Nous sommes actuellement le 19 Mars 2024 3:05

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 1 message ] 
Auteur Message
Message Publié : 29 Mars 2022 20:57 
Hors-ligne
Jean Froissart
Jean Froissart
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 29 Jan 2007 8:51
Message(s) : 1384
Je vous présente cette fiche de lecture sur la reine Victoria au si long règne . Toujours réalisé par mon camarade Didier Lafargue.




VICTORIA.
Par Guy GAUTHIER

I. Jeunesse de Victoria.

Victoria est née en 1816.

A l’époque régnait en Angleterre le roi Georges III (1760-1820), l’un des plus longs règne qu’ait connu le pays. Devenu fou à la fin de sa vie, le pouvoir effectif était exercé par son fils alors régent, le futur Georges IV. Ce dernier ne pouvait avoir d’enfant. Or, il fallait que la dynastie des Hanovre puisse perdurer. Aussi fit-il pression sur ses frères cadets, les ducs de Clarence et de Kent pour qu’ils se marient et engendrent des enfants.

A l’instigation du prince allemand (Saxon) Léopold de Saxe-Cobourg (le futur roi des Belges Léopold 1er) qui voulait entrer dans la famille royale britannique, le duc de Kent épousa la sœur de celui-ci, la princesse Victoria Louise. C’est de leur union que devait naître Victoria, prénommé alors Alexandrina Victoria, et surnommée « Drina ». Physiquement, elle ressemblait beaucoup à son grand-père Georges III.

La jeune Victoria connut peu son père qui, plus tout jeune alors, mourut très vite après sa naissance. Elle fut élevée par sa mère seule.

Or, cette princesse allemande avait des difficultés avec la cour britannique et tenait à en éloigner sa fille le plus possible. Mauvaise mère, elle aimait peu Victoria et ne lui prodiguait aucune tendresse. L’amour que la future reine ne trouvait pas auprès de la duchesse de Kent elle le trouva auprès de sa gouvernante, la baronne Louise Lehzen. La duchesse de Kent n’en inculqua pas moins à sa fille la très austère éducation prussienne. De celle-ci il en découlera chez Victoria deux choses :

:arrow: Une certaine méfiance envers l’aristocratie anglaise, qu’elle connaissait peu dès le départ.

:arrow: Un très grand intérêt envers les classes moyennes et les classes sociales pauvres.

Mais décidément, la duchesse tenait beaucoup à éloigner Victoria de toute influence autre que la sienne et l’écartait de toute vie sociale. Ainsi eut-elle une adolescence solitaire. Cela ennuyait beaucoup la famille royale, notamment l’ancien régent, devenu le roi Georges IV, lequel estimait qu’une vie aussi confinée était malsaine pour une future reine d’Angleterre.

Cette situation gênait beaucoup l’oncle de Victoria, Léopold de Saxe-Cobourg devenu en 1830, le roi Léopold 1er. Libéral, il tentait de mettre des membres de sa famille dans le plus de cours européennes possibles dont celle d’Angleterre dont il voulait presque faire une succursale de la sienne à Bruxelles. Aussi, désapprouvait-il la distance que mettait sa sœur entre Victoria et la cour.
A Georges IV, disparu en 1830, succéda son frère le duc de Clarence, qui devint roi sous le nom de Guillaume IV (1830-1837). Peu énergique, il laissait gouverner ses ministres.

Avec la mère de Victoria, ses relations furent épouvantables. La duchesse de Kent voulait en effet user de sa position de mère de son héritière en ayant la prééminence à la cour et en exigeant toute sorte d’avantages. Surtout, elle comptait bien être régente au cas où le roi mourait avant la majorité de sa fille. Aussi Guillaume IV fit-il tout son possible pour survivre jusqu’à celle-ci. Il y parvint et décéda quelques mois après les 18 ans de Victoria, laquelle devenait reine ipso facto.

Installée très jeune sur le trône, Victoria régla ses rapports avec sa mère de manière définitive.

Puis, elle confirma le maintien au pouvoir du vieux ministre alors en place, le libéral Lord Melbourne, qui avait l’âge d’être son grand-père. C’est de ce dernier que la jeune reine reçut sa formation à la vie politique du royaume et une certaine affection lia entre eux les deux personnages.

