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Message Publié : 10 Juin 2007 7:45 
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Il y a bien longtemps, je voulais mettre en ligne le fruit de mes recherches sur la presse française de la Belle Epoque et de son jugement des mutations politiques, qui s'exprimaient en Russie, entre 1904 et 1908.
Voici quelques passages d'une recherche, pour le moins synthétisée, mais assez éclairante, sur les grands journaux de la presse d'opinion de l'époque.

L'Humanité :
Citer :
La vie de ce quotidien est rythmée par celle du socialisme français. C’est pourquoi, il faut rapidement, revenir dessus.
Pour le lancement de l’Humanité, il fallut rassembler 880 000 francs de l’époque. Le premier numéro connaît un beau succès : 130 000 exemplaires vendus. Le quotidien socialiste paraît sur quatre pages au prix de 5 centimes, ce qui représente un prix très abordable comparé aux 15 centimes du Figaro ou du Temps. Il plafonne rapidement autour de 50 000 exemplaires au début de 1905, 40 000 dès la fin de cette année.

La rédaction est de qualité et le « journal des dix-sept agrégés » compte parmi ses éditorialistes, outre Jean Jaurès, Lucien Herr, Jean Longuet, Francis de Pressensé ou encore Jean Allemane, des écrivains comme Anatole France et Jules Renard. Cela en fait un journal tourné vers les intellectuels, ce qui n’est pas le but premier recherché, car de nombreux ouvriers (base de l’électorat socialiste) sont ainsi laissés pour compte, ne comprenant pas les subtilités des explications doctrinales au regard de leur vie quotidienne. Cette erreur d’appréciation est vite comblée pendant l’année 1906, du fait d’une chute constante du nombre d’exemplaires vendus (à peine 30 000 au début de 1906), et le journal se recentre sur des sujets plus compréhensibles pour son électorat et plus axés sur l’information, donc moins théoriques.

Pourtant si la marche vers l’unité des socialistes français semble inéluctable, des divisions persisteront sur de nombreux points entre les différents clivages du mouvement. Les principaux courants, au nombre de quatre, se sont structurés autour de personnes bien définies. Le Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire qui est le parti de Jean Allemane, ancien communard, prône une politique où la grève représente l’arme ultime de la lutte contre le système de production capitaliste, l’action électorale n’étant qu’occasion de propagande et d’agitation. Les blanquistes se retrouvent autour d’Edouard Vaillant dans le Comité Révolutionnaire Central ; Vaillant, qui fut membre de la Commission exécutive de la Commune, adopte une stratégie de lutte politique (ce qui est une différence notable face aux doctrines insurrectionnelles de Blanqui) ne repoussant pas la réforme comme tactique d’action quotidienne, malgré sa conception d’un socialisme révolutionnaire dans sa stratégie comme dans ses fins. Le Parti Ouvrier Français, quant à lui, s’est organisé autour de Jules Guesde, qui défend le socialisme édicté par l’Internationale socialiste, militant pour une lutte politique et des réformes obtenues par l’action parlementaire, tout en croyant toujours à une révolution et à l’instauration de la dictature du prolétariat ; sa stratégie est plus pragmatique que les précédents mouvements. Il reste les socialistes « indépendants »,1 comme Jean Jaurès, Alexandre Millerand ou René Viviani, qui sont plus pragmatiques encore, rejettent de nombreux postulats marxistes comme la définition de l’Etat et adoptent un évolutionnisme révolutionnaire . Si ce mouvement suit Marx dans sa définition économique de l’asservissement du prolétariat par la bourgeoisie capitaliste, détentrice des moyens de production, il refuse la vision d’un Etat bourgeois où le prolétariat ne trouverait sa place qu’en le combattant.

Les Congrès généraux des organisations socialistes françaises qui se déroulent à Paris, salle Japy en décembre 1899, puis salle Wagram en septembre 1900, enfin à Lyon en mai 1901 débouchent sur des échecs. Lors du second, les guesdistes quittent le Congrès car ils sont opposés à la participation ministérielle ; lors du troisième, Vaillant et ses amis partent parce que le Congrès refuse d’exclure Millerand qui fait partie du cabinet Waldeck-Rousseau (1899-1902). En 1901, on assiste à la formation du Parti Socialiste de France sous l’égide des guesdistes et des blanquistes. En 1902, le Parti Socialiste Français s’organise autour des indépendants de Jaurès et des allemanistes. L’union semble proche, mais au sein de chacun des nouveaux partis les particularismes de chaque clivage sont conservés, de plus l’Humanité naît le 18 avril 1904 pour répondre à un impératif : le P.S.F. n’a pas de journal alors que le P.S.d.F. possède le Droit du peuple. C’est dans un contexte de choix entre l’union ou la division que paraît le premier numéro de l’Humanité. Les socialistes français se font alors imposer l’unité par l’Internationale socialiste, lors du Congrès d’Amsterdam se tenant du 14 au 20 août 1904. Une commission d’unification fonctionne à partir du 29 novembre 1904.

