Il y a une conjonction de facteurs.
L'an mil avait vu le grand encellulement de la population, rassemblée dans des villages en pierre autour des églises et des cimetières. L'Eglise entreprend d'encadrer la société, en s'accaparant le mariage, puis en édictant des règles de toute nature : interdits alimentaires variables suivant le calendrier, jours de pénitence... Et bien sûr, pour ses bons offices, elle lève la dîme. De son côté, les chevaliers, et plus généralement la noblesse, dominent également la société en rendant la justice, en empêchant les serfs de se déplacer, et en obligeant à recourir aux équipements communs : fours, moulins... contre redevance, évidemment.
Tout cela ne fait pas que des heureux. De plus, en 1250, on est encore dans le "Beau Moyen Age", le petit Age glaciaire va bientôt arriver. La population européenne, française notamment, est nombreuse. Beaucoup de gens pensent à autre chose qu'à assurer leur survie et se prennent à rêver d'un avenir meilleur. Les revendications sociales se traduisent en terme religieux. A la société médiévale vue comme oppressante, les mécontents, opposent un "Ailleurs" où l'herbe est plus verte et le paradis plus proche. Ces mécontents sont appelés "pastoureaux" c'est-à-dire pâtres, bergers, afin d'exprimer leur humble extraction. Ce doit être avant tout des paysans sans terre ayant quitté leur travail; des gens "en rupture de ban", le territoire sur lequel il devait payer les impôts à leur seigneur (la "banlieue"). Si ce sont des serfs, cela constitue déjà un délit, d'où leurs agissements à la limite du brigandage : ils n'ont plus rien à perdre et de toutes façons, ils oeuvrent à leur salut.
Pour ces gens qui ont passé le plus clair de leur existence à moins de 15 kilomètres de leur lieu de naissance, tout déplacement est un événement et toute ville rencontrée est prise pour Jérusalem. Faute d'Infidèles à combattre, on se rabat sur les Juifs qui ont l'avantage d'être désarmés
Comme les croisades ont déjà 100 ans, la vie politique fournit des épisodes immédiats pour construire les rêves, comme la déroute de Saint Louis en Egypte. D'où l'idée de libérer le roi. Pourquoi la reine mère les reçoit-elle favorablement ? Tout simplement parce que c'est la preuve que son fils est populaire. De plus, les souverains répondent en général favorablement aux revendications sociales : avant la révolution française, les mouvements sociaux ne sont jamais dirigés contre eux, mais contre les corps intermédiaires qui sont aux contacts des mécontents et lèvent l'impôt sur eux. Rappelons que le roi n'a pas encore mis en place d'impôt permanent. Ainsi, il peut cultiver son image de recours face à l'oppression de proximité.
Quelles déprédations allaient commettre ces exaltés ? Je pense que pour Blanche de Castille, du moment qu'ils quittaient le domaine royal, ce n'était plus son problème. Il est facile de deviner ce qu'ils sont devenus : sans encadrement, en butte aux exactions des bandits et aux représailles des seigneurs et des milices municipales qui voyaient les terres ravagées, ils ont finis par se disperser en petits groupes dont certains ont dû être traités comme des bandits. Une bonne parttie a dû se fondre dans les régions traversées.
Plus tard, comme l'idéal de la croisade s'estompe, les mouvements sociaux se traduiront plutôt par des hérésies : 1250 est l'année de naissance de Fra Dolcino.