Mais Victoria, suivant en cela la tendance des Hanovre, ne pensait qu’à jouir de la vie. Tant son oncle Léopold 1er que son ministre Lord Melbourne, estimaient que c’était malsain et décidèrent pour y pallier de la marier. D’abord réticente au mariage, la jeune Victoria accepta d’être présenté au jeune prince Albert de Saxe-Cobourg, neveu de Léopold 1er que celui-ci avait bien sûr poussé en avant. Dès qu’elle le vit, ce fut pour elle le coup de foudre. Albert était séduit aussi. Jeune homme ayant tôt perdu sa mère, il passait pour mélancolique. Il allait cependant révéler des capacités certaines de gouvernement.

Le mariage fut donc célébré entre Victoria et Albert. La situation de ce dernier était cependant fort ambiguë, car il n’était que prince consort. Victoria, au départ, bien que très amoureuse n’entendait pas lui laisser le pouvoir et ne voyait en lui qu’un géniteur. Cependant, après quelques attentats contre sa personne et ses premières grossesses, elle prit quelques distances avec ses devoirs de reines et laissa volontiers son mari influer sur ses décisions.

II. Le temps du prince Albert.

A celui-ci devait échoir le rôle de servir de lien entre la couronne et le gouvernement. Son but a en effet de tenter de s’entendre avec le gouvernement britannique quel qu’il soit pour tenter de faire accepter ses décisions par la reine. Notamment, il s’est très bien entendu avec le Conservateur Lord Robert Peel, avec lequel il avait beaucoup d’affinités. Par contre son grand ennemi fut le ministre libéral Palmerston, chantre de l’impérialisme britannique, omnipotent, bénéficiant d’un très grand prestige en Angleterre (« Old Pam ») et qui ne pouvait souffrir cet étranger d’Albert (le « Prussien »).

Entre Albert, soutenu par Victoria qui elle aussi aimait peu son ministre, et Palmerston existait une profonde divergence de vue. Albert était pour le soutien des légitimités en Europe et la lutte contre tous les mouvements révolutionnaires. Il voulait aussi favoriser l’unité allemande autour de la Prusse. Palmerston était bien plus politique. Il se souciait très peu de favoriser la future puissance prussienne qui ne pourrait se construire qu’au détriment de l’Angleterre. Quant aux mouvements subversifs d’Europe, il estimait que ce n’était pas plus mal dans la mesure où ils suscitaient partout la division et donc le pouvoir de l’Angleterre. En bref, à la politique des bons sentiments du couple royal, Palmerston opposait la realpolitik, avec tout son cynisme.

Ecarté de la vie politique par Palmerston, Albert trouva des dérivatifs ailleurs. Passionné par le monde industriel et la modernité, il patronna l’exposition universelle de 1851 à Londres et qui fut un très grand succès. Il œuvra aussi beaucoup, et en cela il s’accordait avec Victoria, en faveur des classes laborieuses et il eut à ce sujet nombre de contacts avec les représentants des syndicats et partis ouvriers. Grand bâtisseur, il s’intéressa aussi beaucoup à l’architecture, par exemple en faisant des travaux à la résidence de Windsor.

Mais il avait beaucoup de mal à se faire accepter par son pays d’adoption. Pourtant, celui-ci lui doit beaucoup car le prince Albert a réussi à adapter la royauté et son système aristocratique à l’évolution économique et sociale connu par le pays, au machinisme et à la démocratie électorale, et sans lui la couronne aurait peut-être été emportée par les bouleversements connus par l’époque. D’une activité inlassable, il était bouillant d’énergie, multipliait déplacements et visites. Mais sa santé s’en ressentit et il vieillit prématurément.

Il donna à Victoria neuf enfants. Son aînée fut prénommée Victoria et surnommée « Vicky » (la future impératrice d’Allemagne et mère du kaiser Guillaume II). Puis vint Albert-Edouard (prince de Galles, le future Edouard VII), surnommé « Berti ». A ses enfants, Albert imposa une éducation très rigoriste en surchargeant leurs études. Excepté par sa fille aînée Victoria qui l’idolâtrait, il fut déçu par eux, surtout par Albert-Edouard, qui tenait plus de la désinvolture et du laisser-aller des Hanovre que de la gravité des Saxes-Cobourg.

Bertie se comportait en effet en fêtard et en débauché, se souciant peu d’étudier. Il rendit même enceinte une actrice dont il s’était entiché ce qui fit scandale. En fait, ses voyages en Europe en témoignent, il avait des talents de diplomate et, avec tact et délicatesse, savait rapprocher les gens entre eux. Mais comme ce n’était pas un intellectuel, ses parents le méprisaient.
Victoria, par un curieux retour des choses, elle qui avait été peu aimée de sa mère, se désintéressait de ses enfants.