Le personnage central demeure Jean Jaurès, directeur politique du nouveau journal, ce qui implique que rien ne paraît sans son accord ; nous pouvons donc en conclure que sa responsabilité porte aussi sur les articles non signés. Né à Castres en 1859, normalien, agrégé de philosophie en 1881 (reçut troisième, juste derrière Bergson !), Jaurès est le benjamin de la Chambre des députés après les élections de 1885, où il entre sous une étiquette ferryste. A cette époque, il est très éloigné du socialisme et la première rencontre qu’il en fait, à la Chambre, le déçoit : il trouve les socialistes trop violents et dogmatiques dans leurs propos. C’est donc un républicain nationaliste, soutenant la politique coloniale de Ferry au Tonkin. Il est ensuite « converti » au socialisme par Lucien Herr, bibliothécaire à l’Ecole Normale Supérieure. Il se rallie assez vite à la nécessaire union entre tous les socialistes français, sachant très bien que les thèses guesdistes, auxquelles il est opposé, formeront l’essentiel du programme du Parti Socialiste unifié de France (ou S.F.I.O. : Section Française de l’Internationale Ouvrière) se constituant au congrès du Globe, à Paris,
les 23 et 24 avril 1905. L’Humanité devient alors le journal officiel du nouveau parti, où Guesde, Bracke ou encore Lafargue écriront aussi.
La partie concernant la politique étrangère est confiée à Jean Longuet, petit-fils de Marx, qui suit Jaurès depuis l’affaire Dreyfus. Lucien Herr y écrit aussi, mais des articles teintés très souvent du dogmatisme marxiste sur la révolution et la lutte des classes. Néanmoins, celui qui va écrire le plus d’articles sur la vie politique en Russie est Léon Rémy, qui arrive à l’Humanité seulement après l’unité – les deux autres y écrivant depuis sa fondation – , c’est un syndicaliste et un antiparlementariste assez proche des anarchistes. De plus, tout comme Herr, il parle parfaitement le russe et connaît le pays. Il faut ajouter qu’à partir de novembre 1904, un correspondant spécial du journal est dépêché à Saint-Pétersbourg : il s’agit d’Etienne Avenard. Il est important de souligner que les journalistes s’occupant des affaires russes connaissent le pays et la langue, ce qui constitue un véritable avantage pour leur capacité à appréhender, comprendre et analyser les différents aspects et composantes de cette société. Il ne faut pas oublier non plus qu’un correspondant spécial coûte très cher pour un journal à l’époque, ce qui prouve la place importante que tient la Russie chez les socialistes français.
Etienne Avenard ne se contente pas de transmettre ses Lettres de Russie à son journal, il écrit aussi un ouvrage pour témoigner de ce qu’il a vu des événements révolutionnaires en Russie .
Ce correspondant socialiste ne passe pas inaperçu dans la communauté diplomatique française de Saint-Pétersbourg et Maurice Bompard, ambassadeur de France en Russie de 1903 à 1908, note dans ses mémoires tout son respect pour un correspondant objectif et bien renseigné sur ce qui ce passe dans l’Empire des tsars : « M. Avenard, alors correspondant de l’Humanité de Jaurès en Russie, que je tiens pour bien informé et digne de foi, accusait deux à trois cent tués et mille à deux mille blessés. » . Ce bilan est celui de la journée sanglante du 9/22 janvier 1905 qui opposa les ouvriers de Saint-Pétersbourg aux soldats de la garde. Sans entrer dans le détail, de nombreux bilans furent tenus dans la presse française, plus fantastiques les uns que les autres.


Le Temps :
Citer :
En 1904, ce journal est déjà dans sa 45ème année, il paraît sur quatre pages et le numéro coûte 15 centimes. Il fait partie des feuilles parisiennes de qualité, qui servent de référence, tant au niveau de l’information que de ses prises de position, aux autres journaux. Ces quotidiens influents sur le reste de la presse française sont au nombre de trois : Le Temps, Le Figaro et le Journal des Débats, et pour les historiens de la presse, ils forment les « grands journaux du Centre » . Ses quatre pages sont d’un format plus grand que tous les autres quotidiens de l’époque, ce qui rend sa lecture peu attrayante. Notre dépouillement a porté sur tous les numéros du Temps, à compter du 1er janvier 1904 jusqu’au 31 décembre 1908. Mais la collection de microfilms étudiée, pourtant la plus complète, est lacunaire concernant les numéros du 8 septembre et du 4 novembre 1904 ainsi que pour ceux du 16 janvier, des 23 et 27 février 1905, qui sont mutilés. Son supplément, le Petit Temps, qui n’est pas un supplément quotidien, porte surtout sur les informations parlementaires et boursières a aussi fait l’objet de notre étude. Il existe depuis le 3 mars 1893, compte quatre pages de petit format et paraît le soir (principalement pendant les sessions parlementaires), il coûte 5 centimes, mais il reste gratuit pour les abonnés.

