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 Sujet du message : Charles Martel (Georges Minois)
Message Publié : 04 Déc 2022 18:05 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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CHARLES MARTEL
De Georges Minois
(Perrin, 2020)

Charles Martel est né vers 685.

A son époque, ce qui sera la France passe pour être gouvernée par la dynastie des Mérovingiens, les successeurs de Clovis. Le pays, mal christianisé, est encore terre de mission, connaît une période très sombre entre la majesté de l’empire romain et ce que l’on appellera plus tard la renaissance carolingienne. La violence est reine, la vie très précaire, les maladies omniprésentes. C’est un siècle de fer. Abominations et assassinats ont marqué le règne des Mérovingiens. Ceux-ci, pour asseoir leur pouvoir, ont cependant favorisé la création de nombreux monastères, centres économiques et culturels, aussi manières de prison pour les membres de la famille royale dont on voulait se débarrasser et qui étaient tonsurés.

Deux régions mettent à mal l’unité de ce Regnum Francorum :

:arrow: La Neustrie, la France de l’ouest.
:arrow: L’Austrasie, celle de l’Est et une partie de l’Allemagne.

A l’extérieur, des régions mettent en question le pouvoir des Mérovingiens :
:arrow: Les Frisons, dans les actuels Pays-Bas,
:arrow: Les Saxons, en Allemagne,
:arrow: Les Lombards en Italie.

La Neustrie a fini par prendre le pas sur l’Austrasie, notamment avec Dagobert 1er, dernier roi mérovingien à avoir exercé un pouvoir effectif sur le Regnum Francorum, l’empire des Francs. Il est le fils de Clotaire II, lui-même fils de Chilpéric, roi de Neustrie, et de son épouse Frédégonde. Mais après lui, le pouvoir des rois mérovingiens tend à s’effacer au profit de leur maire du palais. Surtout, la Neustrie s’oppose à l’Austrasie et la division s’installe.
A l’origine le maire du palais ou « maître » du palais étaient un officier royal au service du roi mérovingien, le chef de la domesticité de son palais, son intendant, son homme à tout faire.

Dans cette ambiance, une famille s’est imposée en Austrasie, les Pippinides, originaire d’une région de Belgique, dans la vallée de la Hesbaye, entre Louvain et Liège. Ils acquièrent là d’immenses domaines fonciers autour de Herstal. Leur ancêtre, plus ou moins légendaire, est un certain Karlmann, peut-être d’origine saxonne, et qui aurait vécu vers 600. Il s’installe à Landen. Il passe pour être l’un des fidèles, des antrustions, du roi d’Austrasie. Son fils, plus attesté historiquement, est Pépin de Landen. Par une habile politique de mariage, ce dernier devient époux, beau-frère, père de saints, ce qui accroit son influence. Il meurt en 640. Lui succède son fils Grimoald. Il devient maire du palais du roi d’Austrasie après avoir assassiné son prédécesseur. Il exerce en fait tout le pouvoir et son maître n’est qu’un fantoche. Aussi veut-il devenir roi lui-même. Mais les grands ne sont pas d’accord et il finit par être capturé par le roi de Neustrie et sa mère Bathilde qui le font mettre à mort.

C’est un coup d’arrêt à l’ascension des Pippinides. Malgré tout, son neveu Pépin II de Herstal finit par devenir maire du palais d’Austrasie. Il bat le roi de Neustrie Thierry III et son maire du palais Berchaire à Tertry, sur la Somme, en 687 et devient maire du palais des deux royaumes, Neustrie et Austrasie, imposant sa famille dans tout le Regnum Francorum. Il est le père de Charles Martel. Thierry III reste roi mais, « roi fainéant », n’aura aucun pouvoir.

I. La jeunesse de Charles Martel.

Pépin II a deux femmes, Plectrude et Alpaïde, la première épousée pour des raisons politiques, la deuxième, parce qu’elle est séduisante.
Charles est le fils d’Alpaïde, l’épouse en second et qui, comme tel, doit laisser le pas à Plectrude. Aussi, en principe, il ne pourra pas succéder à son père comme maire du palais. Du reste, le prénom de Charles qui lui a été donné est très peu usité, ce qui montre la faible importance de celui qui le porte (il signifierait « courageux » ou « joufflu »). Quant à son surnom de Martel, il lui a été donné plus tard par des chroniqueurs qui voulaient célébrer les exploits du « marteau », de celui qui « martelait » ses ennemis.