Victoria et Albert ont tenté de fonder une première Entente cordiale en se rapprochant de la France de Louis-Philippe. Tout comme Léopold 1er, celui-ci tentait de mettre des membres de sa familles dans les différentes cours d’Europe et à cette fin tentait de marier son fils à la reine d’Espagne. Pour amadouer le gouvernement anglais, il invita en France Victoria et Albert. La reine inaugurait ainsi les voyages officiels à l’étranger susceptibles d’améliorer les relations entre les Etats.

Finalement, Louis-Philippe échoua à faire reconnaître sa candidature espagnole, du fait de l’opposition de Palmerston. Ce dernier détestait en effet le roi des Français en qui il voyait une menace pour son pays. Quoi qu’il en soit, lorsque Louis-Philippe fut détrôné en 1848, lui et sa femme la reine Amélie furent bien accueillis en Angleterre par Victoria qui leur fournit une résidence où terminer leur vie.

Si Victoria avait estimé Louis-Philippe, elle se méfiait beaucoup au départ de Louis-Napoléon, le prince-président, qui lui avait succédé au pouvoir en France, et en qui elle ne voyait qu’un vulgaire aventurier. Celui-ci pourtant estimait l’Angleterre qu’il connaissait bien, y ayant vécu en exil sous la monarchie de juillet. A l’inverse de la reine, Lord Palmerston qui avait beaucoup lutté contre la monarchie de Juillet, appréciait beaucoup Louis-Napoléon et s’était réjoui de sa prise du pouvoir. S’étaient ainsi créées de nouvelles divergences de vue entre le ministre et le couple royal.

Cependant, celui-ci se rapprocha peu à peu de Louis-Napoléon, devenu Napoléon III en 1851, lors de la guerre de Crimée où les deux pays furent alliés contre la Russie. Victoria et Albert firent alors un voyage en France où ils furent très bien reçus par l’empereur. Victoria fut séduite par ce dernier. Cette visite allait être pour elle l’occasion de découvrir Paris, capitale du luxe et des plaisirs, et elle fut acclamée par les Parisiens. L’empereur des Français et son épouse Eugénie lui rendirent sa visite en Angleterre et obtinrent d’elle les accords d’Osborne favorisant la reconnaissance des intérêts français en Roumanie (ce qui permettra bien plus tard le glissement de la Roumanie dans le camp de l’Entente pendant la première guerre mondiale). Lors de la guerre de Crimée, Victoria créera la Victoria Cross, décoration visant à récompenser les bons combattants.

Les activités constantes du prince Albert finirent par miner sa santé. Ainsi succomba-til à une fièvre typhoïde qui causa sa mort en 1861, à l’âge de 43 ans. Plus que tout autre, il avait contribué à faire de l’Angleterre la première puissance économique du globe. Surtout, il avait modéré le tempérament autoritaire de Victoria en lui faisant accepter le jeu parlementaire. Il lui avait appris à avoir un comportement neutre vis-à-vis de ses ministres, quel que soit leur parti.

Victoria fut folle de douleur et se retira dans sa résidence d’Osborne dans l’île de Wight. Dès lors, tous ses actes furent inspirés par le souvenir d’Albert. Pendant plusieurs années, elle se désintéressa de la vie politique, s’abstint de paraître dans les cérémonies au grand dam de ses sujets qui estimaient qu’elle ne remplissait pas ses devoirs de reine. Un mouvement radical se développa même en faveur de l’instauration d’une république anglaise et l’abolition de la monarchie. Mais le courant finit par passer de mode.

De plus, la reine d’Angleterre s’enticha de son valet d’écurie John Brown, ancien homme à tout faire d’Albert. C’était un homme frustre qui prenait toutes les libertés avec elle. Leurs relations, dont on ignora toujours la réelle nature (« l’amant de Lady Chaterley ») firent jaser, mais Victoria s’en moquait, elle agissait par esprit de provocation.

