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 Sujet du message : Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 29 Sep 2023 9:07 
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Marc Bloch
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Pardonnez svp cette question impertinente : quel fut l'effet de notre victoire à Verdun au vu du coût humain extravagant de cette bataille ?

N'aurait-il pas été plus raisonnable d'évacuer cette place forte et de reconstituer une ligne de défense plus au sud ? Ou au contraire la chute de Verdun aurait-elle permis une percée allemande impossible à maîtriser et aurait pu déboucher sur la défaite totale de la France ?

On a parfois l'impression que cette bataille fut d'abord conduite pour des raisons psychologiques et non stratégiques... Est ce complètement faux?


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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 29 Sep 2023 10:51 
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Une simple carte montre qu'une percée allemande à Verdun coupait les armées françaises en deux. Maintenant, percer n'est pas le tout, il faut exploiter, l'armée allemande en avait elle les capacités, la question est posée.

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Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer (Guillaume le Taciturne)


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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 29 Sep 2023 12:57 
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L'expérience française dans la Somme (et ailleurs) a montré que l'exploitation posait toujours problème : parce que le terrain de la percée est impraticable par des camions, pour ravitailler et renforcer les troupes qui ont percé. Et aussi, dit Georges Blond, "parce que les chars modernes n'étaient pas inventés : quoi que fasse l'ennemi, vous saviez qu'il n'allait parcourir plus de trente km par jour, souvent moins, et donc vous aviez tout le temps de faire venir des troupes pour bloquer la percée."

De fait, au cours des offensives Foch de 1918, on constate qu'après une progression de 50 km (appuyée par des chars, des avions, et la réserve d'artillerie mobile) les coupures, les mines, les ponts qui sautent, les arbres abattus et les renforts côté allemand bloquent la progression. D'où la stratégie de Foch : relancer immédiatement une autre offensive ailleurs. Parfois 2 en même temps.

Une percée allemande à Verdun aurait eu les mêmes limites que la Somme, la même année. (On attribue à Pétain l'élaboration d'un plan d'évacuation de Verdun et de rétablissement sur une ligne plus en arrière, j'ignore si c'est exact - mais c'était son métier, et il ne voulait être surpris en aucun cas - en tous cas le bruit en a couru jusqu'à la chambre des députés, contribuant à renforcer l'idée que Pétain n'était pas assez offensif, ce qui entrainera sa mutation au commandement du groupe d'armée Centre, devenant le supérieur de Nivelle qui prenait sa place de commandant de l'armée de Verdun et dirigeait désormais les opérations sur place.)

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 9:16 
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Philippe de Commines
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Jerôme a écrit :
Pardonnez svp cette question impertinente : quel fut l'effet de notre victoire à Verdun au vu du coût humain extravagant de cette bataille ?

N'aurait-il pas été plus raisonnable d'évacuer cette place forte et de reconstituer une ligne de défense plus au sud ? Ou au contraire la chute de Verdun aurait-elle permis une percée allemande impossible à maîtriser et aurait pu déboucher sur la défaite totale de la France ?

On a parfois l'impression que cette bataille fut d'abord conduite pour des raisons psychologiques et non stratégiques... Est ce complètement faux?


Il est vrai qu'à l'époque, les préparatifs allemands de l'attaque sur Verdun laissaient l’état-major français (Joffre le premier) plus que circonspect : pourquoi attaquer dans une région très fortifiée, qui ne présente pas d'intérêt stratégique particulier, à 300 km de Paris. Au pire, l'armée française passait et se retranchait derrière la Meuse et l'assaillant en était pour ses frais. Je crois qu'en 1914, accroché sur Verdun, Sarrail avait été autorisé à décrocher (mais n'en n'a rien fait). Le passage sur la rive gauche du fleuve a été envisagé à plusieurs reprises et se révélait plus rationnel du point de vue militaire, mais les considérations morales et politiques ont prévalu (désastre psychologique pour l'opinion, chute du gouvernement).
Pour ce qui est des allemands, Falkenhayn n'avait qu'un objectif, prendre la citadelle (en y mettant les moyens matériels, mais en économisant les effectifs) et remporter un succès qui lui aurait permis de se maintenir contre les intrigues d'Hindenburg et Ludendorff qui ulcéraient de voir les opérations mises en veille sur le front russe. Il n'y est pas parvenu, mais s'est obstiné car l'échec ne lui était pas permis, et s'est inventé a posteriori le but de "saigner l'armée française" et a même écrit dans ses mémoires je crois que les pertes ennemies étaient le double de celles subies par les allemands...