Journal sérieux, de qualité, il est dirigé depuis 1872 par Adrien Hébrard. Sa personnalité est mal connue et il n’a laissé aucun témoignage de son action. Pourtant ses contemporains et certains de ses collaborateurs soulignent une direction de fer, voire autoritaire, exercée par cet homme à poigne, originaire du Tarn et sénateur de Haute-Garonne pendant plus de vingt ans. Ses liens avec les milieux politiques et financiers ont été établis lors de la révélation scandale de Panama, dans lequel Le Temps a été le quotidien le plus arrosé (119 000 francs), tout comme Hébrard en tant que directeur du journal (1 769 000 francs). Mais, il reste beaucoup de zones d’ombres du fait d’archives inexistantes – publiques et privées – concernant Hébrard et son journal.
Maurras qualifiait Le Temps d’être le « plus grand journal de la République ». Ses liens avec les milieux parlementaires et gouvernementaux, ainsi qu’avec l’agence Havas, lui donnèrent une image de feuille officielle. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas et nous aurons l’occasion de le rappeler lors de l’étude plus précise des événements révolutionnaires en Russie. Son tirage quotidien n’était pas très élevé : il passe de 22 000 exemplaires en 1880 à 35 000 en 1904. Une progression lente, mais certaine. Il n’avait pas besoin d’un tirage important tant sa renommée internationale et nationale était grande surtout pour ses informations et ses jugements de politique étrangère. Il est le grand quotidien français de référence, celui des élites républicaines modérées, le seul en Europe à être comparé et à égaler le prestigieux Times. Le nombre de ses correspondants à l’étranger était impressionnant : souvent ils étaient trois ou quatre dans le même pays. Nous pouvons citer ici, pour la Russie, les figures de Raymond Recouly (qui le fut aussi au Figaro) et de Georges Bourdon (qui rencontra Tolstoï et écrivit un livre de cette expérience ).
Un point important le différencie de ses concurrents : dans un souci d’objectivité le plus grand, Hébrard demande à ses chroniqueurs de garder l’anonymat. Ainsi, il est très difficile de savoir qui a écrit quoi et c’est la responsabilité morale du directeur politique qui est engagée. Mais, les articles de politique intérieure et de politique extérieure étaient rédigés par deux journalistes, sans doute, aux dires de leurs contemporains et de leurs collègues, les plus doués de leur époque. Il s’agit d’Eugène Lautier et d’André Tardieu.
Eugène Lautier entre à 18 ans, en 1885, au Temps, où il fascine Hébrard, méridional comme lui, qui lui confie rapidement la charge de s’occuper de la rédaction d’articles de politique intérieure. Sa longue carrière dans ce quotidien (35 ans !), ne l’empêche pas de rejoindre au début du mois de mars 1905 Le Figaro, où il s’occupe de la partie des affaires étrangères. Un journaliste complet qui entre tard en politique (après la Première Guerre Mondiale) chez les radicaux-socialistes, qu’il avait toujours combattu au Temps, surtout sous le gouvernement Combes et Rouvier.
André Tardieu a connu un parcours beaucoup plus mouvementé qui le conduit le 2 mars 1930 jusqu’au poste de président du Conseil. Normalien, il débute une carrière diplomatique en 1897 à l’ambassade de France à Berlin, puis devient secrétaire de Waldeck-Rousseau entre 1899 et 1902. L’arrivée d’Emile Combes et du Bloc des gauches au pouvoir, le fait se retirer de la vie politique, mais ne reste pas moins proche du Quai d’Orsay et inspecteur-adjoint des services administratifs au ministère de l’Intérieur. Tardieu est donc très lié avec le monde politique et diplomatique, ce qui fait qu’Hébrard va l’appeler à lui en avril 1904 (il avait collaboré au Figaro, épisodiquement, jusqu’alors) pour prendre la succession de Francis de Pressensé, qui a rejoint l’Humanité, pour la rédaction du « Bulletin de l’Etranger » qui paraît en 1ère page, à gauche, chaque jour. Ses liens avec l’administration vont lui être précieux et ses articles seront lus par les diplomates (on peut affirmer qu’ils les influenceront) de la conférence d’Algésiras en 1906. Le chancelier von Bülow aurait déclaré à l’issue de cette conférence, qui a été marquée par l’isolement de l’Allemagne vis-à-vis des puissances européennes sur la question marocaine : « Il y a six grandes puissances en Europe… et une septième qui est M. Tardieu. » . Tardieu arrivait chaque matin au Temps, vers 11h30, étant déjà passé au « quai », où il avait été reçu par Jules Cambon, Philippe Berthelot ou le ministre. Son article n’était jamais long, mais précis et compréhensible de tous.
Il faut souligner qu’Hébrard ne laissait jamais rien paraître dans son journal sans l’avoir lu et s’il faisait une entière confiance à ses collaborateurs, il ne laissa jamais une totale autonomie à Tardieu ou à Lautier. D’ailleurs, la collaboration de ces deux journalistes avec leur directeur fut toujours nécessaire et leur entente fut certaine.
En tant que haut fonctionnaire, Tardieu, ne pouvait signer de son vrai nom au Figaro et au Temps. Si les articles de première page qui engageaient moralement et idéologiquement Le Temps étaient anonymes, d’autres, en seconde page ou en troisième, ne l’étaient pas nécessairement et à ces occasions, Tardieu prenait le pseudonyme de Georges Villiers.
Il occupa cette fonction jusqu’en 1914, date de la disparition d’Hébrard. En toute objectivité, il n’hésita pas à critiquer la gestion gouvernementale russe des événements de 1904-1908 et fut pour cela un des ennemis déclarés de l’administration impériale, qui trouvait qu’au Temps, on était – donc Tardieu – trop proche des Cadets (ou constitutionnels-démocrates, qui ont remporté les élections à la première Douma d’Empire).
Maurice Bompard, ambassadeur en Russie, fait état d’une plainte du ministre des Affaires étrangères russe Iswolsky en décembre 1906 concernant l’attitude du Temps : « Iswolsky s’était plaint du langage de la presse française et particulièrement du Temps sur la manière de se comporter du gouvernement impérial en Russie. » . De même, une lettre du 23 septembre 1906 de M. Raffalovitch, conseiller du ministère des finances russe à Paris, qui fut chargé de soudoyer la presse française pour que les titres russes à la bourse de Paris ne s’effondrent pas sous les coups d’une guerre perdue et de ses conséquences révolutionnaires, au ministère des Affaires étrangères russe prouve que Le Temps est peu favorable à la politique menée par le gouvernement impérial : « J’ai répondu en citant l’exemple du Temps qui est aux mains des Cadets et qui n’a cesse de nous trahir dans sa partie politique. »