Surtout, la reine en voulut énormément à son fils aîné le prince de Galles qu’elle jugeait, par ses frasques, responsable de la mort de son père. Précisément, juste avant sa mort, celui-ci avait demandé à sa fille aînée Vicky, princesse héritière de Prusse, de lui trouver une épouse allemande qui pourrait le ranger. Finalement, elle le présenta à Alexandra fille du futur roi de Danemark Christian IX. Les deux jeunes gens se marièrent à la grande satisfaction de Victoria qui voulait se débarrasser de son rejeton.
Plusieurs causes d’opposition existaient entre la mère et le fils. D’abord, Victoria était favorable aux classes laborieuses alors que Bertie côtoyait l’aristocratie anglaise méprisée de la reine à cause de sa futilité. Ces divergences s’accusèrent lors de la guerre entre la Prusse et le Danemark en 1863. A la suite d’Albert, Victoria soutenait la Prusse et l’Autriche alors que Bertie et son épouse étaient pour le Danemark. Lors de la guerre franco-allemande de 1870, Victoria fut favorable à la Prusse ce qui est normal puisque son gendre était le kronprinz Frédéric-Guillaume, tandis que le francophile Bertie était pour Napoléon III, qu’il admirait. Malgré tout, Victoria reçut très bien l’empereur déchu quand il s’exila en Angleterre. Elle pensait même que cet aventurier reprendrait le pouvoir en France et n’accueillit qu’avec méfiance l’inquiétante IIIe République qui se mettait en place.


III. Victoria et Disraeli.

C’est en 1867 que Disraeli entra au gouvernement. A l’origine journaliste et romancier petit-fils d’immigrés juifs italiens, il s’éleva peu à peu dans le monde politique au sein du parti conservateur, ce par des moyens pas toujours orthodoxes. Le prince Albert aimait peu celui qu’il considérait comme un infâme arriviste. Victoria, à sa suite, l’aimait peu également. Mais Disraeli sut se montrer habile avec la reine en usant de flagornerie. Ainsi eut-il l’habileté de vanter Albert dans un article ce qui fut très apprécié de Victoria. Finalement, il devint ministre des finances avant de devenir premier ministre en 1867.

Ainsi entrait dans l’Histoire le couple Victoria-Disraeli qui allait devenir légendaire.

Effectivement, la reine d’Angleterre s’entendit très bien avec son ministre. Disraeli était en effet un dandy qui savait user de finesse avec la souveraine, notamment la faire rire à l’occasion. Malin, il s’arrangeait pour lui faire entendre que son pouvoir de reine était réellement très important et qu’elle était vraiment le centre du monde. Entre l’une et l’autre existait ce même esprit de grandeur, ce goût pour le romantisme si fort chez les deux personnages.

Sous son égide, le ministre fit adopter la loi élargissant le corps électoral. Celui-ci, limité aux hautes classes aisées jusque-là, engloba dès lors les classes moyennes et les éléments les plus avancés du monde ouvrier, soit 12% de la population (les femmes ne votaient pas). Victoria approuva la loi bien sûr, puisqu’elle favorisait les classes populaires. Le paradoxe est qu’elle était proposée par le parti conservateur.

Malheureusement, le peuple anglais ne sut pas grés à celui-ci de sa bonne action puisqu’il fit triompher aux élections de 1868 le parti libéral. Au grand dam de la reine, Disraeli dut se retirer et laisser la place au libéral Gladstone. Victoria aima beaucoup moins celui-ci, très pontifiant par rapport à son prédécesseur. Malgré tout elle accepta sans problèmes deux lois qu’il proposa et qui allaient dans le sens de ses convictions, soit :

:arrow: La suppression de la vénalité des charges chez les officiers supérieurs de l’armée (qui avaient causé la charge glorieuse mais absurde de la brigade légère à Balaklava pendant la guerre de Crimée).

:arrow: L’obligation du vote secret lors des élections.

A l’inverse, la reine mit son veto à l’action de Gladstone en faveur de l’Irlande par esprit de justice. Victoria avait en effet toujours détesté les Irlandais, prompts à la révolte et au terrorisme, même si elle était allée les voir lors de la grande famine qui sévit dans leur pays. Gladstone passa outre à son opposition et fit adopter ses lois en faveur de l’Irlande par le Parlement.

C’est à l’époque de Gladstone que le duc d’Edimbourg, Alfred, deuxième fils de Victoria et d’Albert se maria avec la fille du tsar Alexandre II, Marie Alexandra Romanov, un mariage d’amour. Victoria y était au départ hostile car les rapports avec la Russie étaient mauvais depuis la guerre de Crimée. Elle finit par l’accepter, mais s’abstint d’assister au mariage qui eut lieu à Saint Petersburg en 1873.