Plectrude a en effet de Pépin II deux fils, Drogon et Grimoald, et compte bien que l’un d’eux devienne maire du palais plus tard. Bien sûr, les deux femmes se détestent car chacune veut favoriser sa progéniture. Plectrude a avec elle l’influent évêque de Liège, Lambert. Alpaïde peut compter sur l’appui de son frère Dodon, fonctionnaire important. Dodon finit par assassiner Lambert avant de mourir lui-même dans des conditions mystérieuses. Comme Drogon, le fils aîné de Plectrude, meurt lui-même de maladie, c’est Grimoald que sa mère va tenter de mettre en avant contre Charles.
Las, Grimoald finit par être assassiné par un Frison. Pepin II, peut-être parce qu’il la croit responsable, fait enfermer Alpaïde dans un couvent où elle mourra peu après. Puis, en 715, il meurt lui-même. Plectrude devient alors régente au nom de son petit-fils le jeune Théodoald, fils de Grimoald. Ne voulant ni l’assassiner, ni le faire tonsurer, elle se contente de faire enfermer Charles dans une forteresse de Cologne, simplement pour l’avoir à l’œil. Puis elle rassemble des troupes et envahit la Neustrie pour imposer son petit-fils maire du palais. Mais les Austrasiens ont la main lourde, ravagent tout et finissent par provoquer une contre-attaque des Neustriens qui envahissent à leur tour l’Austrasie. Ils ont à leur tête le maire du palais Ragenfred et le roi Chilpéric II, un moine théoriquement fils d’un roi mérovingien que Ragenfred a tiré de son couvent pour se légitimer. Il n’a aucun pouvoir bien sûr, même s’il le regrette bien.

Par ailleurs, en Austrasie, Plectrude doit faire face à une attaque des Frisons et des Saxons du roi Radbod. Bref, elle est attaquée de tout côté. La mort dans l’âme, elle est contrainte de faire libérer son beau-fils Charles (à moins qu’il se soit lui-même évadé, on ne sait pas).

II. Les débuts de Charles Martel.

A partir de là, celui-ci entre dans l’Histoire. Sortant de l’ombre, il va réellement se révéler et s’imposer partout. Il va en effet remporter trois grandes victoires :

:arrow: Amblève
:arrow: Vinchi.
:arrow: Néry

Rassemblant ses partisans, il surprend, dans une bataille d’embuscade, les troupes de Ragenfred et de Chilperic II dans la vallée de l’Amblève et les bat en 716, acquérant ainsi une redoutable réputation. Il va ensuite se livrer à des guérillas contre ses adversaires, devenir une manière de « Robin des bois » (mais sans aucun scrupule). Il peut compter pour cela sur l’appui des monastères fondée par sa famille antérieurement. D’ailleurs, Ragenfred aussi, et les deux ennemis se livrent là à une guerre d’influence. Comme malgré tout l’Etat mérovingien passe pour être un état de droit, en dépit de son caractère instable et trouble, Charles veut se trouver un roi de la dynastie pour lui aussi se légitimer et finit par trouver Childebert III. Il n’est pas question qu’il se fasse roi lui-même, à l’instar de son grand-oncle Grimoald qui a mal fini. Après tout, la dynastie mérovingienne conserve un certain prestige. Son fils, le futur Pepin III le bref, père de Charlemagne et fondateur de la dynastie des Carolingiens, n’aura pas les mêmes scrupules.

