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Jean Froissart
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Voici un nouveau compte-rendu (avec tous les défauts et avantages que peut représenter un tel exercice, mais avec la bénédiction de la modération B) ) de l'ouvrage de Zoé Oldenbourg, Le Bûcher de Montségur,16 mars 1244. Je suppose ,mais je vérifierai auprès de l' auteur du compte -rendu, qu'il s'est servi de la version de poche aux éditions Folio.



Le bûcher de Montségur

par Zoé Oldenbourg


La croisade ordonnée par l’Eglise contre le Languedoc, les pays Occitans, en mars 1208 avait pour but de mettre fin à l’hérésie cathare. Elle eut pour prétexte l’assassinat du légat du Pape Pierre de Castelnau, crime attribuée par l’Eglise au comte de Toulouse Raymond VI, lequel en était très probablement innocent.

L’hérésie en question est alors très présente par toute l’Europe, surtout dans les pays récemment christianisés. Elle est née en Europe centrale, précisément en Bulgarie avec la religion des bogomiles. Elle pose pour principe le dualisme entre le bien et le mal. Surtout, ce que ne peut accepter l’Eglise de Rome, c’est le caractère négatif qu’elle donne à la Création, au monde terrestre entièrement œuvre du démon, tout particulièrement la hiérarchie catholique.

Le catharisme a essaimé en France du nord, en Allemagne, peu en Angleterre. Très vite elle a pris les allures d’une Eglise universelle ayant sa hiérarchie, ses évêques, ses théologiens, en rivale affirmée de l’Eglise officielle, l’Eglise romaine. Elle existe même en Italie, pays pourtant anciennement catholique, et arrive à subsister du fait de l’opposition entre le Pape et l’empereur, les deux souverains étant pourtant l’un et l’autre hostiles à l’hérésie. Mais elle est particulièrement puissante dans le Languedoc, dans les Etats du Comte de Toulouse Raymond VI. Pour lutter contre l’hérésie, l’Eglise tente de lancer des croisades à droite et à gauche par exemple en Bosnie, pays qui appartient alors au roi de Hongrie. Là c’est un échec car ce dernier s’y oppose. Dans le Midi de la France, pourtant, les projets de Rome devaient aboutir.

La situation vis à vis de la nouvelle religion est là assez ambiguë car il existe partout un mouvement de sympathie à l’égard des hérétiques. Catholiques ou cathares, tout le monde se sent solidaire face à l’ennemi extérieur et il existe un réel patriotisme local dans tout le Languedoc. La tolérance existe de fait et le souverain en chef, le comte de Toulouse, se préoccupe bien peu de persécuter les hérétiques.

Le Pape est alors Innocent III, pape très puissant qui tient tous les princes de la Chrétienté pour ses vassaux. Aussi use-t-il de son influence pour pousser ceux-ci à se croiser contre les cathares. Pourtant, ce Pape qui se targue de dominer les rois ne parvient même pas à imposer son autorité à son Eglise ! En effet, une cause de l’hérésie qui sévit dans le Sud est l’état lamentable de corruption qu’y connaît la hiérarchie catholique. Les évêques ne pensent qu’à leurs sous et à leurs intérêts matériels. Avant de lutter contre les ennemis extérieurs de l’Eglise, Innocent III tente de sévir contre le mal intérieur en faisant déposer les évêques indignes, en vain car ils refusent d’obéir.

Dans un second temps, avant d’en venir à la manière forte, l’évêque de Rome organise une campagne de prédication dans le pays. Celle-ci est menée par un Espagnol du nom de Dominique de Guzman (le future Saint Dominique). Ce dernier avait compris que pour couper l’herbe sous les pieds des hérétiques, il fallait user des mêmes moyens qu’eux, c’est à dire vivre dans la plus extrême simplicité, dans le dépouillement des biens terrestres, dans la pauvreté, ce à quoi il s’employa avec rigueur. Avec courage, il se rend chez les hérétiques, seul dans un monde hostile. Pour être mieux aidé dans cette tâche, il fonde l’ordre des Dominicains. Malgré tout, il n’obtient que quelques conversions, d’autant plus qu’il s’est montré maladroit en menaçant du « bâton » les récalcitrants.

Il faut donc envoyer une armée et à l’appel du souverain pontife, les barons français du nord se croisent et lèvent une armée. Les principaux chefs de celle-ci sont le comte de Nevers, le duc de Bourgogne. La lutte contre l’hérésie est pour eux un prétexte car leur but avéré est de s’enrichir aux dépens des populations envahies.

