Enki-Ea a écrit :
Et qu'amène Crouzet comme preuve de cette soi-disant décision royale ? Ce que nous avons dit de Jouanna il y a de cela presque une année peut tout aussi bien s'appliquer à Crouzet. Pour quelle raison Catherine se tirerait une balle dans le pied et mettre toute son oeuvre de réconciliation en l'air en ordonnant l'assassinat de Coligny? D'ailleurs, c'est contradictoire avec ce que vous dites plus haut.
La contradiction de la politique royale et le retournement de la monarchie au soir du 23 août 1572 est le constat que fait chaque historien lorsqu'il aborde le sujet. C'est l'élément qui a intrigué tous les contemporains du massacre. C'est l'élément qui nous intrigue encore aujourd'hui et c 'est l'élément qui a intrigué tous les historiens qui depuis des siècles ont étudié le sujet. C'est d'ailleurs le constat de cette contradiction qui fournit la sempiternelle problématique :
Qu'est qui explique que la monarchie passe brutalement d'un désir d'union à une volonté de rompre et de détruire ?Dans un premier temps, les historiens demeurés sous l'influence des idées reçues, disaient que la monarchie avaient tendu un piège aux protestants pour les massacrer. Le discours d'apaisement de la monarchie n'était en réalité qu'un leurre et le soir du 23 août, le roi et la reine-mère dévoilèrent la monstruosité qui les possédait depuis toujours.
Dans un deuxième temps, les historiens dirent que Catherine de Médicis avait prémédité l'assassinat de Coligny par jalousie du pouvoir. Elle avait alors enclenché un massacre qu'elle n'avait pas forcément programmé mais dont elle tira tous les bénéfices. C'est la thèse que Garrisson a plus ou moins ressorti dans le courant des années 1980 et 1990 mais qu'elle a nuancé depuis.
Enfin, constatant qu'aucune de ses thèses ne constituaient une réponse suffisamment raisonnée, plusieurs historiens tentèrent dans les années 1990 et 2000 d'apporter une nouvelle réflexion. Parmi eux : Bourgeon, Wangefellen, Jouanna et enfin Crouzet.
Que dit Crouzet dans son livre sur Catherine de Médicis (qu'il reprend dans son dernier livre)? Il dit que :
Catherine de Médicis est une femme qui est d'abord déterminée à tout pour maintenir la paix.
Parce qu'elle est une femme (qu'elle est mère de plusieurs petits enfants) et qu'elle est nourrie de culture humaniste, elle a dans un premier temps (1559-1562) favorisé l'apaisement et prôné (malgré ses convictions religieuses)
la tolérance civile. Crouzet est très clair dessus :il s'agit d'une mesure provisoire que la monarchie doit maintenir jusqu'à l'apaisement des troubles et la réunion des deux religions (d'où le colloque de Poissy et le refus du Concile de Trente).
Au bout de deux ans, Catherine de Médicis constate l'échec de sa politique et retourne en quelques semaines sa position (durant les mois de juin et juillet 1562). Elle prend désormais le parti de la lutte intégrale et encourage les chefs de l'armée à éliminer le parti protestant. C'est la première contradiction et celle-ci se renouvellera trois fois avant celle de 1572.
Ce qui est intéressant avec Crouzet, c'est qu'il illustre particulièrement bien ces contradictions. Il cite notamment des lettres où quatre ans avant le massacre, Catherine de Médicis espère l'élimination de Coligny. Elle emploie alors des mots très méprisants à l'égard de la
charogne protestante. C'est très étonnant lorsque quelques années après elle change de ton et appelle à l'amour des cœurs ....
Ceci explique toute la polémique sur la personnalité de Catherine de Médicis. Vue en raccourci, elle apparaît de manière très terrifiante, mais si on considère que chaque politique correspond à un contexte et une situation bien particulier, on perçoit les choses de manière beaucoup plus raisonné.