Charles remporte une nouvelle victoire sur ses ennemis à Vinchi, au sud de Cambrais en 717. Ragenfred et Chilpéric II obtiennent alors l’appui du duc d’Aquitaine Eudes. Mais les trois sont vaincus définitivement par Charles à la bataille de Néry, près de Soissons, en 719, ce qui fait de lui le maire des palais de Neustrie et d’Austrasie. Entretemps, le roi Childebert III est mort. Aussi, Charles demande à Eudes de lui livrer Chilpéric II qui s’est réfugié en Aquitaine et dont il veut faire son nouveau roi. Eudes accepte très vite car, d’une part Chilpéric II qui commence à lever des troupes pour reprendre le combat, se révèle encombrant, d’autre part il veut avoir la paix. Chilpéric II, du reste, est royalement accueilli par Charles, mais il meurt peu après obligeant le nouveau maire à se trouver encore un roi. Entretemps, Plectrude, devenue impopulaire mais détentrice du trésor royal, se voit obligée de remettre celui-ci à Charles avant de se voir confinée dans un couvent où elle finira ses jours.

III. Charles Martel maire du palais.

Maître du Regnum Francorum, Charles Martel va tenter d’étendre celui-ci. Il doit avoir à l’œil les régions périphériques : la Provence, l’Aquitaine, la Bavière, l’Armorique (Bretagne actuelle). Il envahit la Saxe où il finit par avoir raison de ses habitants. Mais une fois partis, ceux-ci remettent en cause son pouvoir ce qui n’est pas nouveau. Chaque fois que la Saxe est envahie, elle finit par rejeter ses maîtres une fois ceux-ci partis ! c’est un vrai travail de Sisyphe pour la conquérir. Une seule solution pour les intégrer : en faire des chrétiens, mettre fin ainsi aux divisions religieuses. A cette fin, Charles Martel demande au pape Grégoire II de lui envoyer un missionnaire. Le souverain Pontife lui adresse alors le futur Saint Boniface qui va s’employer à évangéliser la Saxe. Mais il n’est pas très subtil et finit par s’attirer la haine des Saxons par ses actes inconsidérés contre leurs traditions païennes. Il finira du reste assassiné. Toutefois, il s’entend bien avec Charles Martel, même si leurs objectifs sont différents : le maire du Palais veut s’assurer la possession de ces territoires, le saint homme veut les évangéliser.

Il envahit aussi la Frise (dans les actuels Pays-Bas), peuplé par de vrais Barbares. C’est malgré tout plus facile car ils sont davantage christianisés par rapport aux Saxons. Malgré tout, Frise et Saxe, situées en marge du Regnum Francorum, sont les deux soucis majeurs de Charles Martel.
Il impose aussi sa domination à la Bavière qui a à sa tête un duc, oblige celui-ci à se soumettre aux Francs.

A l’intérieur du royaume, Charles Martel impose son pouvoir en mettant un peu partout des hommes à sa dévotion, c’est-à-dire des comtes et des évêques. Il favorise ceux qui lui sont fidèles en leur accordant des dotations en terre ou en argent, vire les indociles. Les évêques surtout sont plus intéressants car ils passent pour plus fidèles que les laïques. Ils passent pour plus instruits, plus compétents, plus prestigieux. Cependant, le maire du palais se soucie comme d’une guigne de leur niveau culturel, la seule chose qui lui importe est leur obéissance. Aussi n’œuvre-t-il pas pour une rechristianisation efficace, loin de là, même s’il fonde à droite et à gauche des monastères pour accroître son pouvoir. Certains évêques sont analphabètes ! En fait, les évêques importent moins pour leur niveau spirituel que pour leur capacité à gérer des domaines fonciers. Certains sont guerriers, s’imposent par la violence aux villes voisines. Soumis à Charles Martel, ils rappellent les évêques de Napoléon. Cette politique de fondation de monastères n’empêchera pas Charles Martel de s’emparer des biens de l’Eglise, ce qui lui vaudra plus tard les foudres de celle-ci. Il est guerrier redouté, chrétien contesté. Ses plus proches collaborateurs sont son demi-frère Hildebrand, son neveu Hugues.

Outre son titre de maire du palais, Charles s’arroge celui de princeps, comme autrefois l’empereur Auguste, pour bien montrer qu’il est l’homme fort de l’empire franc. Son père était maire du palais, lui est en plus princeps, son fils sera roi et son petit-fils empereur, c’est vraiment la montée en dignité ininterrompue de la famille des Pippinides.
Le danger musulman va alors se présenter à Charles Martel.

