etennelegros a écrit :
La formule, "du mérite", est peut être un tantinet malheureuse car ses responsabilités dans ce conflit sont indéniables.
pierma a écrit :
Bien sûr qu'il faisait partie des fauteurs de guerre. Je ne vais pas lui tresser des lauriers pour cela.
Sans exonérer l’empereur de sa responsabilité, il faudrait la nuancer un peu, comme le fait Ian Kershaw (
Choix fatidiques, Chap.8
Tokyo, automne 1941 Le Japon décide d’entrer en guerre) qui analyse au jour le jour les débats internes au gouvernement japonais sur la question de la guerre. Il en ressort clairement que jusqu’au dernier moment, l’empereur faisait partie du parti de la paix, avec Konoe et Toyoda. Après la résolution en faveur de la guerre prise par la conférence de liaison ministérielle du 4 septembre, Hiro-Hito fait tout pour retarder sa décision en conférence impériale, mais selon Kershaw, il n’était plus le maître des événements :
Citer :
En tout état de cause, le pouvoir de l’empereur était plus limité en pratique qu’il ne l’était en théorie. Constitutionnellement, l’empereur exerçait encore le pouvoir exécutif. En théorie, les forces armées devaient se conformer à sa volonté. Et il n’était pas douteux que les dirigeants du gouvernement et des forces armées étaient tenus par l’honneur d’obéir à l’empereur. Mais, indépendamment de la personnalité de Hirohito, qui n’était pas vraiment un homme à poigne, essayer d’exercer le pouvoir exécutif en passant outre une décision arrêtée lors d’une conférence de liaison par les soins du haut commandement de l’armée de terre et de la marine, de pair avec les chefs du gouvernement civil, eût été exposer le trône impérial à de gros risques. En pratique, c’était une chose impensable. Hirohito préférait assurément la paix aux dangers de la guerre avec l’Amérique. Mais, de l’intérieur aussi bien qu’extérieurement, il avait favorisé les étapes de la quête de puissance et de gloire du Japon, qui avait conduit le pays dans la fâcheuse posture qui était désormais la sienne. Il ne pouvait pas ordonner à une armée récalcitrante de renoncer à une attitude que l’opinion ainsi que de larges sections des élites avaient fini par associer à l’honneur national du Japon. Risquer le conflit avec les chefs de l’armée dans ces circonstances aurait bien pu mettre en péril la position même de la monarchie.En tout état de cause, le pouvoir de l’empereur était plus limité en pratique qu’il ne l’était en théorie.
On comprend que c’est bien avant que la machine s’est emballée, dès l’invasion de la Chine, que les militaires lui avait présentée comme une promenade militaire.L’empereur jouait maintenant son trône à s’opposer à l’armée à laquelle la guerre sino-japonaise avait donné la main, d’autant plus qu’elle était largement pénétrée par un fascisme radical qui a multiplié les attentats et les tentatives de coup d’État dans les années 30 , montrant les liens entre officiers de l’armée, notamment la société secrète du Sakurakaï et la Ligue du sang, en 1932, ou l’affaire de l’École des officiers en 1934, etc... (sur ce sujet lire l’ancien (1946) mais excellent essai de Maruyama Masao :
Le fascisme japonais 1931-1945 tout récemment réédité aux Belles Lettres). L’empereur ne peut pas ne pas avoir en tête la fin des grands empires qui s’effondrent les uns après les autres depuis 1917, et peut-être cette phrase de Bismarck au Kaiser :
« Vous pourrez régner sans crainte tant que le corps des officiers suivra Sa Majesté ». Sa position pacifiste était en fait intenable, puisqu’à la fois l’idéologie de l’extrême-droite radicale alliée au militarisme tendait à affermir le trône en épousant le culte impérial, tout en le prenant en otage d’une politique jusqu’au-boutiste qu’il ne souhaitait pas.
Pour preuve, cette conférence impériale du 6 septembre réunie pour obtenir l’aval de l’empereur, ou celui-ci, d’abord par le truchement du président du Conseil privé Hara, demande et même exige que toutes les possibilités diplomatiques soient épuisées, notamment une entrevue Konoe-Roosevelt, avant, devant l’absence de réponse du Conseil, et fait unique dans les annales de ce type de réunion, d’intervenir directement :
«
Pourquoi ne répondez-vous pas ? »
Nouveau silence gêné, puis :
«
Pourquoi le haut commandement ne répond-il pas ? »
Et la conférence se termine par l’assurance donnée au souverain que toutes les voies diplomatiques seraient exploitées, avec une date butoir au 15 octobre, sur quoi l’empereur signe ce qu’on lui a présenté. Mais la date-butoir atteinte, Konoe ayant démissionné, Hiro-Hito nomme Tojo et le charge de réexaminer la décision du 6 septembre ;
« Jamais encore on n’avait vu un empereur ordonner de contourner une décision prise en sa présence lors d’une conférence impériale. Tojo fut prié de « revenir à la page blanche », autrement dit, de repartir de zéro », note Kershaw, mais sans que le haut commandement y soit officiellement associé, ce qui vouait la démarche à l’échec : la conférence impériale du 5 novembre ne fit que repousser au 30 la date-butoir de fin des négociations, une dernière conférence impériale se tint le 1er décembre, où la guerre fut décidée.
Hiro-Hito est certes donc coupable par sa faiblesse, mais il est tout sauf un Hitler asiatique.
Pierma a écrit :
Mais je trouve que sur la reddition du Japon, il aurait pu chercher des garanties pour lui-même (par exemple la garantie de ne pas être jugé pour crimes de guerre, alors que ceux-ci s'étaient pourtant produits sous son autorité - au moins théorique) et ne l'a pas fait.
Barbetorte a écrit :
C’était une façon de dire : « Capitulez sans condition, après on verra
Hum, je ne l'interprète tout à fait pas ainsi.
Les Américains n’ont pas donné avant la capitulation cette assurance en effet, mais en réalité, elle était implicite ; certes la conférence de Potsdam avait exigé l’abdication, et donc par voie de conséquence la possibilité d’un jugement de l’empereur, mais après Nagasaki, le 12 août, à la communication des Japonais qui acceptent la capitulation à condition que les Alliés ne portent
« aucune atteinte aux prérogatives de Sa Majesté en tant que souverain régnant », ils répondent que l’autorité de l’empereur et du gouvernement japonais sera subordonnée à celle du commandement suprême des forces alliées, que l’empereur et le haut commandement japonais veilleront à la capitulation des forces armées, et que
« la forme définitive du gouvernement japonais sera fixée par la volonté librement exprimée du peuple japonais », ce qui, sous l’apparence que les États-Unis et leurs alliés ne s’engagent à rien, exclut pourtant dans l’immédiat l’abdication et ouvre même clairement la voie au maintien de l’empereur dans un cadre constitutionnel, puisque le résultat d’une telle consultation du peuple ne fait aucun doute. Position subtile mais certainement comprise comme une garantie de sauvegarde du trône par l’empereur, et confirmée par Truman lui-même qui écrit par la suite dans son journal :
« Ils voulaient garder leur empereur. On leur a répondu qu’on leur ferait savoir comment ils le garderaient, mais à nos conditions ». Hiro-Hito restant sur son trône, son jugement était de facto écarté. D’ailleurs, des deux côtés, on veut ménager l’avenir : les Américains veulent préserver la paix sociale du futur Japon occupé, tandis que l’empereur, dès son célèbre discours radiodiffusé à son peuple, pose les jalons de sa disculpation et insiste sur son statut sacré, consubstantiel à la nation.