce qui arrive en janvier 1894).
Là, ce fut Alexandre III qui avait reçu une nouvelle fois la preuve que le système républicain français n'était pas digne de confiance, d'autant plus que la majorité du personnel politique français (on peut penser à Ribot et, surtout, Freycinet le meilleur ministre de la Guerre et des Affaires étrangères du moment) avec lequel ses ministres avaient négocié a été emporté par le scandale. Il déclare à Mohrenheim (ambassadeur de Russie à Paris) vouloir tout stopper ! D'autant plus que ce dernier est visé par une campagne de presse particulièrement infamante concernant de potentiels chèques qui lui auraient été versés.
Nous nous situons donc là, à ce moment précis, quelques semaines seulement avant le 1er jugement de Dreyfus et une année, seulement, avant les découvertes de Picquart.

Une fois de plus, les officiers généraux de l'EMA paraissent plus sûrs à l'Empereur russe, dignes de confiance et surtout immaculés de ces gabegies et vissicitudes "républicaines", qui produisent scandales sur scandales et offrent une image peu glorieuse de la France en Europe. Ce qui est le plus difficile à avaler pour Alexandre III c'est la liberté de la presse qui règne en France : sa plus grande crainte est qu'un jour, suite à un nouveau scandale, les détails de l'alliance se retrouvent dans les colonnes du Temps, du Gaulois ou de L'Aurore, sur la place publique au final.
Je passe, bien entendu, l'affaire Boulanger, tapageuse en Europe, qui a, elle aussi, retardé la conclusion de l'alliance. Giers et Alexandre III ne pouvaient plus supporter les sorties de ce général d'opérette, qui ne comprenait rien aux affaires européennes du moment.

De cette décennie, très délicate sur le plan intérieur français, restait l'EMA et certaines personnalités avec qui on pouvait parler, négocier, avoir entière confiance. Pour Alexandre III et son chef d'Etat-major, le général Obroutcheff (moins Giers, qui a eu de sérieuses difficultés à passer de l'alliance allemande à la française - en serait-il d'ailleurs mort ? :mrgreen: ), ces personnes sont ces officiers généraux sérieux, loyaux, honnêtes et compétents, en place depuis plus de 10 ans.

Et voilà qu'eux aussi se mettraient à faire n'importe quoi ? Provoqueraient un scandale ?
Impensable ! 8-|

Citer :
L'expression de "Veau d'Or" pour l'alliance russe n'est pas si mal trouvée - elle n'est d'ailleurs sans doute pas apparue sans raison - si elle les a poussés à trembler dans leurs braies à la seule idée d'admettre la moindre erreur.

Effectivement et c'est sans aucun doute parce qu'ils ont déjà tremblé plusieurs fois "dans leurs braies" depuis 1879, qu'ils n'ont plus aucune envie que cela recommence... :wink:

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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