IV. Charles Martel et l’Islam.

Cent ans auparavant, Mahomet a fondé l’Islam, une religion faite pour des guerriers. Avec lui, la notion de guerre sainte entre dans l’Histoire. Déjà, en s’emparant de La Mecque à partir de Medine, Mahomet, de son vivant, a donné le ton. La religion se confondant complètement avec la politique, les musulmans sont pour ainsi dire obligés de faire la guerre sainte. Ainsi, les successeurs du prophète, conquirent le Moyen Orient, l’Afrique du Nord en quelques dizaines d’années. Très simple, la religion de Mahomet s’étend très rapidement. Dès l’an 700, ils commencent à s’intéresser à l’Espagne, à partir du Maroc. Celle-ci est conquise en près de 20 ans. Poursuivant leur avance, les « Sarrasins » franchissent les Pyrénées et ravagent la « Septimanie » (le Languedoc et la Cerdagne).

Sur leur lancée, l’étape suivante ne peut être que le royaume des Francs. Il s’avère cependant que celui-ci est pour eux beaucoup plus difficile à conquérir en raison des nombreuses forêts qui s’y trouvent et dans lesquels, eux habitués à circuler dans des déserts, ils évoluent avec difficulté.
Au moment de la conquête arabe, lors du premier siècle de l’Islam, l’Occident n’a qu’une idée très floue de ce qu’est réellement celui-ci, même chez les intellectuels vivant à leurs côtés (Isidore de Séville). Pour lui, il ne s’agit que d’une banale hérésie élaborée par un peuple oriental sauvage et païen, un peu comme la vision qu’avaient les gallo-romains des Barbares germains. Il faudra attendre la 1ère croisade pour que les Européens sachent vraiment ce qu’est la nouvelle religion.

Au départ, Charles Martel ne songe absolument pas au danger musulman. Seule lui importe sa guerre contre les Saxons et les Frisons, ses vrais ennemis. La menace se précise cependant et les Francs sont obligés de prendre conscience de cette menace à présent toute proche. Entre Charles Martel et les Musulmans d’Espagne, il y a l’Aquitaine du duc Eudes, homme remarquable avec qui le maire du palais a des relations tendues. Une première fois, les musulmans se sont avancés vers l’Aquitaine sous la direction de l’émir de Cordoue Al-Sahm. Ils ont été battus à plate couture par le duc Eudes à Toulouse en 721. Al-Sahm fut tué. L’un des lieutenants de Al Sam, Abd-el-Rahman a ramené les débris de l’armée en Espagne.
Ainsi, l’équilibre politique dans cette partie du continent se joue entre trois :

:arrow: Charles Martel, maire du palais de Neustrie et d’Austrasie.
:arrow: Eudes, duc d’Aquitaine.
:arrow: Abd-el-Rahman, émir de Cordoue.

Chacun se méfie des deux autres et cherche à rompre l’équilibre.

Pour l’heure, le duc Eudes a réussi à obtenir l’alliance d’un des feudataires d’Abd-el-Rahman en Espagne, l’émir Munazin, un traitre pour l’émir de Cordoue. Par une guerre éclair, ce dernier envoie l’un de ses généraux qui l’écrase et le tue. Mais Abd-el-Rahman veut se venger du duc Eudes. Pour ce faire, il prépare une très forte expédition, avec beaucoup de moyens, pour aller au-delà des Pyrénées. Son armée est composée de Berbères, d’Arabes, aussi de soldats issus de la lointaine Perse. Elle n’est pas du tout chaotique mais se distingue par un certain ordre. Elle rappelle un peu l’antique légion romaine notamment par cette habitude qu’ont les Sarrasins d’élever des camps fortifiés à tout moment pour mettre à l’abri les troupes. Il emmène même avec lui les familles de ses guerriers, ce qui montre qu’il ne veut pas se contenter de faire une guerre de razzia, mais conquérir, d’abord faire un sort à Eudes sa priorité, puis étendre l’Islam le plus loin possible, peut-être conquérir l’empire franc s’il le peut.

