Jerôme a écrit :
Difficile de savoir si un témoin est sincère ou pas.
On ne peut exclure une fausse sincérité : souvent les criminels "reconstruisent " les événements pour se donner sinon le beau rôle du moins se présenter d'une façon acceptable.
De nombreux Allemands ont fait cela, inconsciemment.
Je pense que votre vision de l'évolution des mentalités en Allemagne est fausse.
Il n'y avait pas réellement de "criminels" dans le grand public allemand. (A l'exception notable des policiers ou SS chargés d'éliminer les ennemis du régime, ou de les envoyer en camps de concentration.) Si l'on excepte les soldats sur le front russe, le peuple allemand n'avait pas de sang sur les mains.
Les Allemands savaient évidemment qu'il n'était pas question de contester le régime, mais il n'a pas été très difficile pour eux de s'en accommoder : le régime nazi avait mis fin au chômage et à la faim, rétabli la grandeur de l'Allemagne et multiplié les conquêtes pratiquement sans pertes humaines.
Après la victoire sur la France en 6 semaines, la cote de Hitler est à son zénith.
Bien sûr il y a les Juifs allemands qui ont été déportés, mais les Allemands, dans leur grande majorité, ont préféré ne pas le voir, d'autant plus que beaucoup avaient été convaincus par la propagande antisémite du régime.
Eux, des criminels ? Ils se sentaient au contraire (et à juste titre) victimes de bombardements terroristes contre les civils - toutes les villes de plus de 100 000 habitants ont été bombardées, et plusieurs fois pour les plus grandes ou les plus industrielles, ce qui constitue objectivement un crime de guerre massif - puis, plus tard, victimes des massacres et des viols commis en masse par l'Armée Rouge.
Où voyez-vous donc qu'ils aient eu besoin de modifier inconsciemment leurs souvenirs criminels ?
Le seul point d'interrogation concerne non pas les camps de concentration (à part les habitants du voisinage, qui savait ?) mais les crimes de masse et la politique de la terre brûlée commis sur le front de l'Est. Là je pense que pas mal de soldats (mais pas la majorité) ont confié à leur famille qu'ils participaient à une guerre d'extermination, ou raconté des épisodes épouvantables. En tous cas une partie du peuple savait quelle guerre se livrait là-bas.
La majorité des Allemands qui ont vécu cette époque ont témoigné par la suite que l'annonce de la mort de Hitler les avait comme dégrisés. C'est le moment précis du retour à la réalité du moment, qui n'était pas rose pour eux.
Quand j'y pense, les jeunes Allemands - ou surtout leurs parents - que je fréquentais dans les années 70 avaient bien effacé une chose de leur mémoire : les bombardements. C'était pourtant à Dortmund, ville industrielle de la Ruhr qui a durement dégusté. Jamais je n'ai entendu la moindre plainte ou le moindre récit sur ce sujet. La ville avait été entièrement reconstruite, les parents de mes amis avaient dû en voir de dures lorsqu'ils étaient gamins, tant sous les bombes que de la faim après-guerre, mais jamais je n'ai entendu un mot sur le sujet.
Il y a 3 ou 4 ans un copain de Hambourg organise un grand WE près de Dortmund, où il avait gardé une maison de campagne au bord du Möhnesee. (Lac de la Möhne) Le nom me dit quelque chose, et je me décide à chercher sur Google : en fait c'est un des trois barrages qui ont été détruits à l'aide de bombes sphériques par l'escadrille spéciale des "dambusters", après des mois d'entrainement à blanc sur des barrages anglais, provoquant des inondations et des destructions catastrophiques dans les villes en aval. J'ai donc fait une trouvaille, et je passe à tous par mail (Français et Allemands) les photos du barrage éventré et des quadrimoteurs avec leurs bombes bizarres : hé bien ça fait flop ! Je n'aurais pas pu trouver un sujet qui les intéresse encore moins.
Je crois que l'un d'eux a répondu "Ah oui, ce bombardement ? Mais c'était pendant la guerre." En clair ce n'était pas un sujet.
En gros, les "jeunes" Allemands (ils ont mon âge) savent qu'il y avait des criminels endoctrinés parmi leurs grands-parents, savent ce qu'a été la Shoah, les KZ, ne mettent pas en doute la culpabilité de l'Allemagne, mais ce qu'a pu subir l'Allemagne a été effacé.