Le Figaro :
Citer :
Ce journal fait aussi partie de ces trois feuilles de qualité qui influençaient la presse de la Belle Epoque. En 1904, il est dans sa 50ème année, paraît sur six pages, cela depuis le 1er décembre 1895 (c’est le premier quotidien à passer aux six pages), au prix de 15 centimes le numéro. Comme Le Temps, ce journal est assez cher et il reste surtout un journal d’abonnés et d’une élite, plus conservatrice que celle du Temps.
Notre dépouillement a concerné une collection de microfilms complète et en très bon état – ce qui est rare ! – du 1er janvier 1904 au 31 décembre 1908.

Politiquement, Le Figaro a toujours été modéré, se plaçant en dehors des scandales. Il se rallia tardivement au régime républicain dans les années 1880, sous la houlette de Magnard, abandonnant du même coup le monarchisme et son ton léger et satirique, peu sérieux. L’information fut alors privilégiée tout comme la littérature et les arts. C’est sans doute le quotidien qui fut le plus orienté et le plus lu concernant la critique théâtrale et littéraire, voire musicale. C’était pour lui ce que l’information internationale était au Temps. Très lu par la haute bourgeoisie et l’aristocratie parisienne, offrant la discussion dans les salons, il tirait régulièrement à plus de 80 000 exemplaires entre 1879 et 1895. Sa prospérité et sa renommée étaient grandes et entières. Emile Zola y écrivait régulièrement, tout comme Anatole France, Maurice Barrès, Pierre de Coubertin, Anatole Leroy-Beaulieu ou encore Jules Clarétie.
Le journal en 1904 est en pleine reconstruction. Après la mort du fondateur, Villemessant, et de son successeur Magnard en 1894, deux hommes se disputèrent la succession du prestigieux journal : de Rodays et Périvier. De Rodays lança ce journal assez éloigné des scandales dans l’affaire Dreyfus et en octobre 1897, il défendit le capitaine en rendant public le dossier Scheurer-Kestner et permit à Zola, pendant tout le mois de novembre, d’écrire sa série d’articles « La vérité en marche ». Ses lecteurs protestèrent contre cette défense du capitaine, ils l’abandonnèrent et lui préférèrent l’Echo de Paris. Parallèlement, les procès se succédèrent entre de Rodays et Périvier. En 1901, ils furent contraints de partir du journal, mais le mal était fait : les tirages du journal n’atteignaient plus que 20 000 exemplaires.
La direction du journal fut donc confiée par un comité de surveillance – créé par les actionnaires – à Gaston Calmette en janvier 1902. Le directeur-gérant, qui devait rendre des comptes au comité chaque année, eu la mission délicate de restructurer le journal et de faire revenir à lui le lectorat qui l’avait fui. Son message est limpide, il n’y aura plus de politique et de dérapages à l’avenir : « La politique aura le moins de place possible dans cette maison qui a été trop longtemps divisée par elle : elle n’y aura plus chaque jour son bulletin permanent… » .
Calmette remboursa les dettes du journal, modernisa l’immeuble, acheta des machines d’impression (avant elles étaient louées) et fit remonter les tirages. En 1904, ils avaient été de 32 000 exemplaires et ils progressaient. Le bilan était donc positif et Calmette fut reconduit dans ses fonctions jusqu’au 16 mars 1914, lorsqu’il fut assassiné par Mme Caillaux, femme du ministre des Finances contre lequel il menait une campagne…politique.

En fait, il convient de nuancer. Le Figaro ne fut pas dépolitisé du jour au lendemain pour se contenter uniquement de ses critiques littéraires et théâtrales. Il fut, tout comme Le Temps, un ardent opposant au gouvernement Combes et au Bloc des gauches entre 1902 et 1906. Calmette prenait souvent sa plume pour critiquer ouvertement le projet de loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1904 et 1905. Il continua pour les violences découlant des inventaires et n’hésita pas à révéler dans les colonnes de son journal le scandale « des Fiches ». Cette affaire, portée à la Chambre, fut le coup de grâce pour le ministre de la Guerre du gouvernement Combes, le général André, qui ne pu cacher les enquêtes réalisées par l’administration sur les officiers pour savoir s’ils se rendaient ou non à la messe. Le général démissionna, après avoir été giflé en pleine séance par le député nationaliste Syveton. Le gouvernement Combes, tomba quelques semaines après. On peut donc discuter du retrait de la politique de la part du Figaro.
Ce qui est certain, c’est qu’il ne possédait pas en 1904 de spécialistes pour la politique intérieure, encore moins pour les affaires extérieures. La plupart des articles étaient en plus signés de pseudonymes, que nous n’avons pas réussi à identifier.
Il faut attendre l’arrivée d’Eugène Lautier au début du mois de mars 1905 pour avoir un rédacteur spécialiste de la politique nationale et internationale. Mais, au Figaro, il ne s’occupe que des affaires étrangères et tient sa rubrique quotidiennement. André Tardieu écrit épisodiquement sous le pseudonyme de Georges Villiers au début de l’année 1904, mais il ne le fait plus, lorsqu’il entre au Temps en avril 1904. Ces échanges de journalistes entre ces deux feuilles consœurs, prouvent que leur lectorat était sensible au même style et aux mêmes opinions. Car, aucun ne change sa manière d’écrire et ses idées lorsqu’il change de journal.