Il passe non par l’Est comme c’était l’usage jusque-là quand on voulait faire des razzias en Gaule, mais par l’ouest des Pyrénées, plus précisément par le col de Roncevaux, car il veut aller droit vers l’Aquitaine de Eudes. Les premiers engagements avec les Aquitains sont défavorables à ces derniers. Eudes, avec les débris de son armée, est donc obligé d’aller quémander l’aide de Charles Martel qu’il rencontre à Paris. Poursuivant son avantage, Abd-el-Raman pille l’Aquitaine, dont Bordeaux. Puis, il arrive à Poitiers qu’il livre pareillement au pillage. Partout règnent massacres et destructions. Son prochain objectif est Tours dont il convoite les richesses du monastère consacrées à Saint Martin.

Mais entre Tours et lui, il y a l’armée de Charles Martel.

A son époque, l’insécurité étant permanente, chaque homme libre est potentiellement un guerrier. L’usage du scramasaxe le rend redoutable. La faiblesse de l’armée de Charles réside dans sa cavalerie ; elle est peu nombreuse. Il peut seulement disposer des quelques cavaliers basques du duc Eudes son allié.

Déterminé à en découdre avec ses ennemis, Abd el-Raman se précipite vers les Francs avec toute son armée ; il veut vraiment livrer bataille. A l’époque de Charles Martel, l’art de la stratégie était sommaire. Le maire du palais, sur ce point, n’est pas particulièrement brillant. En fait, c’est seulement un excellent meneur d’hommes.

Charles Martel met son armée de fantassins en ligne, la plus étendue possible pour ne pas se laisser envelopper par les Arabes. Ceux-ci attaquent les Francs par vagues successives pendant toute la journée du 10 octobre 732. Ils ont beau faire, ils ne peuvent en venir à bout et subissent de lourdes pertes. Finalement, ils cèdent et regagnent leur camp.

Charles Martel a ce jour-là remporté une grande victoire défensive.

Dans le même temps, le duc Eudes attaque par surprise le camp arabe avec ses cavaliers. Il est probable qu’au cours de l’engagement, Abd el-Raman trouve la mort, tué par un javelot. Les musulmans parviennent cependant à dégager le camp.

Le lendemain de sa victoire, Charles Martel veut prendre l’offensive et marcher sur le camp arabe pour donner le coup de grâce à ses ennemis. Il n’a pas à le faire ; ceux-ci ont disparu ! En fait, connaissant le désarroi après la mort de leur chef Abd el-Raman, les Arabes ont choisi de partir, abandonnant leurs trésors pillés, aussi leurs femmes amenées avec eux, et qui deviennent esclaves des Francs. Les sentinelles franques ne se sont pas aperçues de leur départ probablement parce que l’armée était trop éloignée. On ignore quel a été le successeur d’Abd el Rahman.

Charles Martel se refuse à les poursuivre. D’abord, on voit mal des fantassins poursuivre des cavaliers, lesquels, qui plus est, se sont débandés un peu partout. Ensuite, il ne peut retenir ses hommes qui se livrent gaiement au pillage du camp musulman. En dernier lieu, il a autre chose à faire, doit régler des problèmes politiques en Neustrie.

Les Arabes d’Abd-el-Rahman combattaient pour la gloire d’Allah, faisaient la guerre sainte. Charles Martel, non, seulement pour l’identité du peuple franc (la notion de guerre sainte était encore inconnue des chrétiens ; elle n’apparaîtra qu’à la première croisade).

V. Les dernières années de Charles Martel.

Dans la suite de sa vie, Charles Martel doit se consacrer à lutter contre le danger musulman, devenu désormais incontournable. Il commence par guerroyer en Bourgogne où des cavaliers du prophète se sont aventurés et incrustés. Là, c’est assez facile pour en venir à bout.
En 735 meurt le duc d’Aquitaine, Eudes. Lui succèdent ses deux fils Hunald et Hatton. Ces derniers se refusant à reconnaître la suzeraineté de Charles Martel, celui-ci attaque l’Aquitaine, s’avance vers la Garonne, bat les deux princes, puis confie le pouvoir dans le duché à l’un d’eux sous condition qu’il lui fasse allégeance. Il ne peut en effet annexer toute l’Aquitaine, en perpétuelle rébellion. Il est plus simple de déléguer son pouvoir.

