On le sait, une des raisons de la séduction du nazisme, sans doute aussi importante que son idéologie, c'est son style inédit caractérisé par une scénarisation complexe et élaborée entourant la présentation de son action politique et culturelle.
Ce qui vient immédiatement à l'esprit, ce sont les grandes manifestations de masse, style congrès de Nuremberg ou Jeux olympiques, célébrations organisées comme un spectacle total (symboles, drapeaux, rites, musiques, lumières, défilés, discours, danses etc) où l'individu est exposé à une sorte de bombardement multi-sensoriel censé l'amener à un état proche de la transe, ou au moins une exaltation telle qu'il renonce à son individualité pour ne plus faire qu'un avec la foule subjuguée par la parole du leader (charismatique comme il se doit).
Pour lancer la discussion, je cite ci-dessous des extraits (cursivement traduits) du livre d'Ernst Nolte: "Der Faschismus in seiner Epoche: Die Action française, Der Italienische Faschismus, Der Nationalsocializmus". Dans ces passages, Nolte décrit les cérémonies du IXème congrès du NSDAP qui ont eu lieu à Nuremberg du 6 au 13 septembre 1937:
Hitler arrive dans l'après-midi du 6--en retard--et commence par "passer en revue sa garde personnelle qui le reçoit en formation parfaite, bayonette au canon et en grand uniforme"; il est conduit à la marie dans une énorme voiture à travers les rues de la ville noires de monde et décorées d'une mer d'oriflammes pendant que les cloches des églises sonnent à toute volée. Tout le long du trajet, il fait le salut nazi pendant que l'acclame la foule en délire. A la mairie, dont la façade est ornée de drapeaux à svastikas, il est accueilli par une sonnerie de trompettes, et tous les dignitaires nazis de la région en uniforme ayant à leur tête le maire de la ville lui souhaitent la bienvenue. Il fait un discours où il évoque ses plans grandioses pour la région et pour l'Allemagne.
Les rapports officiels annoncent: "le Führer est ici, la ville vit vraiment".
Le lendemain matin, a lieu l'ouverture solennelle du congrès du parti au palais des congrès; l'immense hall est plein de délégués du parti venus de tous les coins du pays, et d'invités d'honneur dont une délégation du parti fasciste italien. Une fanfare de trompettes jouant la "Badenweiler March" accueuille l'entrée d'Hitler. La "bannière du sang" (le drapeau du putsch raté de Münich) est présentée dans le hall, saluée avec révérence par tous les présents et placée derrière l'estrade réservée aux orateurs. Ensuite, ce sont les accords de l' "Ouverture de Tannhaüser" qui résonnent, avant que Rudolf Hess ne prenne la parole pour rendre un hommage solennel aux morts et souligner la différence entre le national-socialisme, qui construit dans la joie, et la destruction et le désespoir apportés par le communisme. ...
Le soir, la partie culturelle de la manifestation se déroule à l'opéra, centrée sur la célébration du triomphe de l'Allemagne dans le domaine des arts et de la culture. Un prix est décerné à Alfred Rosenberg et Hitler fait un discours attaquant violemment l'art moderne comme décadent et dégénéré.
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Le jeudi, le Führer pose la première pierre d'un futur "stade allemand" géant et ouvre solennellement les championnays athlétiques national-socialistes, qui mettent l'accent sur les sports d'équipe et les sports militaires. Vendredi matin, Hitler "baptise" de nouveaux drapeaux en les touchant avec la "bannière du sang".
Après d'autres discours, (Darré, Todt etc.) des colonnes de femmes allemandes défilent dans le hall. Hitler lui-même s'adresse à elles, leur garantissant que le but ultime des efforts du parti est "l'enfant allemand" et que l'homme nazi apportera à la femme allemande une virile protection dans sa tache de mère de famille. Le soir, 115 000 membres du parti défilent sur le champ Zeppelin avec une précision militaire. Le Dr Ley décrit ainsi le moment de l'arrivée du Führer: "à ce moment, l'obscurité environnante est soudain inondée de lumière. Les faisceaux de 150 projecteurs jaillissent comme des météores dans le ciel noir.Tout en haut, les colonnes de lumière s'unissent au plafond de nuages pour former un carré de flammes. C'est une vision écrasante: agités par une douce brise, les drapeaux flottant sur les estrades érigées tout autour du champ ondulent lentement dans l'éclatante lumière... La tribune principale est baignée de lumière, couronnée par les rayons dorés de la svastika cerclée de feuilles de chêne. Des piliers érigés à droite et à gauche jaillissent de hautes flammes sortant de grandes urnes. La foule attend dans un silence total. Dans une fanfare de trompettes, le Führer apparait sur la tribune. Ensuite se déroule le défilé des bannières, 32 000 exactement, au son du chant "Ordensburg". Puis le Führer prit la parole: "Que vous m'ayez trouvé et que vous ayez cru en moi, c'est ce qui a donné à votre vie un sens nouveau, une tache nouvelle. Que je vous aie trouvé, c'est ce qui a rendu ma vie et mon combat possible." Une centaine de milliers de voix entonnent alors le "Chant des Allemands".
Le samedi matin, 115 000 adolescents de 18 ans prêtent serment d'allégeance au Führer; le dimanche, nouveau baptême de drapeaux et nouveau défilé de 115 000 hommes, pendant 5 heures
, devant Hitler. Le lundi, jour de la Wehrmacht, des manoeuvres militaires de haute précision sont accompagnées du rugissement de centaines d'avions évoluant dans le ciel. Le soir, la clôture du Congrès se fait au son de la "Marche des Niebelungen" et un discours final du Führer réaffirme que la nation allemande a maintenant obtenu son Reich allemand.
Quels sont les principaux éléments (rites, symboles et cérémonies) de cette mise en scène nazie à grand spectacle? Quelles sont ses principales caractéristiques? Quelles ont été ses manifestations les plus réussies? Comment, quand, par qui ses différents aspects ont-ils été développés? Quels ressorts est-elle censée pousser, quelles émotions est-elle censée faire naître chez les individus qui y sont exposés? Quels organismes se chargeaient de l''organisation de ces célébrations? Etc.