Très conscient du danger, Raymond VI tente d’y faire face à sa façon. En fait, c’est un pacifique qui veut éviter la guerre sachant très bien qu’elle sera néfaste à son peuple dont il est aimé. Aussi, il essaye d’abord de négocier avec le Pape et le roi de France, mais en vain. L’armée croisée se rassemble aux frontières et est bien déterminée à envahir le pays. La croisade est animée par le tristement célèbre abbé de Cîteaux, le légat du Pape Arnaud-Amaury. Celui-ci est un homme sans scrupule, fanatique intransigeant, qui veut absolument éradiquer l’hérésie. Fin politique, Raymond VI qui ne veut pas passer pour favoriser celle-ci, se croise lui aussi et rejoint l’armée d’invasion, espérant par sa présence modérer l’ardeur de celle-ci.


I. Les débuts de la croisade.

Cette première phase de la guerre a été marquée par deux faits :

:arrow: La prise de Béziers, en juillet 1209
:arrow: La prise de Carcassonne, en août 1209.

Le peuple du midi n’est pas outre mesure effrayé par cette guerre qui s’annonce car il en a vu d’autre. Les luttes entre barons, avec sièges de villes et de forteresses, sont courantes à l’époque, et la crainte est traditionnellement l’apanage des populations. Pourtant l’armée qui arrive impressionne par sa taille et fait craindre des violences encore plus grandes.

L’ennemi à abattre n’est donc pas le comte de Toulouse, mais le vicomte de Béziers Raymond-Roger Trencavel, qui passe pour hérétique. Celui-ci est un jeune homme de vingt-quatre ans, très aimé de son peuple et décidé à se défendre. Ainsi, l’armée des Français met-elle le siège devant Béziers. La population, tant les catholiques que les hérétiques, est résolue à lutter. Les croisés le savent et n’escomptent pas faire la différence entre les uns et les autres. C’est là que le légat Arnaud-Amaury aurait prononcé sa phrase depuis passée à la postérité : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Ce mot, qui devait par la suite définir toute guerre menée à des fins idéologiques, qu’il ait été prononcé ou non (un seul chroniqueur en parle) n’en traduit pas moins l’esprit avec lequel les croisés ont traité les habitants. Peu importe que ceux-ci soient cathares ou catholiques. Tous morts, les meilleurs sauront bien s’en tirer face à leur Créateur ! Prise par surprise, le massacre est en effet épouvantable, y compris contre les femmes, les enfants, les vieillards.

Puis la guerre se poursuit. Le vicomte Raymond-Roger s’est retiré avec le gros de ses forces à Carcassonne, sa capitale. Là, l’affaire est plus difficile et le siège s’éternise pendant des mois. Mais à bout de force, les assiégés doivent finalement négocier. Confiant, Raymond-Roger va en personne traiter avec ses ennemis. Comme il s’obstine à refuser des conditions jugées trop dures, il est retenu sur place et jeter en prison. Mis aux fers, il n’est même pas traité conformément à son rang par ses pairs, tant est grande la haine contre les hérétiques. Finalement, Carcassonne se rend, mais cette fois-ci les habitants ont la possibilité de quitter la ville en abandonnant tous leurs biens.

L’Eglise voudrait bien que les chefs croisés, forts de leur victoire, continuent jusqu’au bout la chasse aux hérétiques. Mais ils demeurent scrupuleux et préfèrent en rester là, essentiellement par souci de ne pas empiéter sur les droits du roi d’Aragon qui a des vassaux dans le pays. Aussi préfère-t-elle s’adresser à un petit seigneur possessionné dans le bassin parisien, comte de Leicester, Simon de Montfort. Celui-ci, qui n’est rien au départ, n’a rien à perdre et fera tout pour acquérir gloire et renommée.

II. L’épopée de Simon de Montfort.

Ambitieux et avide, Simon de Montfort engage la lutte contre les Occitans, officiellement contre les hérétiques et tous ceux qui les favoriseront, qu’ils soient cathares ou non. Il se proclame ainsi « soldat du Christ » et se veut patronné par Rome. En fait, il travaille surtout pour lui-même et cherche à se tailler une principauté. Il a avec lui ses fidèles chevaliers, ses vassaux, fer de lance de son armée, auxquels s’ajoutent des « pèlerins » et des routiers beaucoup moins sûrs. Bien sûr, il recherche l’appui des seigneurs locaux mais il s’en méfie et établira toujours une scission bien nette entre les seigneurs du nord et ceux du Languedoc qu’il tient en faible estime. En cela, il se montre bien piètre politique et ne parviendra qu’à se faire haïr des habitants. Précisément, il imposera l’allégeance à sa personne aux nobles locaux, tiendra pour traître ceux qui décideront de s’y soustraire et les fera tuer (alors qu’ils n’étaient fidèles que par contrainte !).