En 737, il guerroie dans le Languedoc et en Provence. Dans cette dernière région, l’une des plus anciennement romanisée autrefois, deux patrices sont aux commandes. L’un d’eux a partie liée avec les Musulmans tout proche. Charles Martel s’avance avec son armée et s’empare d’Avignon, dont il fait un massacre de ses habitants pour bien faire comprendre qu’il est dangereux de lui résister. Il remporte la même année une victoire sur les Sarrasin sur la Berre. Puis il veut ensuite prendre Nîmes, mais là c’est un échec car, effet contraire de l’exemple d’Avignon, les habitants sont déterminés à lui résister.
Malgré son échec à Nîmes, Charles Martel revient dans sa capitale, auréolé de gloire.

Il fait ensuite face aux Arabes qui tenaient les cols Alpins entre la Gaule et l’Italie. Pour mieux lutter contre eux, il doit s’entendre avec Liutprand, roi des Lombards, lui aussi intéressé à lutter contre les Arabes. Ce Liutprand était manifestement un autre Charles Martel, en ce sens que cet ambitieux avait le rêve de dominer toute l’Italie. Or, pour ce faire, il s’opposait au Pape Gregoire III, bien installé à Rome. Or, le Pape considérait Charles Martel comme son ami et son soutien contre les Lombards, surtout depuis qu’il lui avait envoyé des missionnaires pour aider à la pacification de la Saxe. Le problème est très délicat pour Charles Martel : il ne peut pas se mettre à dos Liutprand rien que pour complaire au Pape. Aussi fait-il la sourde oreille à toute les demande d’aide du pontife. Finalement, devant ses appels réitérés, il envoie à Liutprand une ambassade officielle, laquelle réussit à faire céder au Pape quelques petits territoires. Les deux partis semblent satisfaits, à la plus grande joie du maire du palais.

Le dernier roi mérovingien, au pouvoir seulement nominatif (ils se contentait seulement de donner quelques chartes à droite et à gauche) meurt et le royaume des Francs se retrouve sans souverain. Charles Martel ne le remplace pas. Il aurait pu se faire roi lui-même. Certes son oncle Grimoald, 90 ans plus tôt, avait été tué pour cela mais le contexte n’était plus le même. En fait, comme Jules César autrefois, Charles Martel avait tous les pouvoirs, il n’avait pas besoin de se faire roi. Cela aurait mécontenté les grands, suscité éventuellement leur jalousie, et il n’y tenait pas, il avait besoin d’eux. Alors sagement, il s’abstient et reste « maire du palais » (de quel palais ?! il n’y a plus de roi.

Charles Martel meurt en 741 à l’âge de 56 ans. Lui qui a réunifié le monde franc sous sa domination a mal conçu sa succession. Il avait trois fils, Carloman, Pepin et Griffon, celui-ci né d’une épouse secondaire.

Les deux premiers lui succèdent comme maires du palais. Rien n’est prévu pour Grifon, lequel réclame sa part aux deux autres. Les deux frères mettent d’abord sur le trône un mérovingien, Childéric III, pour mieux se légitimer face à l’Aquitaine, aux Alamans, à la Bavière. En 747, Carloman fait tuer lors d’un banquet des chefs alamans en révolte. Tenaillé par le remords, il se fait moine et se retire dans l’abbaye du Mont Cassin en Italie. Pépin a place nette et se retrouve seul maire du palais sous le nom de Pépin III, « Pépin le bref ». Contrairement à son père, dont il n’a pas les scrupules, il décide de se faire roi et dépose Childéric III. D’une part, il a le soutien des moines de Saint Denis, très influents, d’autre part il est aidé par le pape Zacharie. Il saute finalement le pas et lors d’une réunion des grands à Soissons en 751, il est acclamé roi des Francs et fonde la dynastie des Carolingiens. Son fils, Charlemagne, sera empereur.

