Il y a manifestement plusieurs sujets ici.
1. Sur l'idéologie.
Admettons que l'idéologie fasciste existe -"admettons" car on a pu dire qu'autant l'idéologie nazie est clairement énoncée, autant c'est moins évident en ce qui concerne le fascisme. Il est clair, comme dit Roch Donzella, que toute idéologie se construit en empruntant des éléments ici ou là. Il y a des "passeurs" entre le socialisme et le fascisme, il y a au moins Georges Sorel. Mais si les termes "idéologie fasciste" et "idéologie socialiste" ont quelque sens, il faudrait expliquer en quoi précisément ils peuvent être assimilés.
Roch Donzella, vous parlez d'"inspiration révolutionnaire" dans le "programme des fondateurs" en 1919. Soyons précis : Il s'agit de la fondation des
Faisceaux. Le Parti Fasciste, lui, nait en 1921.
Or, à ma connaissance, on trouve en général trois sources à l'idéologie fasciste : Le courant contre-révolutionnaire, l'irrationalisme politique (ou romantisme politique, comme on disait en Allemagne) et le nationalisme d'extrême-droite.
Ca ne veut pas dire que le fascisme n'est pas d'essence "révolutionnaire", vous avez le droit d'appeler ce que vous voulez comme vous voulez. Après tout, on parle de "révolution conservatrice" à propos de l'un de ces courants en Allemagne, et je crois que Mussolini a pu parler de "révolution fasciste". Mais alors soyons clair : il ne s'agit pas là de l'héritage de la révolution française -qui est en revanche l'héritage que les socialiste et les marxistes revendiquent, à la même époque. Au contraire, dans les termes mêmes de Mussolini, le programme fasciste est une réaction "spiritualiste" qui s'érige contre le "matérialisme" issu des Lumières et de la Révolution.
Mais ce qu'il faut dire aussi est que le fascisme s'oppose tout autant au libéralisme, et en particulier à la doctrine humaniste, issue du christianisme, et qui irrigue les Lumières. En fait, si plutôt que de "capitalisme", Roch Donzella, vous voulez parler de "libéralisme", je vous rejoins : Le fascisme est une troisième voie, alternative au libéralisme
et au socialisme.
Selon moi, proposer que le fascisme serait une sorte de continuation au socialisme est aussi abusif que de dire que c'est une continuation au libéralisme. Bien sûr que non ! Evidemment que chronologiquement, on ne passe pas de l'un à l'autre sans transition, évidemment qu'on peut toujours retrouver ici ou là des éléments communs, mais si ces corps de doctrine réfèrent à quoique ce soit d'"existant", on ne peut décemment pas les assimiler. Au contraire, ils ont été constitués pour
s'opposer les uns aux autres.
2. Sur la politique
D'abord, il y a un effet d'optique tout à fait propre à notre époque, et qui découle d'ailleurs à mon avis enre autres de l'utilisation abusive du concept de "totalitarisme" : On a manifestement tendance à considérer aujourd'hui que les sociétés fascistes et nazies sont égalitaristes. Ce n'est absolument pas le cas ! Le projet fasciste, il consiste au contraire à fonder une société
fondamentalement inégalitaire, constituée sur une hiérarchie stricte. Le modèle de la société fasciste, ce n'est pas un équivalent du communisme comme stade ultime de la lutte des classes, c'est au contraire une société effectivement
embrigadée, c'est-à-dire envisagée comme une immense
armée.
Alors certes, on peut considérer qu'il existe une sorte d'idéologie sous-jacente à l'armée qui égalise tout individu par le port de l'uniforme et le l'envisage comme un
soldat, semblable à tout autre soldat. Mais je n'étonnerais personne en disant que l'armée est d'abord fondée sur une hiérarchie stricte, où on attend de chacun qu'il agisse selon son rang et en fonction des ordres qui lui sont donnés.
Ai-je besoin de montrer à quel point ce projet de société est éloigné du projet socialiste ?
Quant au reste, je répète : Une politique sociale n'est pas une politique socialiste. Est-ce qu'on mesure bien ce qu'on dit quand on suggère quelque chose comme cela ? Cela impliquerait par exemple que l'empire romain était socialiste ! Les rois de France ? Socialistes ! Tout régime qui ne se désintéresse pas totalement de son peuple : Socialiste ! Ce serait faire grand cas du socialisme et bien peu des autres doctrines, non ?
Je dis surtout cela pour vous, Hamon, non pour vous blâmer, croyez-moi, mais parce que votre question est tout de même étonnante : "Quelles furent les bases de la politique économique mussolinienne ? Etait-t-elle réellement
sociale ou fut elle en réalité
au seul bénéfice du patronat ?" Si l'alternative se réduit en gros à : "Une politique socialiste est une politique sociale, et une politique non-socialiste est une politique appliquée au
seul bénéfice du patronat", ça fait pas beaucoup de politiques non-socialistes dans le monde et dans l'histoire !
De même, l'autarcie ou l'interventionnisme économique ne sont pas caractéristiques du socialisme, Roch Donzella. Vous imaginez le nombre d'exemples de régimes socialistes qu'on pourrait trouver dans l'histoire du monde, à ce compte ?
Et vous serez sans d'accord que le corporatisme n'est, alors, mais pas du tout d'inspiration socialiste.
Bon, et puis enfin, sur Mussolini lui-même... Je crois que de toutes façons, on a un peu tendance de nos jours à accorder beaucoup d'importance aux idéologies. "Ce sont les idées qui font les hommes, et non l'inverse", tel est le mojo. Or, personnellement, il me semble que Mussolini se fichait éperdument des idéologies, et qu'il était d'abord un grand pragmatique.
Ce qui est certain, c'est que si on commence par regarder les faits avant de disserter sur les idéologies, les politiques économiques, etc. il semble que, pour les contemporains au moins, les fascistes n'apparaissaient pas comme les grands amis des socialistes. En fait, on dit même qu'ils se battaient régulièrement dans les rues. On dit aussi que les fascistes avaient enlevé et assassiné un certain Matteotti, et qu'à leur tour, certains socialistes avaient perpétré des tentatives d'assassinat contre Mussolini (pas que des socialistes, toutefois)...
Avec le recul de l'histoire, on peut toujours relire les choses différemment. Mais enfin, tout de même ! il ne semble pas que les contemporains de Mussolini l'aient pris pour un grand défenseur de la cause socialiste ou syndicaliste ! En fait, il semble même qu'ils l'aient pris pour un
adversaire du socialisme ! Est-ce qu'aujourd'hui cela parait tellement étrange ?
En revanche, vous avez parfaitement raison de rappeler, Roch Donzella, que Mussolini fut encensé par plusieurs de ses contemporains, Churchill, Roosevelt, même Gandhi, parait-il !... Mais ça ne veut toujours pas dire qu'il passait pour un socialiste à leurs yeux. En fait, peut-être même : au contraire