Mais Gladstone fut maladroit en voulant limiter le droit de grève, ce pour complaire aux industriels. Aussi, les libéraux ne furent pas réélus, passèrent la main aux conservateurs et Disraeli revint au pouvoir en 1874. Il devait cette fois y rester six ans (1874-1880). Victoria en fut ravie. Pour elle, le ministre juif était réellement le substitut de son défunt époux Albert, plus encore que le frustre John Brown.

Bien que d’origine étrangère, Disraeli voulut montrer aux Anglais qu’il était un bon patriote en travaillant au développement, voire à l’extension de l’empire britannique.

Le pays avait très mal vécu la perte des treize colonies d’Amérique à la fin du XVIIIème siècle, cause même de l’aggravation de la folie de Georges III. Depuis lors, l’Angleterre se désintéressait quelque peu de l’Amérique où elle se contentait de défendre ses positions et tournait ses vues vers l’Asie, soit la méditerranée orientale et surtout les Indes, ce qui fit dire au ministre juif que la Grande Bretagne était plus une puissance asiatique qu’européenne. Précisément, à son époque, les Royaume-Uni restaient confinés dans une stricte neutralité dans les guerres sévissant sur le continent, se refusant à intervenir dans les conflits.
Disraeli réussit un coup magistral en faisant acquérir par l’Angleterre toute la propriété du canal de Suez, après le rachat des actions au khédive d’Egypte désireux de renflouer ses finances. Ainsi le pays obtenait-il la maîtrise de ses communications avec ses possessions indiennes. Victoria lui en sut gré. Le ministre put agir grâce à ses relations dans les milieux financiers, notamment celle avec le banquier Rothschild qui avança l’argent.

Mais bien que placée à la tête d’un immense empire, Victoria souffrait de n’être que reine, ce qui la faisait passer dans le protocole après l’empereur de Russie et, depuis 1871, celui d’Allemagne (et même après le shah de Perse !). Sa bru Marie Alexandra avait le titre d’altesse impériale dans les cérémonies alors que ses filles devaient se contenter de celui d’altesse royale ! Aussi, Disraeli lui proposa-t-il de la faire couronner impératrice des Indes, ce qui était possible après l’abrogation de la monarchie moghole en 1856. Ce nouveau titre fut cependant fort attaqué par les milieux libéraux en Angleterre qui y voyait une atteinte aux libertés. Un moyen terme fut trouvé : Victoria signerait comme impératrice dans ses rapports avec les souverains étrangers mais serait seulement reine dans les actes engagés avec ses sujets. Ainsi fut-elle proclamée impératrice des Indes en 1876.
Disraeli travailla ensuite à faire réduire des inégalités scandaleuses dans le monde du travail. Très populaire et le sachant, il fit dissoudre la chambre des Communes pensant que les conservateurs seraient réélus. Mal lui en pris car le peuple anglais, décidément versatile, fit triompher les libéraux aux élections suivantes, en 1880. Disraeli fut donc obligé de démissionner, cette fois-ci définitivement, à la grande déception de la reine. Sa santé déclina et il mourut l’année suivante en 1881. Victoria fut folle de douleur, presque autant que lors de la mort du prince Albert.

A Disraeli succéda le libéral Gladstone (1880-1885), à la grande tristesse de la reine.


IV. Le temps de Gladstone.

Victoria se refusait à ce que le nouveau Premier ministre ruine l’œuvre impériale de son prédécesseur. En fait, Gladstone se contenta de l’aménager. Notamment, ses principes religieux l’incitaient à traiter l’empire, les colonies, avec humanité, car il estimait qu’il n’y avait aucune raison qu’un seul peuple puisse prévaloir sur le reste de l’humanité. C’est ainsi qu’il imposa l’autonomie du Transvaal, en Afrique du sud, allant à contre-courant de l’opinion qui estimait qu’il fallait tout absorber (l’avenir devait cependant lui donner raison).

Mais il fut contraint d’intervenir en Egypte en faveur du khédive menacé par une révolte. Surtout, il tarda à intervenir au Soudan, possession égyptienne, aux prises avec la révolte des derviches dirigés par le Mahdi. A cause de cela, le général anglais Charles Gordon se fit massacrer par les insurgés à Khartoum en 1885. Victoria en voulut énormément à son ministre car elle aimait beaucoup Gordon (qui avait fait un effort en faveur des classes populaires en Angleterre). Poussé à la démission, Gladstone revint cependant au pouvoir quelques mois plus tard.