Le Figaro se paie aussi des correspondants à l’étranger de qualité, mais uniquement lorsque les événements en donnent l’occasion. Il n’a pas de correspondant permanent en Russie, mais en dépêche en fonction de la situation. Ainsi, Raymond Recouly fait vivre aux lecteurs du Figaro les événements de janvier 1905, puis du reste de l’année, alors que l’année précédente il envoyait ses Lettres de Russie au sujet de la guerre russo-japonaise au Temps. Le même constat peut être fait concernant Georges Bourdon. Quant à Pierre Giffard, le doyen des reporters français, il reprend du service pour le journal de Calmette lors de la réunion de la première Douma en juin 1906. Non seulement les deux journaux se partagent leurs rédacteurs principaux, mais aussi leurs correspondants spéciaux.
Malheureusement, nous disposons de beaucoup moins d’informations sur le Figaro que sur son confrère. Si les exemplaires du quotidien sont plus facilement dénombrables, ses rédacteurs et chroniqueurs sont moins connus et ont fait l’objet de peu d’études.
Le Figaro, tout comme Le Temps, juge l’alliance franco-russe comme utile et nécessaire car elle a sorti la France de son isolement diplomatique. Pragmatiques, ces deux quotidiens ne pensent pas que la nature du régime politique puisse interférer dans la diplomatie et ils accusent les socialistes, qui sont opposés à l’alliance, de faire le jeu des antipatriotes et de l’Allemagne. Néanmoins, il faut rappeler que la place de Calmette dans les pots-de-vin distribués par le représentant du gouvernement russe est primordiale : son journal et lui-même sont les mieux rétribués de la presse française en 1906 (4 500 francs par mois). Donc, il paraît normal qu’il défende le pays allié.

Par ailleurs, il faut relativiser aussi certains jugements d’historiens de la presse qui observent dans la ligne politique de la rédaction du journal un soutien au régime républicain. Si c’est le cas sous Magnard et de Rodays, cela est plus discutable sous Calmette et cela même s’il fait partie de l’Association des journalistes parisiens, républicaine, aux côtés d’Hébrard. L’article qu’il rédige le 4 septembre 1904, anniversaire de la proclamation de la IIIème République, peut laisser perplexe quant à ses idées républicaines :
« En trente-quatre ans, la République n’a pas plus réalisé les rêves de ces cœurs sincères qu’elle n’a satisfait les appétits de ses exploitants ou les besoins des ouvriers. […] Les principes libéraux qui ont charmé toute une génération d’hommes enthousiastes sont littéralement en faillite. Députés et sénateurs, députés surtout, ont le droit, tant réclamé, de surveiller, de contrôler et de voter les budgets : jamais les budgets n’ont été plus pitoyables, moins bien équilibrés. Les trois libertés nécessaires : liberté de la presse, liberté de réunion, liberté d’association fonctionnent sans entrave. Qu’ont-elles données ? Rien ! Jamais la presse n’a été plus dépendante des passions et des préjugés du parti auquel elle appartient. […] La presse libre n’a donc servi qu’à vulgariser les idées fausses, à créer des politiciens de cabaret. […] Quant aux foules, elles apprennent à lire, elles n’apprennent pas à comprendre, elles veulent entendre parler de leurs droits, jamais de leurs devoirs ; par conséquent la diffusion de l’instruction sur laquelle on comptait pour relever le niveau intellectuel et moral du pays a fait faillite comme le reste ! […] D’ailleurs, les germes de toutes les sociétés actuelles de bienfaisance, des caisses de retraite, etc., datent du règne de Napoléon III. La République n’a rien créé. Si le grand coupable, le parlementarisme, ce fantôme qui nous séduisait aux époques de silence, reste le maître irresponsable, anonyme, encombrant et violent, il n’y aura bientôt plus de gouvernement capable de défendre véritablement les intérêts du pays, car la persistante confusion des trois pouvoirs conduit à la désorganisation de toutes les forces sociales. Il faut essayer de ramener la France à d’autres principes : il faut lui rendre le sentiment d’autorité, la notion de la hiérarchie, les idées de tolérance… » .
Il faut bien entendu voir dans ces propos un républicain qui paraît trahi par ce que le gouvernement Combes réalise, mais il ne se limite pas à ses seuls actes et dresse un bilan plutôt négatif de la République. En fait, la République n’a rien créé et elle n’a fait que pervertir les idéaux de ses fondateurs. Selon Calmette, elle a même travesti les principes moraux du peuple français. Le rappel de Napoléon III et des notions d’autorité et de hiérarchie peuvent même laisser entendre que les opinions politiques de Gaston Calmette le placent à la frontière entre un républicain très conservateur, dégoûté, et un partisan de l’autorité, si bonapartiste… Sa critique des déviances d’une presse populaire qui véhicule des idées simplistes, pour la compréhension du plus grand nombre, est assez démonstrative de sa défense d’une société hiérarchisée et élitiste. Cela prouve aussi, selon lui, un échec de la politique d’instruction de la République.
Le choix de Calmette concernant les chroniqueurs écrivant sur la Russie, autres que Lautier et les correspondants cités, le conduit vers ce même conservatisme, qui est des plus discutable lorsqu’ils apportent de fausses informations sur la situation en Russie.


L'Action française :
Citer :
Cet organe de presse connaît une évolution singulière. L’Action française est d’abord une revue bimensuelle, paraissant les 1er et 15 de chaque mois, cela depuis le premier numéro du 1er août 1899, qui suite à son succès devient un quotidien, à partir du 20 mars 1908. Notre dépouillement concerne tous les numéros de la revue pour les années 1899, 1900, 1904, 1905, 1906 et 1907. Les trois derniers trimestres de l’année 1908 ont été étudiés à partir du jeune quotidien. Le dépouillement a été effectué à partir d’exemplaires en papier, conservés dans les locaux de l’Action française 2000.

Le directeur politique de la revue est Henri Vaugeois (il le reste au quotidien), mais le véritable mentor de ce cercle de nouveaux monarchistes, qui comprend, entre autres, Jules Lemaître, Léon Daudet et Maurice Pujo, est Charles Maurras. L’idéologie véhiculée par la revue est exposée par Vaugeois dans son premier article, le 1er août 1899. Il perçoit cette revue comme « un organe de combat » dans une lutte nationale. Il s’agit d’un véritable appel à la Nation, qui doit se réveiller et se « révolter » contre ses ennemis. Ceux-ci sont, principalement, le capitaine Dreyfus, tous ses défenseurs, les parlementaires et les Juifs. L’éditorial de la revue souhaite que celle-ci soit dans la ligne de la réaction, car on renonce au régime républicain et on souhaite une restauration monarchique sous couvert du catholicisme. Il faut souligner que Vaugeois, Pujo, Daudet, François de Mahy, Léon de Montesquiou, Jacques Bainville entre autres n’étaient pas monarchistes au départ. C’est Maurras qui a fait naître en eux la flamme royaliste.
Ainsi, les premiers compagnons de route de Vaugeois et de Pujo sont des monarchistes convertis, qui conspuent la République – et la démocratie, puisque la monarchie ne serait pas parlementaire, le pouvoir émanant d’une élite – et se déclarent ennemis de tout ce qui peut casser la cohésion nationale, à savoir les Juifs, les protestants, le socialisme, les francs-maçons etc.… La plupart de ces personnages, qui fondent la Ligue d’Action française le 10 juillet 1905 à Versailles, viennent de milieux assez variés : militaires, journalistes, hommes de Lettres, fonctionnaires. Ils pensent que c’est à l’élite de gouverner la France et d’orienter le peuple. Ils n’hésitent pas à citer leurs « maîtres » dans leurs articles, comme par exemple Louis de Bonald ou Joseph de Maistre. Ils contestent l’héritage des Lumières et les acquis de 1789.
Avant même la création de la Ligue d’Action française, les sociétaires de l’Action française étaient en rapports étroits avec la Ligue de la Patrie française et les milieux nationalistes et monarchistes parisiens.
Henri Vaugeois et Charles Maurras s’occupent principalement de la rubrique de l’étranger dans les colonnes de la revue. La revue, comme le journal, ne peut se payer de correspondant permanent en Russie. Pays, d’ailleurs, qui semble peu les intéresser – nous reviendrons dessus.
Lorsque le quotidien paraît le 20 mars 1908, quelque chose a changé par rapport à l’époque de la revue : l’étendue du lectorat. D’une revue réservée à une élite intellectuelle et engagée dans l’Affaire, le journal va augmenter ses tirages et donc toucher plus de lecteurs. Cela est dû au prix attractif de 5 centimes et au fait que dans la nébuleuse des feuilles et des groupes monarchistes, le duc d’Orléans fut contraint de donner sa préférence à l’Action française.
En effet, les monarchistes du Gaulois, du Soleil ou de la Gazette ne voient pas d’un bon œil ces nouveaux venus dans une famille monarchiste déjà bien divisée. Leurs méthodes violentes, utilisées lors des inventaires en 1906 et 1907 pour défendre les églises des agents du fisc et de l’armée ou encore lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon, choquent ces royalistes, plutôt conservateurs. Ils exercent un chantage sur le duc d’Orléans pour qu’il retire son soutien aux amis de Vaugeois et de Maurras. Mais, l’Action française est déjà trop populaire : elle a investi les milieux universitaires, les milieux nationalistes, qui ont connu une défaite cinglante aux élections de 1902, l’Eglise et jouit même d’un prestige chez les républicains conservateurs. Les cercles nationalistes parisiens semblent subjugués , voire ravis, par les scandales et les actes violents organisés par les Camelots du Roi (organisation apparaissant en 1908, suite aux violences qui ont accompagné le transfert des cendres de Zola au Panthéon), militants et colleurs d’affiche de la Ligue. Le duc ne leur retire donc pas son soutien.
C’est surtout grâce à Léon Daudet (fils d’Alphonse Daudet) que la revue peut se muer en journal et que les militants affluent vers la Ligue. Vaugeois, Maurras ou Pujo ne possèdent pas le talent oratoire de Daudet. Lors des réunions et des meetings des sympathisants de l’Action française, il va donner un corps à la doctrine élaborée par Maurras. Mais, c’est aussi son soutien financier qui va permettre de créer le nouveau journal. Un capital primitif destiné à la création du nouveau quotidien rassemblait environ 500 000 francs selon Daudet, dont le tiers avait été fourni par lui et sa femme . Si Vaugeois demeure le directeur politique du journal, Daudet en devient le directeur et le rédacteur en chef. Sa position est donc primordiale et incontournable.

Le fait que le nouveau quotidien royaliste, de quatre pages à 5 centimes le numéro, se déclare « l’organe du nationalisme intégral » et place en haut à droite de sa première page une citation du duc d’Orléans : « Tout ce qui est national est notre », n’est pas anodin.
Il faut expliquer la théorie de Maurras qui, tout en influençant ses compagnons, travaille pendant plus de dix ans à élaborer la doctrine de l’Action française. Si l’envol de ses idées a bénéficié de l’affaire Dreyfus, de sa conjoncture politique et des troubles occasionnés par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat et des inventaires entre 1906 et 1908, Maurras n’a pas réellement fait preuve de pragmatisme vis-à-vis des événements. Ce sont plutôt eux qui ont confirmé sa doctrine et lui ont fourni sa maturation.
Né à Martigues en 1868, il est élevé dans un milieu de fonctionnaires, dévoués au service de l’Etat. A quatorze ans, il est précocement atteint de surdité, ce qui ne l’empêche pas de réussir ses études et d’entrer dans le monde de la littérature et du journalisme. Sa philosophie, qu’il considérait lui-même comme étant un système positif et machiavélien, est née de l’accablante impression de décadence et de dégoût qui suivit la défaite de 1870. Elle touchait la politique, mais aussi la littérature et les arts. Le goût du public s’était corrompu : les principes individuels, l’éducation, la mode, tout avait contribué au déclin. D’Athènes, où il s’était rendu en 1896 pour rendre compte des premiers Jeux Olympiques ressuscités, Maurras avait tourné ses regards en direction de sa patrie et il avait été consterné en constatant comme celle-ci apparaissait insignifiante, en observant l’influence allemande et britannique en Grèce et en Méditerranée.
Pour lui, seule une société corrompue pouvait se partager aussi brutalement sur des questions comme celles posées par l’affaire Dreyfus. Ainsi, il fut attentif à la place de plus en plus grande d’étrangers (Juifs, protestants, francs-maçons, étrangers, socialistes) et de moins en moins assimilés à la patrie, qu’il définit comme métèques. Pour Maurras, le but commun qui manquait à la France, le principe unitaire qui lui faisait défaut, qui avait permis la puissance et la grandeur du pays dans le passé, pouvait se trouver dans la monarchie. La monarchie serait une sauvegarde, assurant la paix publique, qui protégerait le peuple des mouvements engendrés par l’ambition du pouvoir absolu. Elle avait aussi sauvegardé l’unité nationale en empêchant les factions et les luttes. Tant que ce système durait, le pays avait été prospère, mais la Révolution avait apporté des idées fausses, ne tenant pas compte de la réelle nature de l’Homme, imparfaite et égoïste.
Bien entendu, sa tactique était de convaincre et de persuader un nombre croissant de personnes, mais cela ne suffisait pas. Il fallait se tenir préparé afin d’abattre la République le moment venu. Sans doute, Maurras ne pensa pas à des insurrections armées, mais un coup d’Etat était dans le domaine des possibilités.
Il s’agit donc d’un royalisme nouveau, qui ne se contente pas seulement, au nom de la tradition, de revenir à l’Ancien Régime, mais qui se donne une mission de régénération nationale en privilégiant l’action (séminaires, réunions, collage d’affiches, manifestations, coups d’éclats politiques…). Le quotidien agit comme un donneur d’ordres et un guide des consciences des militants – au nom même de cette action – des diverses organisations nationalistes et royalistes affiliées à la Ligue.
L’alliance franco-russe, quant à elle, est jugée très négativement par les maurrassiens, car elle a été négociée par le régime républicain, faible et anarchique, qui n’est de sorte qu’un « satellite de la Russie » . Par ailleurs, l’Empire russe n’est perçu que comme un « Etat despotico-religieux : une administration, une religion », qui ne satisfait guère ces monarchistes catholiques, peu inclinés vers la religion orthodoxe.