Sur ce, il commence la conquête du pays, avec force massacres et destructions surtout pour les hérétiques. Il n’a que peu d’alliés, Raymond VI étant alors très peu sûr. Au préalable, il s’arrange pour que meurt le vicomte Raymond-Roger, car, estime-t-il, c’est une condition nécessaire à son entreprise. Celui-ci meurt dans sa prison, probablement de façon non naturelle. Montfort devient alors le nouveau vicomte de Béziers.

Raymond VI finit alors par tourner casaque et à renier ses engagements envers l’Eglise. Celle-ci l’excommunie en 1211. Après Raymond Roger, il faut donc que Monfort abatte le comte de Toulouse. La guerre sévit entre les deux chefs. Raymond VI a fort à faire notamment avec l’évêque de Toulouse, Foulque, un fanatique acharné à détruire les hérétiques et qui fait tout pour soustraire ses diocésains à l’autorité du comte.

Malgré toutes les victoires remportées sur son adversaire, Simon de Montfort ne parvient pas à réduire tout le Languedoc resté favorable à son comte. Ce dernier finit par se réfugier chez le roi d’Aragon, un colosse du nom de Pierre II. Jadis, les rois d’Aragon étaient les grands ennemis des comtes de Toulouse dans le Midi. A présent, la situation a changé car Pierre II se veut solidaire de Raymond VI face à tous les seigneurs du nord. Il conclut une alliance avec lui et, avec toute son armée, marche sur Simon de Montfort. Celui-ci est terrifié car ses forces sont très insuffisantes face à celles de ses ennemis.

C’est la bataille de Muret, en 1213, qui voit le Midi affronter le Nord. Malgré les conseils de Raymond VI qui connaissait son ennemi, savait qu’il attaquerait hardiment et prévoyait simplement de l’attendre, Pierre II, imbu de lui-même, rêve dans découdre dans une grande bataille rangée où pense-t-il ses forces auront raison d’un adversaire inférieur en nombre. Mais les chevaliers français de Simon prennent l’avantage. La bataille est un désastre pour les deux alliés du Sud, lors duquel Pierre II trouve la mort. Raymond VI n’a même pas eu le loisir d’engager ses troupes. En fait, mêmes celles-ci se font massacrer et le comte doit s’enfuir. Fort de cette très grande victoire, Simon de Montfort est auréolé d’un immense prestige dans toute la chrétienté, surtout aux yeux de l’Eglise.

S’ouvre alors en novembre 1215 le concile de Latran, véritable conférence internationale qui doit surtout s’occuper du problème de l’hérésie. Raymond VI y est mis en position d’accusé. Plaide pour lui son vassal, le comte de Foix Raymond-Roger. Dans le camp adverse, Guy de Montfort représente son frère. Habilement, le comte de Toulouse tente de faire passer la croisade comme une entreprise de banditisme, mais se garde bien d’attaquer l’Eglise. Finalement, le concile donne raison à Simon de Montfort qu’il institue maître des terres conquises et sanctifie la guerre des « soldats du Christ ». Le roi de France Philippe Auguste suit les décisions de l’Eglise en l’investissant comte de Toulouse. Mais Simon s’oppose au légat Arnaud Amaury, devenu entre-temps archevêque de Narbonne. Ce dernier, qui à l’origine avait tant lutté contre l’hérésie, fera tout pour défendre sa ville de Narbonne contre l’avidité de Simon.

Pour complaire à Rome, Raymond VI abdique en faveur de son fils qui règne alors sous le nom de Raymond VII. En fait, ce n’est qu’un leurre car ce dernier, encore adolescent, est entièrement dévoué à son père.

La guerre continue entre le comte de Toulouse et le vicomte de Béziers Simon. Succès et échec alternent dans les deux camps. Finalement, Simon de Montfort met le siège devant Toulouse pour la troisième fois. Au cours d’un engagement, il trouve la mort, en juin 1217, la tête fracassée par une pierre lancée par une machine maniée par des femmes ! Tout le Languedoc est fou de joie. Lui succède son fils Amaury de Montfort, lequel, comme tout fils de dictateur, ne provoque ni la crainte de ses ennemis, ni la confiance de ses amis.

