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Echanger à l'Ile du Diable Dreyfus contre Esterhazy aurait certes fait des vagues, mais après tout c'était une preuve d'honnêteté.
Certes, mais c'était surtout, et avant tout, une preuve d'incompétence. Je crois qu'il ne faut pas l'oublier dans le contexte de l'époque.
A cette date le 2nd bureau avait déjà réussi - après que Boisdeffre et l'attaché militaire Moulin aient réussi à finaliser l'alliance franco-russe - à obtenir, entre autres, les grandes lignes de la 1ère version du plan Schlieffen, les plans de concentration de l'armée austro-hongroise, mais là, il n'est pas capable de mettre la main sur un mouchard de bas étage ? Avouons que cela ne fait pas très sérieux - et encore, je ne prends pas en compte la théorie de Guillemin/Doise, selon laquelle Esterhazy aurait été chargé d'intoxiquer les Allemands (dans ce cas là, c'est non seulement de l'incompétence, mais en plus on aurait frisé l'incident diplomatique majeur).
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Il se serait certes trouvé des caricaturistes pour ricaner, quelques politiques pour s'indigner, mais jamais, au grand jamais, ça n'aurait dégénéré en affaire politique durable.
Nous n'en savons rien, la République se remet à peine de deux profonds scandales, qui ont failli l'emporter en moins de 4 ans : Boulanger et Panama.
De plus, concernant la question russe, Alexandre II avait déjà tenté de se rapprocher de la France en 1879 - lorsque Boisdeffre était attaché militaire à Saint-Pétersbourg et le général Chanzy ambassadeur - et le refus du gouvernement français de livrer aux Russes le nihiliste Hartmann fait alors tout capoter.
Fort heureusement, une décennie plus tard, en 1888, les nihilistes russes arrêtés en France sont remis à la police russe : on fait alors davantage confiance au gouvernement républicain, mais si c'est alors Charles Floquet le ministre de l'Intérieur - rappelons que le drôle avait osé dire à Alexandre II, en visite à Paris en 1867, "Vive la Pologne libre, Monsieur !".
Autre exemple : on sait aujourd'hui que le scandale de Panama a retardé de près d'une année au moins la ratification de l'alliance franco-russe (Boisdeffre et Moulin, alors, ne relâchent pas leurs efforts pour que le contact, perdu en février 1893, soit rétabli avec les Russes, ce qui arrive en janvier 1894).
Là, ce fut Alexandre III qui avait reçu une nouvelle fois la preuve que le système républicain français n'était pas digne de confiance, d'autant plus que la majorité du personnel politique français (on peut penser à Ribot et, surtout, Freycinet le meilleur ministre de la Guerre et des Affaires étrangères du moment) avec lequel ses ministres avaient négocié a été emporté par le scandale. Il déclare à Mohrenheim (ambassadeur de Russie à Paris) vouloir tout stopper ! D'autant plus que ce dernier est visé par une campagne de presse particulièrement infamante concernant de potentiels chèques qui lui auraient été versés.
Nous nous situons donc là, à ce moment précis, quelques semaines seulement avant le 1er jugement de Dreyfus et une année, seulement, avant les découvertes de Picquart.
Une fois de plus, les officiers généraux de l'EMA paraissent plus sûrs à l'Empereur russe, dignes de confiance et surtout immaculés de ces gabegies et vissicitudes "républicaines", qui produisent scandales sur scandales et offrent une image peu glorieuse de la France en Europe. Ce qui est le plus difficile à avaler pour Alexandre III c'est la liberté de la presse qui règne en France : sa plus grande crainte est qu'un jour, suite à un nouveau scandale, les détails de l'alliance se retrouvent dans les colonnes du
Temps, du
Gaulois ou de
L'Aurore, sur la place publique au final.
Je passe, bien entendu, l'affaire Boulanger, tapageuse en Europe, qui a, elle aussi, retardé la conclusion de l'alliance. Giers et Alexandre III ne pouvaient plus supporter les sorties de ce général d'opérette, qui ne comprenait rien aux affaires européennes du moment.
De cette décennie, très délicate sur le plan intérieur français, restait l'EMA et certaines personnalités avec qui on pouvait parler, négocier, avoir entière confiance. Pour Alexandre III et son chef d'Etat-major, le général Obroutcheff (moins Giers, qui a eu de sérieuses difficultés à passer de l'alliance allemande à la française - en serait-il d'ailleurs mort ?
), ces personnes sont ces officiers généraux sérieux, loyaux, honnêtes et compétents, en place depuis plus de 10 ans.
Et voilà qu'eux aussi se mettraient à faire n'importe quoi ? Provoqueraient un scandale ?
Impensable !
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L'expression de "Veau d'Or" pour l'alliance russe n'est pas si mal trouvée - elle n'est d'ailleurs sans doute pas apparue sans raison - si elle les a poussés à trembler dans leurs braies à la seule idée d'admettre la moindre erreur.
Effectivement et c'est sans aucun doute parce qu'ils ont déjà tremblé plusieurs fois "dans leurs braies" depuis 1879, qu'ils n'ont plus aucune envie que cela recommence...