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 Sujet du message : Le Grand Condé (Bernard Pujo)
Message Publié : 28 Jan 2023 14:08 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Je vous propose ce nouveau compte-rendu fait par mon ami Didier Lafargue du Grand Condé par Bernard Pujo aux éditions Albin Michel et paru en 1995.


Le Grand Condé
de Bernard Pujo
(Albin Michel, 1995)




Louis (II) de Bourbon est né à Paris en 1621. Il est le fils de Henri de Bourbon, prince de Condé, et de Charlotte de Montmorency, membre de la branche cadette des Bourbons, et donc descendant de Saint louis. Sa mère avait été remarqué par le roi Henri IV alors qu’elle avait seize ans. Séduit par sa beauté et peu heureux avec son épouse Marie de Médicis, le roi la maria avec un noble de sa suite bien plus âgé qu’elle, Henri de Bourbon, pensant ainsi se l’attacher plus facilement.
Après la mort d’Henri IV en 1610, Henri de Bourbon fut emprisonné sur ordre du ministre Concini à qui il s’était opposé. Assumant son rôle d’épouse, sa femme vint le rejoindre. Elle finit par lui donner deux enfants, Anne Geneviève et, deux ans plus tard, Louis de Bourbon, le futur Grand Condé.

I. La jeunesse de Condé.

Après la mort de Concini en 1617, Henri de Bourbon fut nommé gouverneur de Bourgogne par le jeune Louis XIII. Là, il éleva son fils, dans le château de Saint Maur. Il voulait l’éloigner de la déplorable influence de la cour, aussi de sa mère, et avait beaucoup d’ambition pour son fils. C’est là que ce dernier passa les premières années de sa vie. Pour lui, Henri de Bourbon ressuscita le titre de duc d’Enghien qu’avait porté l’un de ses oncles auparavant. Il connut peu sa mère qui venait simplement quelquefois pour l’embrasser avant de retourner vite à ses mondanités. Henri de Bourbon fut très exigeant envers son fils, prodigue en admonestations, avares de compliments. Il le fit éduquer au collège des jésuites. Le jeune Condé se montra là un excellent élève, connaissant très bien le latin, étant premier en rhétorique. Son précepteur fut le père Le pelletier. Misogyne, Henri de Bourbon écarta son fils de toute influence féminine ce qui fut source d’un manque dans la formation de son caractère. Cela se sentira plus tard.
Devenu adolescent, son père finit par le laisser aller à Paris où il eut l’occasion de mieux connaître sa mère. Dans le cercle mondain entourant celle-ci, il connut ses premières expériences amoureuses. Henri de Bourbon craignait que son fils soit trop influencé par sa mère. En fait, ce fut plutôt celle de sa sœur qui était à craindre. Le duc en effet s’entendait très bien avec Anne Geneviève de deux ans son aînée ; l’un et l’autre se voyaient comme des êtres d’exception. Le duc d’Enghien reçut un nouveau précepteur, le père Bruillier. Comme il était adolescent celui-ci lui laissa les coudées plus franches que le père Le Pelletier.

Sévissait alors la guerre de 30 ans et en 1635 la France entra en guerre contre l’Espagne. Henri de Bourbon fut appelé à servir comme général, mais il fut peu heureux dans les combats, ne connaissant que des échecs dans le Midi. Sur le plan militaire, c’était une nullité mais il savait se rattraper sur le plan politique en faisant endosser la responsabilité de ses défaites par ses subordonnés. Aussi resta-t-il bien en cours. Il était aussi très fort pour s’enrichir, accumuler les prébendes. Guignant l’héritage du ministre Richelieu, il réussit à fiancer son fils à la nièce de celui-ci, espérant que le cardinal lui lèguerait sa fortune. En fait, Richelieu ,qui n’était pas fou, ne lui en laissa qu’une partie au grand déplaisir du prince de Condé.

Lors d’un séjour à Paris, le jeune duc d’Enghien plut à son cousin Louis XIII qui lui confia le gouvernement de la Bourgogne par intérim tandis que son père était au combat. Louis de Bourbon s’acquitta bien de cette tâche, notamment en aidant les populations souffrant du passage des armées françaises, véritables nuisances pour la province. Surtout, il fut chargé d’accueillir le roi et Richelieu avec la cour alors qu’ils se rendaient dans le midi. Ceux-ci se déclarèrent enchantés du gouvernement de sa province et le déclarèrent à son père.

