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L'or des Amériques n'aurait jamais enrichi l'Europe, en particulier l'Espagne .[…] Et au pire cet or aurait été source de conflits et de guerres , depuis les navires corsaires chargés de dévaliser les navires espagnols jusqu'aux guerres territoriales sur le sol européen.
L'Espagne n'aurait jamais développé des manufactures sur son territoire se contentant avec sa rente aurifère d'importer de nombreux produits.
Vous reprenez une analyse qui a hanté les manuels pendant des décennies : l’or espagnol (qui était plutôt de l’argent d’ailleurs) n’a fait que passer en Espagne, transformant les Espagnols en rentiers, important des produits de luxe, ou se perdant dans les armées des Flandres.
Ce n’est pas faux, plutôt simpliste, car la réalité est plus complexe, et tient plus dans la désastreuse politique financière de Charles Quint et surtout de Philippe II, que dans l’afflux "mécanique" du métal américain en lui-même.
Le marché américain, qui manquait de tout, a d’abord donné un coup de fouet aux activités industrielles et commerciales de la Castille, même les gentilshommes y participant malgré les interdictions; devant cette demande à laquelle ils ne peuvent pas répondre suffisamment, les Espagnols (aux Cortes en 1552 par exemple) demandent même l’ouverture des frontières aux produits et aux ouvriers étrangers ; des milliers de Français affluent, attirés par les hauts salaires.
Puis arrive l’opération de 1557 improprement appelée "banqueroute"(renouvelée plusieurs fois ensuite). Confronté à une situation financière catastrophique héritée de son père, le jeune Philippe II décide de transformer les créances de l’Etat en rentes à 5 %, les juros. Les Génois, principaux créanciers de l’Espagne sont furieux ; le roi qui ne peut s’en passer, leur accorde des mesures de compensation : il assouplit les "licencias de sacas", c’est-à-dire la possibilité d’exporter leurs bénéfices en espèces métalliques, ce qui était jusque là extrêmement contrôlé, pas impossible, mais les dérogations étaient accordées au compte-goutte. S'ajoutant à l'hémorragie de métal précieux qui commence seulement à ce moment, deux autres conséquences prévisibles et désastreuses pour l’économie castillane :
- Financière d’abord : les banquiers génois se débarrassent sur place de leurs juros, placements sûrs qui rencontrent un gros succès, et détournent la bourgeoisie et la noblesse espagnole des investissements productifs.
- Economique ensuite : comme les sorties d’espèces étaient interdites, les commerçants étrangers actifs en Espagne étaient obligés pour sortir leur bénéfices de transformer leurs espèces en produits espagnols exportables, créant ainsi une demande secondaire qui s’ajoutait à celle des colons américains ; avec la levée de cette interdiction, cette demande disparaît : la laine espagnole, par exemple, très prisée jusque là, est délaissée, d’autant plus que la rébellion des Pays-Bas coupe les producteurs d’un marché important, et rend aléatoire la navigation espagnole vers la Hanse. Artisanat et industrie commencent alors à péricliter.
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Au mieux il aurait créé une forte inflation, par un excès de masse monétaire sans véritable production de marchandises en face.
L’inflation est par contre un élément d’explication déterminant, bien que le phénomène ait concerné toute l’Europe : il y a en effet une spécificité espagnole : l’inflation y a été plus précoce, bien sûr, mais surtout, contrairement aux autres pays européens, en raison de la pénurie de MO, les salaires ont suivi en Espagne une courbe parallèle à celle des prix ; tant mieux pour les salariés, mais les profits des entrepreneurs y ont donc été moindres, limitant l’accumulation de capital qui a permis aux autres pays d’entrer dans le capitalisme.
Sources utilisées:
- Pierre Vilar: Une histoire en construction, Gallimard, 1982; oui, je sais, analyse marxiste... , alors pour équilibrer:
- Joseph Perez, L'Espagne de Philippe II, Fayard, 1999
- Fernand Braudel, la Méditerranée , LDP 1993