Merci, quelques extraits seraient intéressants à reproduire, car après une synthèse classant les différentes interprétations des travaux et hypothèses de plusieurs historiens de la fin du XXème siècle, qui questionnaient les famines soviétique et/ou celle spécifique à l'Ukraine, Graziosi note ceci :
Graziosi a écrit :
Pour des motifs que nous verrons, l’hypothèse A au contraire n’est pas fondée quand elle soutient que la « famine », y compris la famine à l’échelle de l’Union, a été organisée (« planifiée ») même avant l’automne 1932 pour résoudre le problème national et/ou paysan ukrainien.
Plus loin, il décrit bien les rouages pris par cette famine soviétique et est réservé quant à l'utilisation du terme de génocide :
Graziosi a écrit :
l’impact dévastateur, sur le plan humain comme sur celui de la production, de la dékoulakisation qui se termina par un pogrom dirigé par l’État contre l’élite paysanne ; la collectivisation forcée qui avait incité les paysans à détruire une grande partie de leurs biens ; le mauvais fonctionnement et la misère des kolkhozes ; des vagues de réquisitions impitoyables et répétées qui tiraient leur origine de l’industrialisation en crise, de l’urbanisation incontrôlée et de la croissance de la dette extérieure à laquelle on pouvait faire front seulement en exportant des matières premières ; la résistance des paysans qui n’acceptaient pas ce qu’ils définirent aussitôt comme un « second servage » et qui travaillaient de moins en moins, soit par refus du nouveau système, soit en raison de leur affaiblissement physique dû au manque de nourriture ; les mauvaises conditions météorologiques de 1932. La famine, qui avait commencé à frapper ici et là en 1931 (pourtant au Kazakhstan les nomades mouraient déjà en masse) et formé des poches importantes au printemps 1932, apparut donc comme la conséquence imprévue, non programmée, des politiques d’inspiration idéologique, c’est-à-dire marxiste, sur lesquelles la direction bolchevique avait misé pour déraciner la production privée des marchandises. (...) il semble très difficile de soutenir que la famine fut l’effet attendu de ces politiques, comme on le fait parfois dans les hypothèses présentant la grande famine comme un événement voulu en sorte de briser la résistance paysanne ou pour perpétrer un génocide anti-ukrainien planifié à Moscou (quand ce n’est pas carrément, et injustement, par les « Russes »).
Concernant la question "nationale" en Ukraine, visiblement Staline ne parvenait à la délier de la question paysanne - c'est cette analogie qui a fait écrire à Courtois que nous nous trouvions là dans un "génocide de classe" :
Graziosi a écrit :
Là où la question nationale compliquait la « question paysanne », en la rendant plus aiguë et donc plus dangereuse -- rappelons que Stalin avait explicitement lié les deux questions dans ses écrits sur le nationalisme et que le leadership soviétique avait vu cette hypothèse se confirmer par les grandes révoltes sociales et nationales des campagnes ukrainiennes en 1919, qui s’étaient répétées ensuite, bien qu’à une échelle mineure, au début de 1930 -- le recours à la faim fut plus impitoyable et la leçon beaucoup plus cruelle.
En somme, là où les paysans rejetaient la collectivisation voulue par Staline, l'arme de la faim fut davantage utilisée, mais elle n'était pas systématique et ne visait qu'à contraindre les récalcitrants à rentrer dans le rang, puis à les punir.
Quant aux villes ukrainiennes, elles étaient approvisionnées :
Graziosi a écrit :
Même les routes qui menaient aux villes ukrainiennes, incomparablement mieux approvisionnées que les campagnes, encore qu’elles fussent misérables, furent entourées de barrages de police anti-paysans, alors que les villages étaient abandonnés à la mort.
Et en conclusion, cet auteur se contredit plusieurs fois : des éléments font pencher la balance pour le génocide et d'autres pas.
Il serait intéressant de se pencher sur le contexte de rédaction de cet article (2005), car dans le précédent que je citais de lui (1996), il rejetait l'idée d'un génocide...
Cela dit, Werth (ou Sémelin), cité plus haut, tente de dépasser cette opposition factice : le terme employé importe peu car nous nous trouvons bien ici dans un crime de masse et il serait temps, selon lui (eux) d'utiliser d'autres termes pour analyser ces crimes de masse et d'éviter l'éternelle comparaison avec la politique d'extermination menée par les nazis. C'est en cela que Werth s'est éloigné de Courtois, car ce dernier cherchait à démontrer que la politique criminelle de Staline était identique, voire pire, à celle d'Hitler.
Barbetorte a écrit :
Lorsque fut créée l’ONU, L’Ukraine et la Biélorussie obtinrent chacune un siège à l’ONU
Une volonté du "petit père des peuples" de faire croire que chez lui les frères russes (rien pour les autres, pas même les Géorgiens dont il faisait partie) étaient sur un pied d'égalité, dans un contexte de décolonisation croissant.
On sait bien ce que cela veut dire dans la réalité...