Contrairement à ce dernier, Charles Martel a remporté une belle série de victoires durant toute sa vie. Son « règne » (en tant que maire du palais) est très positif. Ayant trouvé un royaume divisé entre Austrasiens et Neustriens, troublé par les luttes entre rois et maires du palais, il laisse un royaume pacifié au pouvoir central fort. Il a de bonnes relations avec le pape qui le considère comme l’homme fort de l’Occident. Charlemagne sera sur ce plan-là moins glorieux, mais sera davantage un organisateur, aura à son actif une œuvre législative et culturelle, la « Renaissance carolingienne » impensable du temps de son grand-père. Il avait, il est vrai, un personnel à sa disposition pour cela, lequel faisait défaut à Charles Martel.
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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 08 Déc 2022 9:37 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Avr 2008 9:32
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Localisation : région de Meaux
Oulligator a écrit :
IV. Charles Martel et l’Islam.

Cent ans auparavant, Mahomet a fondé l’Islam, une religion faite pour des guerriers. Avec lui, la notion de guerre sainte entre dans l’Histoire. Déjà, en s’emparant de La Mecque à partir de Medine, Mahomet, de son vivant, a donné le ton. La religion se confondant complètement avec la politique, les musulmans sont pour ainsi dire obligés de faire la guerre sainte. Ainsi, les successeurs du prophète, conquirent le Moyen Orient, l’Afrique du Nord en quelques dizaines d’années. Très simple, la religion de Mahomet s’étend très rapidement. Dès l’an 700, ils commencent à s’intéresser à l’Espagne, à partir du Maroc. Celle-ci est conquise en près de 20 ans. Poursuivant leur avance, les « Sarrasins » franchissent les Pyrénées et ravagent la « Septimanie » (le Languedoc et la Cerdagne).

Sur leur lancée, l’étape suivante ne peut être que le royaume des Francs. Il s’avère cependant que celui-ci est pour eux beaucoup plus difficile à conquérir en raison des nombreuses forêts qui s’y trouvent et dans lesquels, eux habitués à circuler dans des déserts, ils évoluent avec difficulté.
Au moment de la conquête arabe, lors du premier siècle de l’Islam, l’Occident n’a qu’une idée très floue de ce qu’est réellement celui-ci, même chez les intellectuels vivant à leurs côtés (Isidore de Séville). Pour lui, il ne s’agit que d’une banale hérésie élaborée par un peuple oriental sauvage et païen, un peu comme la vision qu’avaient les gallo-romains des Barbares germains. Il faudra attendre la 1ère croisade pour que les Européens sachent vraiment ce qu’est la nouvelle religion.


Cette biographie de Minois, même si elle ne se focalise pas sur la bataille de Poitiers et traite abondamment du monde franc et de la politique de Charles Martel, a néanmoins adopté sur le sujet un biais idéologique bien en phase avec des "préoccupations", pour ne pas dire des "obsessions" contemporaines qui pour moi entachent la crédibilité du livre en ce qui concerne les développements sur la relation du monde franc à l'Islam...

J'ai cité ici viewtopic.php?f=51&t=10921&hilit=renaud&start=210#p585449 et là viewtopic.php?f=51&t=10921&hilit=renaud&start=225#p585473 des considérations de Minois bien loin de la rigueur attendue d'un chercheur, et qui traduisent une volonté d'instrumentaliser cette histoire pour conforter un rejet ambiant des musulmans et des idées "discutables" de guerre de civilisation et de grand remplacement ... Des travaux récents (et moins récents) ont montré que les troupes d'Abd al-Rahman ne venaient pas conquérir ou envahir la Gaule, mais y opérer des razzias... L'émir n'agissait pas "au nom de l'islam", ni ne menait un "djihad", pas plus que Martel ne portait la bannière de la Chrétienté (ce dont Minois convient) d'ailleurs. A mes yeux, même si tout le livre n'est pas à jeter, Minois s'est largement déconsidéré sur ces points...

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