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 9:21 
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Marc Bloch
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Je remercie chaleureusement les auteurs de ces réponses très étayées.

J'ignorais tout des intrigues internes à l'état-major allemand !

En résumé : un énorme enjeu psychologique et politique des deux côtés avec une variante parlementaire à Paris et une variante monarchique à Berlin?


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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 12:09 
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Philippe de Commines
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Jerôme a écrit :
J'ignorais tout des intrigues internes à l'état-major allemand !


Hindenburg et Ludendorff détestaient Falkenhayn, qui, tant comme ministre de la Guerre que comme commandant en chef successeur de Moltke, ne partageait pas leur optimisme sur leur faculté de terrasser la Russie. C'est un autre sujet que celui de Verdun, mais les deux compères, grisés par Tannenberg, qui fut quand même un beau coup de chance pour les allemands de tomber sur un commandement russe aussi nul, s'imaginaient qu'ils pourraient réitérer l'exploit d'encercler et écraser d'autres armées russes, comme si la leçon de cette bataille n'allait pas être tirée ...Falkenhayn s'opposait à leurs vues, car, dans la tradition prussienne, il se méfiait de la faculté des russes de retraiter à l'infini et d'entrainer les armées allemandes dans le vortex des immensités russes. Et fin 1915, il freina les ardeurs des deux commandants du front oriental pour préparer son opération de Verdun pour 1916...

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 14:05 
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Jerôme a écrit :
Je remercie chaleureusement les auteurs de ces réponses très étayées.

J'ignorais tout des intrigues internes à l'état-major allemand !

En résumé : un énorme enjeu psychologique et politique des deux côtés avec une variante parlementaire à Paris et une variante monarchique à Berlin?

ça va plus loin que la Chambre des Députés, en France. Après plusieurs mois (les Allemands ont attaqué autour du 20 février) la défense de Verdun est suivie par l'ensemble de la presse. Le premier ordre du jour de Pétain :"Courage! On les aura !" est répercuté par les correspondants de guerre des journaux étrangers, et c'est bientôt le monde entier qui a les yeux fixés sur Verdun.

Les généraux français sont bien conscients qu'ils pourraient parfaitement abandonner Verdun, quitte à le reprendre plus tard, pour se retrancher sur la rive gauche et surtout sortir de ce secteur devenu épouvantable. (le sol argileux de Verdun n'absorbe pas l'eau, et les combats de la rive droite ont lieu dans un quadrilatère de 10 km sur 10, et même bien moins au pire de la bataille, devenu un cimetière à ciel ouvert, au milieu "d'une pouillerie de décharge publique")

Mais Verdun est devenu un tel symbole que le monde entier considérerait cela comme une défaite française majeure. Ce qu'on ne peut pas se permettre, en particulier parce qu'on espère déjà l'intervention des USA - qui ne viendront pas au secours d'un pays moribond - et pour ne pas décevoir les alliés. Sans parler du moral qui baisse dans le pays, parce que la bataille s'éternise sans avancée ou recul spectaculaire, et que les télégrammes de décès pleuvent sur les civils.

Il n'est plus question d'abandonner Verdun, pas même pour quelques jours. Au plus fort de l'avancée allemande, début juillet 1916, alors que les Allemands font un dernier effort (ils savent que Joffre va bientôt déclencher l'offensive de la Somme) et arrivent à proximité des collines surplombant la ville, l'état-major sacrifie plusieurs régiments - on ne peut guère parler "d'organiser des attaques", il s'agit de tuer des Allemands pour affaiblir leur tentative : "le phénomène Verdun justifie à ce moment ce qu'on a appelé la guerre d'usure" écrit Georges Blond.
Le dernier fort au dessus de la ville, le fort de Souville, éventré par les obus et qui sert d'infirmerie, est sauvé de justesse le 11 juillet par l'initiative d'une compagnie qui devait monter en ligne et choisit plutôt de le défendre (un signe supplémentaire que l'armée française s'est en quelque sorte "professionnalisée" et que ses officiers se montrent autonomes dans "le métier de la guerre") et peu après les Allemands arrêtent leur offensive : l'Allemagne vient de perdre la bataille de Verdun.

La reconquête de TOUT le terrain perdu se fera de septembre à décembre, avec une facilité relative mais non sans perte. Dans l'immédiat c'est une explosion de joie dans le pays, et l'évènement fait les manchettes des journaux étrangers. (le gouvernement et l'armée française reçoivent une avalanche de télégrammes officiels de félicitations, venus du monde entier.)

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 14:14 
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Pierre de L'Estoile
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Oui
si ma mémoire est bonne c'est à Chapelle Ste Fine que l'assaut allemand s'essouffle en juillet

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 14:59 
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bourbilly21 a écrit :
Oui
si ma mémoire est bonne c'est à Chapelle Ste Fine que l'assaut allemand s'essouffle en juillet

Tous à fait.
Oui, le gros de l'offensive allemande s'arrête là.

Voila un extrait simplifié du récit par Georges Blond de cette ultime offensive allemande :
Citer :
Le 11 juillet les Allemands attaquent encore en nombre. On sent qu'il s'agit cette fois d'une ruée en quelque sorte désespérée. L'ouverture prochaine de l'offensive de la Somme impose cette frénésie. Ou alors: renoncer. A 4h30 du matin, après un bombardement incroyablement dense, un corps d'armée d'élite, le corps alpin, ainsi que trois divisions allemandes, attaquent sur un front étroit entre en face de la ligne Souville- Fleury. Les Français contiennent difficilement l'assaut. A l'aube du 12 juillet, l'ennemi tient - non seulement a atteint mais tient - le carrefour de la chapelle Ste Fine, à 400 m au nord du fort de Souville.

C'est une pointe avancé - une ou deux compagnies - qui atteint Souville le lendemain matin. (Je me suis trompé, cet épisode se déroule donc le 12.) Hors le fort de Souville ce matin là n'est plus en état de défense : il ne s'y trouve qu'un groupe de 60 territoriaux dont le commandant, souffrant, est allongé à l'infirmerie. (Savoir pourquoi il a été laissé à l'abandon n'a pas été démêlé. Disons que comme Douaumont au tout début de la bataille, personne ne s'en est soucié.)
C'est un des territoriaux, parti du fort pour signaler cette situation qui aborde le lieutenant Dupuy, dont la compagnie doit se diriger vers la Chapelle Ste Fine :"Mon lieutenant, venez voir ce qui se passe. Le fort est fichu !". Ce lieutenant prend sur lui d'assurer la défense du fort, et et prend les territoriaux sous ses ordres, pour qu'ils tiennent les mitrailleuses aux brèches du fort, ses propres soldats étant destinés à se battre en avant du fort. (tout cela se déroule alors que des obus allemands ne cessent d'exploser un peu partout, pour situer l'ambiance. Dupuy a déjà perdu 20 hommes avant même d'engager son unité.)

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 30 Sep 2023 15:14 
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Pierre de L'Estoile
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Je pense qu'il faut garder à l'esprit qu'en début 1916, les états-majors des deux camps sont focalisés sur la Percée. La rupture du front tant attendue qui permettra de reprendre la guerre de mouvement dans de bonnes conditions. La Somme et la vraie rupture de mars 1918 n'ayant pas eu lieu, personne ne peut rationnellement affirmer qu'on aura toujours le temps d'amener des renforts, qui eux-mêmes ne font pas mieux que 30 km par jour.
En supposant que le front soit rétabli, c'est aussi pour la France la perspective de perdre encore plus de territoires. Et ces territoires, les Allemands n'entendent pas les rendre sans combattre. Jusqu'en septembre 1918, les ouvertures diplomatiques qu'ils feront seront basées sur un arrêt des combats et un maintien des armées sur la ligne de front.
Rajoutons l'effet sur le moral des Français d'une nouvelle retraite après avoir demandé aux soldats en 1914 de se faire tuer sur place.

Le fait est qu'en 1916, les Alliés et les Français en particuliers ne se sentent pas assez sûrs de leur force pour accepter une retraite.

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 01 Oct 2023 9:09 
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Jerôme a écrit :
Pardonnez svp cette question impertinente : quel fut l'effet de notre victoire à Verdun au vu du coût humain extravagant de cette bataille ?

On a parfois l'impression que cette bataille fut d'abord conduite pour des raisons psychologiques et non stratégiques... Est ce complètement faux?


On peut poser la question pour plusieurs batailles, pour la Seconde Guerre Mondiale, la question se pose pour Caen, pour Stalingrad, pour ... Et, bien plus proche de nous pour certaines des batailles de la guerre en Ukraine. Malgré la barrière chronologique, j'évoque ce cas car c'est à ce sujet que j'ai lu une explication de la part d'un spécialiste. Certains points de fixations n'ont pas d'importance stratégique particulière, ou du moins pas primordiale. En fait, rien qui a première vue justifie les moyens humains et matériels mis en œuvre dans la bataille. Et l'expert disait que c'étaient en fait des batailles d'accrétions, souvent voulues par les politiques à cause du symbole politique d'une victoire à cet endroit-là. Mais qui avaient l'avantage de fixer l'adversaire de le saigner. La bataille de Verdun a effectivement saigné l'armée française, mais elle a aussi saigné l'armée allemande. La boucherie de Verdun a permit la victoire finale, surtout une victoire obtenue en 4 ans et pas en 6, 7 ou 12... Alors, le prix payé en valait-il la peine ? on peut se poser la question pour toutes ces batailles d'accrétion... Et c'est une question morale avant d'être une question d'ordre militaire. Un point sur une carte vaut-il la peine de faire mourir tant de gens ?

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 01 Oct 2023 12:05 
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Je trouve la bataille de Stalingrad, voulue par Hitler, moins stupide que celle de Verdun.

A Verdun, Falkenhayn observe que le tracé du front permet de disposer une artillerie considérable en arc de cercle autour de Verdun, et d'autre part que la ville sera difficile à ravitailler par les Français : c'est un saillant avec une unique route et une voie ferrée métrique, donc à faible débit. Voila l'occasion d'adopter le principe dont rêvent tous les états-majors : l'artillerie conquiert, l'infanterie n'a plus qu'à occuper le terrain. Pour une victoire symbolique : Verdun est l'endroit le plus difficile pour attaquer, c'est une place fortifiée dont les forts ont été modernisés.
On voit assez mal comment Falkenhayn pouvait espérer exploiter sa victoire par une percée en grand style (et d'ailleurs, ce qui vaut dans un sens marche aussi dans l'autre : lui aussi aurait manqué de routes au delà de Verdun) on est donc dans ces batailles psychologiques dont vient de parler Narduccio. (Falkenhayn inventera dans ses mémoires que son idée était de saigner l'armée française dans ce piège sans issue que constituait la rive droite, mais les historiens pensent en majorité que c'est une justification à postériori : Falkenhayn a persisté à faire tuer ses hommes sans que rien de rationnel ne le justifie. - De fait le Kronprinz, qui commande sur place, commence à protester dès le mois d'avril - dans des courriers ou des conférences d'état-major, et en termes modérés - que le jeu n'en vaut pas la chandelle et que les Français tuent désormais autant de soldats qu'ils en perdent. Il s'agit bien d'une tuerie inutile telle que le grand public la voit aujourd'hui. A la rigueur on peut imaginer que Falkenhayn comptait jouer un coup en prenant Verdun en quelques jours, avec cette concentration d'artillerie jamais vue, mais le mauvais état du terrain, la mise en route immédiate des renforts et surtout la résistance inattendue des survivants français à la préparation d'artillerie (9 heures de bombardement, sur les premières lignes !) l'ont bloqué en quelques jours.

A l'inverse, lorsque Hitler prend Stalingrad pour objectif, ce n'est pas absurde : d'une part, et c'est le plus important, cela permet de bloquer le trafic sur la Volga, alors que c'est par là que transite le pétrole de la Caspienne (les Soviétiques n'ont pas, à priori, la capacité routière ou ferroviaire pour remplacer ce transport fluvial) d'autre part Stalingrad - à condition de prolonger la ligne de chemin de fer qui ravitaille la 6e armée - peut permettre d'aller attaquer l'armée rouge par l'est de Moscou, l'année suivante.
L'erreur dramatique d'Hitler n'est pas dans le choix de l'objectif, mais dans un acharnement absurde dans des combats urbains où l'Armée Rouge ne lâche rien, alors que la progression allemande dans les ruines se fait mètre par mètre. Quand Paulus, qui commence à manquer cruellement de soldats valides pour poursuivre ces attaques, signale qu'il n'a pas d'autre solution que de mettre des pionniers en première ligne, le bon sens aurait voulu que Hitler passe à la défensive. Il y a bien là une obsession psychologique sans rime ni raison.

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 02 Oct 2023 12:56 
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Polybe
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Selon les éléments connus aujourd'hui, il semblerait que l'objectif initial de Falkenhayn soit d'ordre psychologique mais s'inscrive aussi dans une vision à l'échelle stratégique.

Les éléments relevés par Pierma accréditent la thèse d'une offensive "limitée" un peu dans le style des offensives Pétain en 1917 :
Le saillant Français qui peut être attaqué selon plusieurs axes, l'absence de voies de communications, la Meuse en arrière qui limite les possibilités de fuite, gêne une éventuelle contre-offensive et rend difficile l'arrivée de renforts et du ravitaillement rendent la place difficile à défendre. De plus, les saignées connues en 1915 et la relative tranquillité de la zone avant la bataille font que celle-ci est relativement peu défendue. La faiblesse des défenses est renforcée par le désarmement des forts, même si ce n'est pas certain que les Allemands sont au courant.

Autre point qui n'a pas été abordé, c'est l'imminence d'une grande offensive Alliée qui est connue des Allemands. Cela fait des mois que Joffre concentre des moyens pour son "offensive décisive" dans la Somme. Les préparatifs, d'une ampleur inégalée, sont remarqués par les Allemands qui savent bien qu'au printemps une grosse offensive va leur tomber dessus.

A ce moment, Falkenhayn voit surtout la possibilité de remporter une victoire forte en symbole à peu de frais. Un gros bombardement sur cette zone peu défendue, on fait sortir de nombreuses troupes qui vont littéralement submerger ce qu'il reste de défenses pour conquérir toute la zone jusqu'à la rive droite de la Meuse. Bilan prévisionnel : on réduit un saillant, on enlève une place symbolique que l'ennemi, gêné par la Meuse ne pourra reprendre sans des pertes cataclysmiques, on met un coup au moral de l'Entente avant sa grande offensive (et avec un peu de chance, on divertit des moyens qui auraient du y être engagés) et Falkenhayn assoit son autorité face au duo Hindenburg/Luddendorf.

Ca c'est ce qui aurait du se passer en théorie.
Sauf que l'avancée et la prise des places fortes dans la phase initiale de la bataille sera plus longue que prévu, que les Français auront le temps de réorganiser les défenses, d'amener des renforts et de mener des contre-attaques et on tombe dans le schéma de nombre d'offensives de la PGM : offensives et contre-offensives se succèdent sans qu'aucun des belligérants ne lâche le morceau dans ce qui ressemble à une fuite en avant. Seul le déclenchement de l'offensive de la Somme obligera les Allemands à relâcher la pression ce qui permettra aux Français de reconquérir le terrain perdu. Au final, des pertes effroyables pour un gain territorial nul, mais des Français qui sortent vainqueurs au niveau du moral.