Deux motifs de friction l’opposèrent alors à Victoria :

:arrow: D’abord sa volonté de communiquer des informations au prince de Galles.
:arrow: Tous ses prédécesseurs avaient pourtant fait de même car ils estimaient que Bertie, par ses entretiens dans les milieux industriels et politiques, faisait du bon boulot. Par ailleurs, ses relations avec les patrons ne l’empêchaient pas de prendre contact avec le monde ouvrier et de prendre conscience des inacceptables conditions de vie qui leur étaient faites (ce qui là le rapprochait de son père Albert). Mais la reine voulait l’ignorer car elle ne lui pardonnait pas ses frasques (par exemple quand il versait une bouteille de cognac, lors des repas, dans le cou des messieurs qui l’ennuyaient !). Ceci était secondaire pour Gladstone qui continua à l’informer.

De plus, Gladstone tenta de faire passer le Home rule, soit l’autonomie de l’Irlande.
Mais c’était trop tôt, car tout le monde, en Angleterre, y était opposé. Finalement, isolé même au sein du parti libéral, il fut contraint de démissionner une deuxième fois en 1886. Victoria était ravie (insolemment, elle s’était même moquée de sa surdité naissante).

En fait, l’alternance Disraeli-Gladstone avait rythmé l’essor de l’empire britannique. Les deux hommes, plus complémentaires qu’opposés, avaient chacun donné leur marque à cette période prodigieuse de l’Histoire de l’Angleterre.
C’est en 1887, que la reine Victoria fêta son jubilé, soit ses 50 ans de règne. Elle avait alors plus de 65 ans.


V. Les dernières années.

A Gladstone succéda l’ « admirable gouvernement de Lord Salisbury » (1886-1892) (selon les propres mots de Victoria). Avec lui se poursuivit l’extension de l’empire britannique dont la reine était véritablement le symbole. L’Angleterre établit son protectorat sur la principauté d’Oman et les émirats arabes. En témoigne son nom répandu partout dans l’empire (Lac Victoria, chutes Victoria…).

Une troisième et dernière fois, cependant, Gladstone revint au pouvoir, en 1892. Mais son gouvernement fut vicié par l’affaire d’Irlande, dont le Home rule suscitait décidément une trop vive opposition. Il ne parvint pas à faire accepter ce projet par le Parlement.

A Gladstone succéda le conservateur Roseberry. Il fut méprisé de Victoria qui ne le trouvait pas assez sérieux (il était aussi fantasque que Bertie). Pour une fois, elle sut se montrer modéré en essayant de freiner la volonté de son ministre en faveur de l’expansion britannique, considérant qu’il n’y avait aucune raison à empêcher les autres pays d’en faire autant. Ainsi refusa-telle à ce que l’on empêche les Français de s’implanter au Siam. Roseberry finit par démissionner sans susciter de regret de la part de la reine.

Victoria et Albert ayant eu beaucoup d’enfants, et ceux-ci à leur tour ayant beaucoup engendré, des descendants de la reine étaient présents dans toutes les familles princières du continent, faisant d’elle la « grand-mère de l’Europe ». Le fils ainé de Bertie, et donc héritier présomptif, Albert Victor, était cependant pour elle source de grands ennuis. En effet, Albert Victor, homosexuel notoire, passait pour déséquilibré et dépressif. Il faisait des sorties nocturnes où l’on ignorait ce qu’il faisait réellement. C’était le moment où sévissait le sinistre Jacques l’éventreur dans le quartier de White Chapel à Londres. Ayant cru voir une voiture aux armes royales à proximité des lieux de ses crimes certains en déduisirent que c’était lui. En fait, cette idée ne tient pas car ce n’eut guère été discret. Finalement, Albert Victor mourut prématurément d’une grave maladie en 1892. Son frère cadet devait devenir roi plus tard sous le nom de Georges V.

Un autre des petits-enfants de la reine causait aussi à celle-ci beaucoup de soucis. Mais comme il était bien plus puissant, c’était plus grave. Il s’agissait du kaiser Guillaume II, fils de sa fille aînée « Vicky ».

