Lucius Aemilius a écrit :
Le jeu permet également d'avoir une romance avec un personnage (non-joueur) masculin. Si notre avatar (on peut choisir son sexe) est masculin, cela fait une romance homosexuelle. Si en Grèce antique, je me suis moins posé la question par rapport à une relation homosexuelle, je me la pose pour le monde scandinave de l'ère viking. Comment les relations homosexuelles (spécialement entre deux hommes) sont-elles perçues pour ce monde ? Est-ce une relation taboue et condamnée ou tolérée ?
J'étais passé à côté de votre réponse... mieux vaut tard que jamais n'est-ce pas?
C'est une question très délicate sachant les évolutions et débats qui agitent notre propre société à ce niveau. On constate que de plus en plus de média mettent en scène des relations et personnages homosexuels, de plus en plus mis en avant y compris dans des contextes "historiques". Mais cela reflète des préoccupations actuelles.
Légitime ou pas, ce n'est pas la question, je veux juste dire que le jeu s'inscrit dans cette tendance.
Du point de vue historique (de ce que j'en sais en tous cas), l'homosexualité était
à priori un tabou dans la société scandinave ancienne. Mais ça mérite débat...
Quelques éléments:
- les termes "ergi" (efféminé) ou argr (terme insultant désignant l'homosexuel passif) semblent montrer qu'une connotation très péjorative était associée à l'homosexualité, en tout cas au rôle passif joué dans cette dernière. Ces termes se retrouvent dans les sagas (mais sans forcément de connotation péjorative dans ces dernières qui emploient ce mot simplement comme un qualificatif, les saga étant de toute façon très laconiques et épurées dans le style), et surtout dans certains textes de lois de la période chrétienne (et ce dernier point est très important). Etre qualifié en tant que tel était considéré comme une véritable insulte à son honneur, qui devait être réparée sous peine de bannissement (châtiment le plus grave pouvant être infligé en Scandinavie ancienne dans laquelle la peine de mort était quasi inexistante pour ce qu'on en sait). A savoir que dans l'acceptation de l'homosexualité dans l'antiquité, le rôle passif pouvait être également très mal vu dans l'antiquité classique.
- On a aucun texte ou témoignage sur ce sujet avant la période chrétienne (pour la Scandinavie ancienne j'entend). Connaissant la position de l'Eglise et de la religion chrétienne en général sur le sujet, on peut donc dire à minima qu'il faut être très prudent pour évoquer cet aspect durant l'époque païenne. On sait que parmi d'autres peuples germaniques et surtout chez les Celtes (dont on peut comparer les structures sociales et culturelles avec les Scandinaves anciens), l'homosexualité était, comme en Grèce ancienne, parfaitement tolérée, voire même courante (parmi certains groupes de guerriers très soudés notamment).
- Le Seidr, forme de magie divinatoire (notamment mais pas que) qui revient souvent dans les textes, et qui semble avoir occupé une place importante dans les rites et pratiques "magiques" de la Scandinavie païenne. A la période chrétienne bien sûr, cette forme de magie est interdite, mais particulièrement aux hommes, car elle implique une sorte de travestissement. En fait, comme toutes les sociétés anciennes, la société scandinave de l'époque connait une répartition genrée des tâches (ce qui n'implique pas forcément une inégalité d'un point de vue social et juridique, simplement une répartition différente des tâches entre les hommes et les femmes), et le "Seidr" est une "activité" féminine.
En réalité cela va plus loin que ça. On sort du cadre strict de l'homosexualité pour aborder des notions de genres, mais qui font sens pour imaginer comment l'homosexualité pouvait être perçu dans cette société.
La "magie" est conçue alors comme une interaction avec un monde "sur"naturel, double, afin d'obtenir des effets qui vont à l'encontre de "l'ordre" naturel. Par conséquence, la magie implique une sorte de retournement, d'inversion de l'ordre naturel (de ce qui est considéré alors comme tel, entendons nous bien... aujourd'hui, quand on joue sur la conductivité de certains matériaux afin d'obtenir certains effets liés à la mécanique quantique et qui nous permettent de communiquer à distance de façon instantané (et que nous appelons banalement un "téléphone portable"), quelque part, ce n'est pas différent, mais nous considérons que ces effets font partie de l'ordre naturel des choses). La personne qui la pratique est alors considérée comme étant efféminée si c'est un homme.
Il y a une amulette fort intéressante pour illustrer ça:
Cette amulette représente probablement le dieu Odhinn: les deux corbeaux, le trône (Hlidskjàlf, qui lui permet de voir tout ce qu'il se passe dans les 9 mondes), il y a peu de doutes.
Hors Odhinn est le dieu de la magie par excellence. C'est un dieu psychopompe, qui, avec son cheval à 8 pattes, symbole chamaniques par excellence, peut visiter et interagir avec les différents mondes comme il le souhaite (et c'est un dieu qui détient beaucoup de savoir secrets à caractère magique, et qui fait souvent usage de magie pour arriver à ses fins).
Et sur cette amulette, son costume peut recueillir diverses interprétations mais il semble qu'il est bien habillé en femme. On note la robe, le "tablier" ornementé porté par dessus (caractéristique du costume féminin de l'époque),avec un manteau long par dessus et cet énorme collier qui évoque d'ailleurs de manière troublante un autre objet archéologique (qui remonte pourtant à quelques siècles en arrière):
Sachant l'importance du dieu Odhinn dans la religion scandinave païenne (moindre que ce qu'en disent les Edda, mais tout de même très importante, notamment au Danemark où son nom se retrouve énormément dans la toponymie), et son lien avec la fonction royale, il est intéressant de noter qu'on hésitait pas à le représenter ainsi travesti, certes pour symboliser son lien avec la magie, mais le travestissement était donc considéré comme une sorte de démarche mystique, lié à des rites et des pratiques magiques... pas forcément méprisés à la période païenne.
Cela m'évoque d'autres pratiques dans d'autres cultures, comme les énarés chez les Scythes ("hommes femmes" ayant rôle de chamanes) ou dans certaines cultures de chasseurs cueilleurs où l'on connait des "genres" différents au delà des hommes et des femmes, notamment des "êtres aux deux esprits", ou des "invertis" et qui ont souvent des activités liées au chamanisme ou à la "magie", donc une association avec quelque chose qui est quelque peu en dehors de ce qu'on considère comme l'ordre naturel des choses, mais pas nécessairement considéré comme dangereux ou méprisable (les pratiques "magiques" étant considérées souvent avec craintes, mais également comme des moyens légitimes voire nécessaires pour assurer la subsistance et la sécurité de la communauté, comme les autres rites religieux, le chamane étant toujours une figure très respectée).
voilà ce qui me vient sur la question (autant sur l'homosexualité que sur la question plus générale du genre).