L’Eglise perd ainsi un vigoureux soldat, pratiquement invaincu pendant quinze ans. L’hérésie étant encore loin d’être éradiquée dans le Midi, il lui faut trouver un remplaçant à Montfort. Elle va le trouver en la personne d’un souverain bien plus puissant et qui dispose d’un très fort charisme dans toute la chrétienté.


III. L’entrée en scène du roi de France.

C’est le Pape Honorius III, successeur de Innocent III, qui négocie l’affaire avec le roi très chrétien, en l’occurrence Louis VIII.

Entre les deux personnages, il s’agit surtout d’un mariage de raison plus que d’amour. Certes, le grand ennemi du Pape est encore à l’époque l’empereur du Saint Empire. Mais le temps n’est pas si loin où le roi de France va se substituer à celui-ci comme adversaire de Rome. Après le règne de Saint Louis qui sera pour Rome un roi selon son cœur, régnera l’affreux Philippe le Bel qui finira par arrêter le Pape (attentat d’Anagni). Aussi, l’évêque de Rome, pour l’heure, ne tient-il pas trop à ce que la France soit trop puissante et voit d’un assez mauvais œil sa volonté d’expansion. Mais il n’en a pas moins besoin de lui pour mettre fin à l’hérésie cathare. De son côté, ce qui intéresse le roi de France, c’est s’annexer le Midi toulousain, l’hérésie il s’en fiche un peu. Aussi, les deux compères s’associent-t-ils liés par la même volonté de lutte contre le comte de Toulouse, mais avec des arrière-pensées très différentes.

Philippe Auguste, qui se souciait peu du problème de l’hérésie, s’est peu intéressé au Languedoc. Il avait déjà fort à faire avec les Plantagenets et l’Angleterre. Mais son fils, le Dauphin Louis, avec sa permission est parti dans le Midi soutenir Simon de Montfort. Il a aidé ce dernier à prendre possession de la grande ville de Toulouse en 1215, légitimant son action. Après la mort de Simon, devenu le roi Louis VIII en 1223, il est revenu dans le pays avec une forte armée et a eu alors la main lourde. Ainsi laissa-t-il faire le massacre de Marmande lequel fait tristement pendant à celui de Béziers.

A la mort de Louis VIII en 1226, son fils Louis IX, le futur Saint Louis, n’est encore qu’un enfant. Aussi, sa mère Blanche de Castille exerce la régence en son nom. Or, c’est une femme de caractère qui sait le pouvoir royal très faible face aux grands barons. Déterminée à annexer le Languedoc, elle poursuit l’œuvre entreprise par son défunt mari. Las d’un conflit qui s’éternise et affaiblit son pays, Raymond VII consent à traiter. Son père Raymond VI était mort entre-temps, en 1222 à l’âge de soixante-six ans, toujours excommunié. Le nouveau comte cède en toutes choses à la redoutable régente. Celle-ci, femme qu’elle était, allait toujours jusqu’au bout de ses initiatives qu’elle accomplissait avec la dernière énergie. Avec un homme, même avec un roi de la trempe de Philippe Auguste, il y aurait toujours eu moyen de discuter, d’ergoter, de telles personnalités ayant toujours le désir de ménager l’adversaire par souci politique. Pas avec Blanche. Elle a certes de bonnes raisons pour cela. Outre sa faiblesse qui la caractérise en tant que femme, elle n’est jamais que régente. Son fils, tout jeune, est encore loin d’en imposer aux féodaux. Il lui faut donc frapper dur et fort. Aussi son action contre le Midi vise-t-elle tout particulièrement à faire un exemple et à frapper les esprits de tous les puissants du royaume. En outre, elle est aussi très pieuse et veut absolument rétablir l’unité de l’Eglise.

Précisément, comme plus tard Anne d’Autriche, elle met elle aussi toute sa confiance dans un prêtre, en l’occurrence le légat Romain de Saint Ange. Décidé à combattre l’hérésie, celui-ci est résolu à mettre tous les moyens en œuvre pour l’éradiquer dans le Languedoc.

C’est ainsi que Raymond VII, véritablement convoqué, doit se rendre à Paris pour signer un traité avec Blanche et son fils. Là, il est pour ainsi dire mis en position d’accusé, absolument pas traité d’égal à égal. En fait, il n’est même pas sûr qu’il puisse repartir s’il refuse les conditions qui lui sont imposées.