En effet, au départ Victoria, suivant les idées de son défunt époux, était plus ou moins pro-allemande et se méfiait de la France républicaine. Mais ses ministres lui firent peu à peu comprendre que l’Allemagne bâtie « par le fer et par le sang » par Bismarck n’avait plus rien à voir avec l’Allemagne humaniste à direction prussienne dont avait rêvé Albert. Aussi, devant l’évolution de la situation internationale, devint-elle par réaction francophile, à l’instar de Bertie le prince de Galles. Surtout, elle était reconnaissante envers les dirigeants de la IIIème République d’avoir favorisé la discrétion de ses déplacements en France. Elle avait en effet pris l’habitude de se rendre régulièrement en villégiature à Nice « incognito » (?), sous le nom de comtesse de Balmoral.

Son petit-fils Guillaume II, empereur d’Allemagne, étant né avec un bras atrophié, avait été méprisé par ses parents, tout particulièrement par sa mère Vicky. Victoria s’en était rendu compte et avait compensé cette froideur en témoignant de la plus grande affection envers Guillaume. Celui-ci la lui rendait bien et venait régulièrement aux réunions familiales d’Osborne. Mais la reine d’Angleterre n’en était pas moins de plus en plus inquiète devant les initiatives prises par son petit-fils qu’elle prenait véritablement pour un excité, voire un pervers. Se prenant véritablement pour l’incarnation du peuple germanique, il favorisa ainsi la création d’une flotte de guerre allemande susceptible de concurrencer la flotte britannique. Concernant les relations entre Guillaume II et son oncle le prince de Galles, les deux êtres ne pouvaient pas se souffrir. Bertie, toujours ironique, appelait en privé le présomptueux empereur « Guillaume le grand » ; quant au kaiser le futur Edouard VII était pour lui un « vieux satyre » !
Dans ces conditions, Victoria fit tout ce qu’elle put pour favoriser l’entente avec la France. Celle-ci fut mise à dure épreuve en 1898, lors de l’affaire de Fachoda.

En effet, la mainmise de l’Angleterre sur l’Egypte avait notamment eu pour but d’empêcher la création d’un immense empire français en Afrique du Nord, allant de l’Atlantique au Proche Orient. ce projet fut contrarié lors de la révolte des Derviches. Sachant que les Anglais finiraient par en venir à bout, et afin de les prendre de cours, le ministre français Hanotaux décida d’envoyer une expédition au Soudan sous la direction du commandant Marchand, laquelle finit par aboutir dans la ville de Fachoda. Cela ne faisait pas l’affaire de l’Angleterre qui dépêcha le général Kitchener avec mission de les en déloger. Une crise en découla entre les deux pays. Ni l’un ni l’autre ne voulait céder. Pourtant, côté français, certains se demandaient de savoir si une guerre avec l’Angleterre était souhaitable alors que les Allemands étaient à Strasbourg. Côté Anglais, on s’interrogeait s’il était utile de se brouiller avec les Français alors que le Reichstag allemand venait de voter une augmentation des crédits pour sa flotte de guerre. Mais deux personnes gardèrent la tête froide et essayèrent d’arranger les choses : Victoria, en Angleterre, le président Félix Faure, en France. Finalement la France céda et abandonna Fachoda.

Dans l’affaire, Victoria fut très désolée de cette histoire. A présent francophile, elle demanda à ses ministres de ne pas humilier la France. Conformément à ses directives, le gouvernement anglais assura la France qu’il ne ferait pas obstacle à son protectorat sur le Maroc. De plus, il fit en sorte que le Khédive d’Egypte lui cède quelques territoires en compensation.

Par contre, Victoria fut bien moins conciliante à propos de la guerre des Boers.

Celle-ci avait éclaté en Afrique du sud entre les Afrikaners, d’origine hollandaise, et l’empire britannique. Jugeant la présence britannique trop menaçante pour le Transvaal, les premiers prirent les armes, et sous la direction de leur chef nommé Kruger, remportèrent d’importants succès sur les Anglais. Ceux-ci, cependant se ressaisirent. D’importants mouvements de mobilisation se produisirent sur le sol anglais. A la fin, l’armée anglaise, commandée par Kitchener, triompha en usant de moyens peu orthodoxes (camps de concentration…). Tout cela se fit avec la bénédiction de Victoria. Celle-ci notamment, avait été furieuse des honteuses caricatures qui la fustigeaient dans la presse française.

Victoria mourut en 1901. Son fils aîné, Bertie, lui succéda sous le nom d’Edouard VII (1901-1910). Après lui régna son petit-fils Georges V (1910-1936).

_________________
«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
Image


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 1 message ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 3 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB