Quel sujet intéressant !
Je me permets de me greffer sur les échanges précédents.
Narduccio a écrit :
Je pense que certains devraient lire les messages des premières pages. Il y a quelques légendes urbaines qui courent sur les pertes durant la PGM.
Je ne peux que confirmer les propos de Narduccio.
Toute mon enfance, j'ai entendu mon grand-père répéter et affirmer que les Bretons, les Corses et les Savoyards avaient payé le plus lourd tribut humain lors de la première guerre mondiale pour mater les envies d'indépendance et/ou d'autonomie de ces régions-là. Argument qui était encore plus difficile à entendre et accepter lorsque mon grand-père (savoyard !) rajoutait que les Savoyards n'auraient pas dû payer l'impôt du sang à la France, que c'était inscrit dans le traité de rattachement de la Savoie et de Nice à la France en 1860. Quelle injustice !
Lorsque j'ai débuté mes études d'histoire, passionnée entre autre par la première guerre, la première chose que j'ai fait a été d' "enquêter" sur ces affirmations. J'ai découvert que la clause de l'impôt du sang n'a jamais été inscrite dans le traité.
Je pense que cette vérité générale de dire que certaines populations ont été sacrifiées car elles manifestaient des envies d'indépendance ou car elles n'étaient politiquement pas jugées "correctes" (car rouges) à l'époque est l'une de ces vérités générales que l'on peut apprendre dans nos familles ou dans les petites classes, comme celle qui dit que les soldats français sont partis la fleur au fusil et qui a été démentie par Jean-Jacques Becker dans sa thèse.
Vladtepes a écrit :
A l'échelle de la nation, le bilan humain de la guerre est considérable. «Un combattant sur six n'est par revenu : 10,5% de la population active » [René Rémond, Notre Siècle, Fayard 1991, p 17].
Les agriculteurs et les intellectuels ont été le plus frappés. Les premiers ont formé les masses de fantassins qui furent décimés en première ligne. Les seconds représentaient les officiers subalternes chargés de les commander. A titre d'exemple un quart des instituteurs mobilisés ont disparu. Les ouvriers, avec 538 000 tués, furent relativement épargnés dans la mesure où l'industrie de guerre avait besoin d'eux pour faire tourner les usines d'armement.
Vlad
Comme Vlad, j'aurai cité René Rémond pour éclairer le bilan humain de la guerre sur les pertes des agriculteurs (fantassins) et des intellectuels (jeunes officiers, voir aussi la réponse très précise de Cuchlainn ci-dessous).
Duc de Raguse a écrit :
Pour mettre tout le monde d'accord, il faut rappeller que plus de 50% de la population française était rurale et travaillait dans le secteur agricole en 1914.
Ce qui explique le fait (et le confirme) que la population agricole a été le plus touchée...
Ce que j'ai pu lire sur les Bretons dans les posts précédents (je pense notamment aux citations sur "casser du breton"), j'ai entendu la même chose sur les Savoyards dans mon enfance.
Certes, les chasseurs alpins alpins ont été mises à rude épreuve puisque faisant partie des troupes d'élite (d'ailleurs, aucun des frères de mes AGP qui étaient chasseurs alpins n'est revenu du front) mais je reste quand même convaincue que l'EM n'a pas saignée à blanc volontairement les Savoyards, les Corses ou les Bretons. Ce ne sont que de fausses rumeurs qui se sont répandues dans les années vingt et trente pour justifier le dépeuplement de ces régions-là : oui, le dépeuplement a débuté avec les morts de la première guerre, mais il a été accentué avec l'exode rural des années vingt et confirmé et accéléré avec celui des années cinquante.
Ma famille n'est qu'un exemple parmi tant d'autre : une partie est originaire de Savoie, l'autre de la Nièvre, toutes deux régions rurales et agricoles à l'époque. Il y a eu curieusement autant d'hommes mobilisés dans les deux familles (à un près). Certes, il y a eu un peu plus de morts en Savoie, mais plus de blessés dans la Nièvre (qui ont peu vécu après la guerre, donc autant de victimes indirectes). Qu'il s'agisse de la Nièvre ou de la Savoie, ces deux familles ont connu la douleur du deuil (veuves et orphelins), les blessés de guerre (gaz à l'ypérite ou amputations), voir même la folie suite à la guerre...
La Nièvre a connu le même phénomène d'exode rural et de dépeuplement que la Savoie. Mais elle n'a jamais clamé, comme les Savoyards ou les Bretons, que cela pouvait être dû à la saignée de 14-18.
Cuchlainn a écrit :
Il y a aussi une différence importante entre la première phase de la guerre et la phase "guerre de position". Le massacre de jeunes diplômés, célèbre, est particulièrement terrible à l'été 14, non seulement parce que ces hommes chargent à la tête de leurs hommes et, par nécessité d'exemple, s'imposent de moins se couvrir, mais aussi parce que leurs uniformes présentent des détails reconnaissables qui les désignent aux tireurs d'officiers.
De même les pertes par catégorie professionnelle : à l'été 14, la mobilisation est totale et l'économie du pays se met pratiquement sur pause - de nombreux récits des journées de mobilisation évoquent ces entreprises où le patron, en dernier, tire le rideau, append un écriteau "Fermé pour cause de guerre" et se rend, comme ses employés, à l'appel - puisqu'il est prévu que tout soit réglé en quelques semaines. Ce n'est qu'à la fin de l'année que le prolongement de la guerre s'impose comme une évidence et que tombent les premières mesures de rappel de certains ouvriers, des mineurs, et d'autres catégories comme les pères de 6 enfants. On voit, dans Genevoix, ces hommes, comme l'infatigable mineur "Martin", faire toute la guerre de mouvement, les premiers combats dans les tranchées, puis être rappelés à l'arrière. Mais avant cela, il leur a fallu survivre au meurtrier été 14...
Quant aux pertes par région, il faudrait déjà, là encore, examiner le calendrier : qui s'est retrouvé au mauvais endroit à l'été 14 ? Il est évidemment impensable que ces unités aient été volontairement placées là dans le but de les faire tuer - quand bien même on jugerait crédible un tel calcul de la part des officiers - pour la bonne et simple raison que l'armée française n'avait pas prévu l'axe de l'armée allemande.
Or, vu le taux de pertes subi en août 14, sur des régions relativement petites, il suffit que la division du coin se soit retrouvée à Charleroi ou à Morhange pour aboutir à un ratio local très supérieur au ratio national sur toute la durée du conflit...
J'aime beaucoup cette réponse qu'il s'agisse du massacre des jeunes diplômés ou de l'explication sur la fermeture de tous les commerces pour cause de guerre.
Pour qu'un homme soit rappelé à l'arrière dans un intérêt économique, il fallait déjà survivre à l'été 1914.
Ainsi, un des mes AGP a été rappelé pour travailler, mais pas son frère : il l'aurait certainement été puisqu'il avait le même travail, mais il était décédé en août 1914 et fut le premier mort de la commune.
Alain.g a écrit :
Ce sont au contraire des ruraux, votant plutot à droite et allant à la messe qui ont fourni et de loin le plus de morts à la guerre et pas des ouvriers, précieux dans les usines d'ailleurs. Quand aux coloniaux ils ne représentent au total pas un gros % des morts au combat en 1914-18, davantage en 1939-45.
Concernant les pertes coloniales de 1914-1918, je ne peux que conseiller la lecture de Claude CARLIER et Guy PERDRONCINI,
Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, 1997. Pour résumer rapidement : il y a eu environ 820 000 à 900 000 hommes mobilisés dans les colonies et protectorats français, soldats et travailleurs confondus. 700 000 ont été transportés en France, dont 600 000 militaires (ils représentent 7 à 8 % des Français mobilisés pendant la guerre) et 185 000 travailleurs.
Sur une population de 48 millions d'habitants, l'empire colonial français a fourni plus de 800 000 hommes, soit 1,5 % du total de sa population. Pour rappel, en métropole, il y a eu 7, 5 millions de mobilisés soit 20 % de la population totale.
Les pertes : environ 66 000 à 71 000 soldats coloniaux tués à la guerre. Donc 1 homme sur 7 ne rentre pas chez lui à la fin du conflit. La proportion est la même chez les fantassins français de métropole. Les soldats coloniaux ont été exposés de la même manière au feu ennemi que les poilus français.
Par contre, il est vrai que le recrutement des soldats coloniaux a été plus ou moins forcés, et que leurs soldes étaient inférieures à celles des soldats de métropole.