Précisément, ces dernières sont très dures. C’est le traité de Meaux de 1229, conclu au début du règne de Saint Louis qui voit le pouvoir royal mettre la main sur le Midi. Le comte de Toulouse consent tout ce que l’on veut, décidément volontaire pour éviter à son pays de plus grands maux. En fait, il ne considère ce traité que comme un chiffon de papier qu’il a signé par contrainte et qu’il remettra en question quand il aura les mains plus libres. De toute façon, Blanche de Castille le retient encore prisonnier quelques jours, juste le temps de laisser les émissaires royaux arriver dans le Languedoc pour assurer l’exécution du traité.

Il est clair, du reste, que celui-ci est trop rigoureux car il suscite d’emblée l’opposition de la population. Les nobles, les bourgeois, tout le monde rechigne à suivre les injonctions de Paris. La chasse aux hérétiques n’en est pas facilitée d’autant, l’Eglise en est parfaitement consciente. Pour améliorer son action, elle ouvre un peu les soupapes et fait des concessions à Raymond VII en lui permettant par exemple des facilités de paiement concernant les dettes contractées envers elle. Mais cela n’est pas suffisant et Rome comprend qu’il faudra mettre en place des mesures policières efficaces pour lutter contre les cathares.



IV. La naissance de l’Inquisition.

Sous la main, elle a l’Ordre des frères prêcheurs, les dominicains. Son fondateur, Saint Dominique, est mort quelques années plus tôt. Il se trouve que les dominicains se sont signalés par un zèle religieux partout où ils étaient présents en Europe, pas seulement dans le Languedoc. Leur action confine réellement au fanatisme où qu’ils soient, jusque dans leurs manières et leur attitude qui fait de leur Ordre une terrible force occulte, sorte de « Ku Klux Klan » légal, dans les endroits où il opère. Avec des gars pareils, on comprend que le pape ait été confiant dans la répression de l’hérésie !

Les deux premiers inquisiteurs sont Pierre Seila et Guillaume Arnaud. Ils font régner la terreur dans tout le Languedoc, organisant partout où ils vont procès et bûchers. Même le fait de ne pas dénoncer des hérétiques peut encourir leur anathème. Après une période de grâce lors de laquelle les prévenus sont tenus de se dénoncer eux-mêmes, ces derniers, s’ils ne l’ont pas fait, sont convoqués, voire arrêtées. Certains viennent spontanément faire des aveux pour des pêchés véniels pour éviter d’être accusés pour des fautes encore pus grandes.

Face à cette action répressive, la résistance du pays s’organise. Des inquisiteurs sont massacrés, des couvents de frères prêcheurs saccagés. Surtout, le centre de la résistance cathare se concentre dans le château de Montségur. Celui-ci, situé loin des routes fréquentées, n’a aucun caractère stratégique et n’a pas suscité d’attaques de la part des Français. Il appartient au baron Raymond de Perella. Là sont venus se réfugier tous les hérétiques pourchassés par l’Inquisition. C’est presque devenu un lieu de pèlerinage. Des armes y ont été entreposées par les soins de chevaliers dévoués à la religion persécutée. Le lieu, haut perché, est très difficile d’accès et aisément défendable. Son seul défaut est qu’il ne permet pas à la forteresse d’être très étendue et que ses murs étroits ne peuvent contenir qu’un petit nombre de défenseurs. Pour les ennemis de l’hérésie, il est bien le quartier général de la résistance cathare.

Face à la présence toujours plus envahissante des représentants du roi, les Occitans se rebellent. Plusieurs vassaux du comte de Toulouse prennent les armes pour libérer leur pays des troupes françaises et triomphent un temps dans quelques villes. Mais ils sont finalement vaincus par les troupes royales et les villes qui n’ont pris parti pour eux sont châtiées.

Le comte de Toulouse s’est bien gardé de soutenir la révolte sachant pertinemment qu’elle ne pouvait être que vouée à l’échec. Sa conduite est cependant jugée équivoque par le gouvernement royal. En fait, Raymond VII escompte bien libérer le Languedoc mais il attend son heure. Il a des vues bien plus larges que celles caractérisant ces révoltés, lesquels ne représentent qu’un coup d’épingle donné au géant français. Lui ne veut opérer que dans le cadre d’une coalition plus vaste contre le roi de France. Pour ce faire, il commence par répudier sa femme qui ne lui donnait pas le fils voulu, avant de se chercher une nouvelle épouse parmi ses voisins susceptibles de devenir ses alliés, en vain cependant.

Malgré tout, allié à Hugues de Lusignan, au comte de Provence, au roi d’Aragon Jacques 1er, au roi d’Angleterre Henri III, Raymond VII déclare la guerre au roi de France en 1243. Les hostilités commencent à la suite d’un massacre opéré à Avignonet contre les inquisiteurs, lors duquel le grand inquisiteur Guillaume-Arnaud trouve la mort. Mais si dans la coalition, Raymond VII est le membre le plus motivé à gagner la guerre c’est aussi le plus faible car ses alliés n’ont pas les mêmes motivations pour abattre la France. Ses vassaux ne sont pas sûrs et comme il n’a pas de fils susceptible de lui succéder on le considère comme un homme sans avenir. Surtout la rapidité avec laquelle Louis IX réagit contre Lusignan et Henri III sonne le glas de la coalition. Raymond VII est finalement vaincu et doit traiter avec le roi. Sous l’influence de sa mère Blanche de Castille celui-ci sait se montrer plus modéré que lors du traité de Meaux.

Ce qui compte essentiellement pour Blanche est la répression de l’hérésie. Au moins, Raymond VII exige de s’en charger lui-même et que l’on supprime l’Inquisition dans ses domaines. L’Ordre des Dominicains demandait lui-même au Pape d’être déchargé de cette tâche, en ayant marre d’être constamment attaqués par les habitants. Ses chefs les plus intrépides, cependant, s’y refusaient et n’en étaient que plus galvanisés par le martyr de Guillaume-Arnaud. Puisque de toute façon la France avait gagné, ils jugeaient propice la poursuite de leur œuvre dans le Languedoc.

En fin de compte, les Français se résolvent à en finir une bonne fois pour toute avec le château de Montségur et une armée commandée par Hugues des Arcis s'avancent vers celui-ci. Malgré l'écrasante supériorité numérique des croisés, les assiégés tiennent bon pendant quelque temps. Il est très difficile d'investir totalement la forteresse, située en pleine montagne et difficile d'accès. Le seul moyen de la prendre, pourtant, est de l'isoler et de contraindre par la faim ses habitants à se rendre. Mais il est impossible de couper toutes les communications, et des contacts permettent aux réfugiés d'obtenir des secours de l'extérieur. Malgré tout, les croisés finissent par prendre pied sur une élévation et à y placer là des catapultes ce qui les met au même niveau que le château. Après un long siège, les défenseurs acceptent de négocier. En raison de leur courage, ils obtiennent des conditions relativement honorables. Ceux qui ont eu partie liée dans le massacre d'Avignonet obtiennent de ne pas être inquiétés. Mais ceux des hérétiques qui refuseront d'abjurer leur foi devront être livrés au bûcher. Ainsi, deux-cent parfaits, ne voulant renoncer à leurs convictions, périront dans les flammes au pied du château, en un lieu appelé aujourd'hui le champ des « Cramatchs » (ou crémats, brûlés).


Avant la croisade des Albigeois, existaient des évêques pour s’opposer à la violence, aux bûchers, contre les hérétiques, « frères égarées ». Il n’en existait plus à partir du XIIIe siècle, et même un esprit comme St Thomas d’Aquin pouvait approuver de telles méthodes ! Si L’Eglise en sévissant ainsi a peut-être épargné à la chrétienté des troubles graves, voire la ruine de l’édifice sociale, ce fut au prix d’une capitulation morale dont elle a pâti jusqu’à nos jours.

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 17 Avr 2020 13:04 
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Je crois que cette dame n'a pas compris la mentalité de l'époque et que l'Inquisition était loin d'être aussi terrible, qu'elle représentait même un progrès par rapport à ce qui ce faisait avant.

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Message Publié : 17 Avr 2020 15:44 
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Jean Froissart
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Inscription : 29 Jan 2007 8:51
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Effectivement elle n'est pas historienne même si elle s'est intéressée à cette période des cathares, à travers ses romans...

Voila d'ailleurs la critique lors de sa sortie en 1954 par une historienne dans la Revue de l'Histoire de l'Eglise de France. Elle rappelle bien toutes les insuffisances sur la méthode d'une non historienne.

https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1964_num_50_147_1734_t1_0154_0000_2

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Message Publié : 17 Avr 2020 16:16 
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Le texte est dur, mais totalement justifié. Le livre de madame Oldenbourg fait beaucoup pour perpétuer les fausses représentations sur le Moyen-Age.

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