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Message Publié : 10 Juin 2007 7:49 
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Concernant les relations entre le gouvernement français, la presse française et les autorités russes, il convient d'ajouter ce point, qui dépasse celui de la simple anecdote :

Citer :
Ceci nous amène à faire une digression quant à l’objectivité et la probité de nos sources. En effet, lorsque les bolcheviks prennent le pouvoir après les journées d’octobre 1917, ils décident de se désolidariser des régimes précédents (régime impérial et gouvernement provisoire) et de signifier que tout retour en arrière est impossible ce qui les conduit à publier toutes les archives des administrations russes d’avant 1917, principalement les archives diplomatiques. Ainsi, ils souhaitent révéler au monde entier les rapports de corruption et de compromission qu’entretenaient les gouvernements russe et français avec la presse française.
Il faut rappeler aussi qu’entre 1889 et 1904, la Russie a placé en France près de 5,5 milliards de francs, le plus souvent sous forme d’emprunts d’Etat. Les épargnants français avaient des portefeuilles composés au tiers par des titres russes . Ces placements ont permis les réformes industrielles et monétaires entreprises par Witte, ils formaient ainsi le contrepoids matériel de l’alliance défensive contractée en 1891-1892 entre la France et la Russie.
Dès le début de l’année 1904, les menaces de guerre puis les hostilités mal entamées (attaque de Port-Arthur le 9/22 février 1904) avec le Japon déclenchèrent une panique à la bourse de Paris. Pour y faire face, avec l’accord de Rouvier, ministre des Finances, un syndicat des grandes banques parisiennes confia à Alphonse Lenoir le soin de défendre les fonds russes. Les journées d’octobre 1905 nécessitèrent de nouveaux efforts. La presse fut aussi sollicitée, dès février 1904, et Raffalovitch rapporte que les deux gouvernements souhaitaient « uniformiser les tendances de la presse française, à créer ainsi, par son intermédiaire, un grand courant d’opinion publique continu et favorable à la politique à présente et à venir des deux gouvernements russe et français » . Un odieux chantage fut exercé par les organes de presse et l’agence Havas sur Raffalovitch lui demandant toujours plus afin de défendre les intérêts russes. Maurice Paléologue, futur ambassadeur en Russie, sous-directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires étrangères en 1904, jugea « ce continuel chantage exercé par les directeurs de notre presse à l’égard du Trésor impérial pour la soi-disant défense du crédit russe sur le marché français » comme « malpropre » et « répugnant » .
Ainsi, un bilan a pu être dressé quant aux subsides versés à la presse française. Par exemple, en 1906, Raffalovitch dépensait 115 000 francs par mois pour la presse. Là-dessus 5 000 francs étaient donnés au Temps et 2 500 au Figaro avec une somme spéciale pour Gaston Calmette, son directeur-gérant, de 2 000 francs. L’agence Havas, qui monopolisait les services de l’information et des dépêches de l’étranger, recevait 7 500 francs par mois. Cela ôte beaucoup de crédibilité à ces deux quotidiens. L’Humanité et l’Action française n’apparaissent pas dans cette sombre comptabilité.
Pourtant, lorsque le journal socialiste était en difficultés, Jaurès apporta un témoignage à ses contemporains sur cette vénalité de la presse française, soudoyée par le gouvernement russe. Le quotidien vendait alors 30 000 exemplaires par jour : 10 000 à Paris, 17 000 en province et 3 600 à ses abonnés. Les 440 000 francs du capital étaient épuisés et le déficit mensuel était de 13 000 francs. Raffalovitch, proposa bien 200 000 francs à Jaurès pour sauver son journal, mais celui-ci refusa car la condition était que le journal cesse d’attaquer le régime tsariste et cela Jaurès ne pouvait le supporter : « C’est à dire le salut certain et définitif ; mais à condition que nous cessions toute campagne contre les finances russes […] et contre les nouveaux emprunts russes prévus. Il vaut mieux que nous disparaissions si la vie est à ce prix. » . Le 13 octobre, une réunion au manège Saint-Paul permit au directeur politique de l’Humanité d’annoncer une campagne de sauvetage du journal par le lancement d’une campagne d’abonnements et un appel à des souscripteurs d’un nouveau capital. Il renouvela sa dénonciation de la vénalité de la presse : « Il est certain que, de plus en plus, la presse devient l’instrument, l’organe des grands intérêts occultes, intérêts nationaux et internationaux ; des subventions de tout ordre viennent ainsi alimenter la presse capitaliste, subventions dont la source même est fermée, doit être fermée, à la presse socialiste. » . Bien entendu, il n’avait pas en sa possession tous les chiffres…
L’Action française, quant à elle, n’était encore qu’une revue à ce moment, qui n’avait pas l’influence et l’audience des trois autres journaux.

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Message Publié : 10 Juin 2007 7:53 
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Quand on songe à l'extraordinaire richesse de la presse de ce temps comparée à la pauvreté d'aujourd'hui.

Avez vous remarqué que Gallica a commencé à mettre sur son site des reproductions de journaux de cette époque.

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Dernière édition par Jean-Marc Labat le 10 Juin 2007 8:10, édité 1 fois.

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Message Publié : 10 Juin 2007 7:59 
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Inscription : 20 Juin 2003 22:56
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Localisation : Provinces illyriennes
Tout à fait mon cher Jean-Marc, sauf pour l'Humanité et l'Action française. Je ne disposais pas de cet outil à l'époque, qui semble très utile et approprié pour les étudiants et passionés, s'intéressant à ce point.
Par contre, je me suis bien abîmé les yeux avec de vieux microfilms... :? :lol:

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