Jerôme a écrit :
Cela dit, ne devons nous pas imaginer qu'en 1940 les Allemands s'attendaient à une résistance furieuse des Français (la Marne 1914 ou verdun 1916) et furent surpris d'entrer dans Paris après un mois de combats?
Tout d'abord Hitler ne doutait en aucun cas de pouvoir battre l'armée française. Si ses généraux ne l'avaient pas modéré, Hitler aurait attaqué dès l'hiver. (et si l'avion de liaison d'un officier allemand idiot n'était pas tombé en panne en survolant une partie du territoire belge avec le plan allemand dans sa mallette, Hitler aurait réédité le plan Schlieffen, donc une attaque frontale en Belgique, ce que Gamelin attendait. Mais après cet incident - l'incident de Mechelen - les Allemands ont donc dû réviser leur plan.)
Déjà les généraux ont fait valoir que mieux valait attendre le beau temps pour être certains de l'appui de l'aviation, et pour faciliter la progression des blindés. Dans l'intervalle, Hitler a adopté
le plan Manstein, un plan brillant qui consistait à laisser les Français s'enfoncer en Belgique, puis de les couper à la base à Sedan et de foncer vers la mer pour les encercler.
Les Allemands savaient qu'ils attaquaient un secteur faible, mais ils s'attendaient effectivement à ce que leur avancée vers la mer soit contre-attaquée par le sud avec toutes les réserves que les Français pourraient ramasser pour éviter cet encerclement. En toute logique l'état-major allemand attendait que les Français, même pris à contre-pied, contre-attaquent avec la dernière énergie.
S'ils ont été surpris, c'est d'atteindre la mer à Abeville en 10 jours, le 20 mai, et de boucler l'encerclement de la région de Dunkerque en 15 jours. (le 24 mai, sauf erreur de ma part)
Guderian fonce depuis Sedan sans se poser de questions - les divisions de fantassins qui suivent ses chars vont aller border son flanc sud - et en ignorant l'ordre de ralentir que lui transmet un état-major allemand très inquiet. En fait la seule contre-attaque sera celle de De Gaulle à Montcornet, mais il ne dispose pas de moyens suffisants pour qu'elle soit déterminante. (Gamelin avait bien une armée de réserve, la 7ème armée de Giraud, mais il l'a finalement envoyée au loin, pour aller défendre aussi la Hollande. Quand Reynaud et un Churchill très inquiet débarquent à son QG, il est bien obligé d'avouer platement qu'il n'a pas de réserves à ses interlocuteurs effarés.)
Après c'est plié, le gros des moyens blindées alliés est resté à Dunkerque, Weygand établit une ligne de défense sur la Somme (où les soldats français conscients du danger vont se battre très courageusement) mais elle n'arrête que quelques jours une Wehrmacht sûre d'elle-même et déchaînée. Paris ne sera pas défendu - la capitale est déclarée "ville ouverte" pour éviter des destructions - et ce sera la seconde bonne surprise pour Hitler. (Quatre ans plus tard, De Gaulle, qui aurait souhaité qu'on défende Paris à tout prix, révulsé par cette idée de "ville ouverte", évoque "Paris outragée" : il n'avait toujours pas digéré cet épisode.)
La France capitule 6 semaines après le début de l'attaque allemande. Même dans leurs rêves, ni les généraux ni Hitler ne l'auraient imaginé. L'effet sur l'opinion publique allemande est explosif : le "messie germanique" a tenu ses promesses.
Citer :
Cette surprise ne les aurait elle pas conduit ensuite à réviser leur analyse des rapports de force en
surestimant leurs propres capacités et en sous estimant celles de leur ennemi ?
Si on parle de la Russie, ils ne connaissent pas le rapport des forces ! Ce qui est certain c'est que les généraux qui ont battu la France en 6 semaines ne doutent plus de rien, et plus grave, constatent que Hitler avait raison de penser qu'il viendrait à bout de la France sans trop de difficultés. De fait la Wehrmacht, pour reprendre l'expression de Nicolas Bernard (dans "La Guerre Germano-soviétique") est alors "la meilleure machine à tuer du monde".
Mais sur l'estimation allemande, on peut se poser quelques questions : (J'en vois deux évidentes, mais LCL511 serait certainement plus pertinent que moi.)
- Les services allemands connaissaient-ils l'ampleur de la purge de l'Armée Rouge déclenchée par Staline ? (Et qui n'est toujours pas totalement terminée au moment de Barbarossa.) Savaient-ils à quel point elle était décapitée ?
- Hitler avait-il compris que Staline avait une peur bleue de l'éventualité d'une guerre ? (Il a cédé à toutes les demandes de matières premières dans le cadre de l'accord germano-soviétique, il a fait livrer par le NKVD les cadres communistes allemands réfugiés en URSS que la Gestapo a réclamés, et quelques jours avant l'attaque allemande - alors que plus de 3 millions d'hommes prennent leurs positions - il a fait demander par son ambassadeur à Berlin s'il n'y a pas un motif de mésentente entre les deux pays, qu'on pourrait aplanir...)