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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 02 Oct 2023 13:08 
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Olskok a écrit :
Ça c'est ce qui aurait du se passer en théorie.
Sauf que l'avancée et la prise des places fortes dans la phase initiale de la bataille sera plus longue que prévu, que les Français auront le temps de réorganiser les défenses, d'amener des renforts et de mener des contre-attaques et on tombe dans le schéma de nombre d'offensives de la PGM : offensives et contre-offensives se succèdent sans qu'aucun des belligérants ne lâche le morceau dans ce qui ressemble à une fuite en avant. Seul le déclenchement de l'offensive de la Somme obligera les Allemands à relâcher la pression ce qui permettra aux Français de reconquérir le terrain perdu. Au final, des pertes effroyables pour un gain territorial nul, mais des Français qui sortent vainqueurs au niveau du moral.


C'est exactement le processus général que décrivait celui qui parlait des batailles d'accrétions. Au départ c'est souvent une offensive aux objectifs limités. Puis, l'ennemi résiste, et on commence à augmenter les moyens. Ce qui fait que les effectifs ennemis montent aussi en puissance. Et on se retrouve avec une bataille importante, on ne peut pas dire "au milieu de nulle part", mais si on avait demandé à des stratèges de désigner des emplacements pour des batailles "décisives", ce n'est sûrement pas ces endroits-là qu'ils auraient pointés du doigt. Et plus d'attaquants meurent pour enlever l'objectif, plus de défenseurs meurent pour défendre l'objectif... et plus personne n'est capable de revenir en arrière, car se serait avouer que ces soldats sont morts pour rien ou pas grand chose. Donc, cette offensive "limitée" devient un point d'achoppement qu'il faut enlever, pour les uns, garder pour les autres. Les politiques demandent des résultats, car il faut bien que les citoyens qui sont morts soient morts pour le bien de la Nation.

Alors, bataille "inutile"... pas vraiment. Il y a la victoire morale des français, mais il y a eu 2 logistiques qui se sont affrontées au maximum de leurs capacités. Donc, une "bataille d'accrétion" où les 2 armées essaient de saigner l'autre. En fait, cela devient la bataille à ne pas perdre.

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 Sujet du message : Re: Verdun : victoire inutile ?
Message Publié : 02 Oct 2023 14:03 
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Polybe
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Pas certain que Verdun ait été voulue au départ comme une bataille d'attrition par l'EM Allemand, c'est plutôt la justification postérieure de Falkenhayn qui donne cet éclairage mais c'est plus pour justifier son échec qu'autre chose, une justification du type "Ok on n'a pas réussi à prendre Verdun mais on leur a fait mal quand même".

L'objectif initial, plus que d'obtenir la percée était surtout de s'emparer rapidement d'une position stratégique et symbolique en prenant les Français de vitesse. En gros, réussir à nettoyer la rive droite de la Meuse avant que les Français n'aient le temps de réagir et une fois ces derniers prêts à contre-attaquer, compter sur la protection de la barrière naturelle que constitue la Meuse pour dissuader toute tentative de contre-offensive. Le plan de Falkenhayn ne prévoit d'ailleurs que d'attaquer les forts de la rive droite alors que d'autres membres de l'EM souhaitaient une attaque sur les deux rives.

On n'est pas sur le schéma d'une offensive comme celles de Champagne/Artois de 1915, de la Somme en 1916 ou de Paschendaele et du Chemin des Dames en 1917 où l'objectif initial est de percer en profondeur, d'exploiter en utilisant notamment la cavalerie pour revenir, in fine, à la Guerre de mouvement. Mais l'issue en est la même, un choc initial qui échoue à obtenir les résultats escomptés, et des pertes terribles qui poussent les deux camps à poursuivre la bataille comme vous le décrivez afin de ne pas rester sur un échec difficile à faire avaler aux politiques et à l'opinion publique.


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