A l’âge de 19 ans, en 1641, il fut marié de force avec la nièce de Richelieu, Claire Clémence de Maillé-Brézé, ce dont il souffrit beaucoup car il ne l’aimait pas. C’était un laideron, qui plus est issu de la famille de Richelieu qu’il détestait depuis que celui-ci avait fait exécuter son oncle, frère de sa mère, le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc. Il voyait cela réellement comme une mésalliance, lui prince du sang avec une nièce de ce cardinal d’origine obscure. Surtout, il en aimait une autre, Marthe du Vigean, qu’il avait connue dans l’entourage de sa sœur. Bref, il tomba en dépression juste après le mariage et fut un moment malade. Il se remit mais fit tout pour éviter sa femme. Elle ne lui en donnera pas moins un fils en 1643, Henri Jules, lequel n’aura jamais l’envergure de son père.

En visite dans le midi, il fut désinvolte avec le frère de Richelieu dont celui-ci avait fait le primat des Gaules en s’abstenant de lui rendre visite alors qu’une brillante réception avait été préparée pour lui. C’était un affront pour le cardinal qui, furieux, lui ordonna de retourner voir son frère et de s’en retourner ensuite auprès de sa femme qu’il négligeait trop. De la dépendance envers son père, il était passé à celle envers Richelieu, était placé sous sa coupe. Il ne s’en soumit pas moins, se déclara toujours pour lui, car ce dernier, ayant décelé en lui des capacités extraordinaires, était décidé à favoriser sa carrière.

C’est ainsi qu’à l’âge de 18 ans, en 1640, il partit comme volontaire dans l’armée de Picardie, sous les ordres du Maréchal de La Meilleraye, qui était en train de conquérir l’Artois. Il eut pour la première fois l’occasion de connaître la vie des combats, de participer aux manœuvres, aux marches et contre marches, voire d’approcher les combats de près, ce dont il fut ravi. Il se révéla alors être un guerrier, apprit à prévoir, à voir ce qui était faisable ou non. Il eut notamment le spectacle de deux généraux qui s’opposaient ce qui naturellement nuisait à l’effort de guerre et faisait le jeu de l’ennemi ; il s’en souviendra plus tard. Il assista à la prise d’Arras.

Richelieu mourut en décembre 1642, ce qui rendait libre le duc d’Enghien. Lui succéda au pouvoir le cardinal de Mazarin avec qui le jeune homme s’entendit peu au départ à cause de problèmes de préséance. Entretemps, il avait été placé par son cousin Louis XIII à la tête de l’armée de Picardie, avec pour mentor le vieux et prudent maréchal de l’Hopital chargé de modérer sa fougue. Son principal lieutenant était Gassion. La France venait d’être défaite par l’Espagne à Honnecourt, dans le nord, et il fallait redresser la situation. A partir de la Belgique, les Espagnols menaçaient d’envahir le royaume, en commençant par prendre Arras, puis la place forte d’Andrecies. Si celle-ci tombait la route de Paris, par la vallée de l’Oise, était libre.

II. Condé, chef de guerre.

Le duc d’Enghien avait 21 ans et était général. Il commença d’abord par rassembler les troupes disséminées dans le pays. En face, les Espagnols étaient commandés par le duc de Mello, gouverneur des Pays-bas, secondé par Fontaine, capitaine des fameux Tercio, l’infanterie espagnole, et Beck. Finalement, Louis de Bourbon marcha sur la forteresse de Rocroi, assiégée par les Espagnols. Par une charge fulgurante, alors que sa gauche était battue et son centre sur le point de l’être, le duc, à la tête de sa cavalerie, prit l’ennemi à revers et le défit. Restaient les cinq escadrons de tercio. Après plusieurs assauts infructueux, il tourna les canons français vers eux et les écrasa. Sa victoire, le 19 mai 1643, marquait la fin du mythe de l’invincibilité espagnole.

Se refusant à revenir dans la capitale pour y recueillir les fruits de sa victoire, il demanda à ce que la campagne soit poursuivie pour battre le fer tant qu’il était chaud. Après moult hésitations à la cour, la régente Anne d’Autriche (Louis XIII était mort 6 mois après Richelieu) finit par le lui permettre et le duc d’Enghien s’empara de Thionville. Il demanda à ce que ses officiers soient récompensés, mais là il eut du mal à obtenir satisfaction car un clan s’était formé à la cour demandant à ce qu’on arrête la guerre.

Mazarin se méfiait de ce jeune général trop populaire, risquant de fait d’être un danger pour l’Etat. Pour cela, il hésitait à lui donner un commandement top important et le cantonna un temps aux seconds rôles. Il tenait surtout à faire l’équilibre entre les deux princes du sang, Louis de Bourbon et Gaston d’Orléans, le frère de feu Louis XIII.
Sur le Rhin, la situation était mauvaise. Le maréchal Guébriant venait d’être tué en Souabe par l’armée du duc de Lorraine commandée par Mercy ; son successeur, Rantzau, était prisonnier. Condé fut envoyé là-bas. Il fit sa jonction avec les troupes de Turenne. Celui-ci se mit sous ses ordres et les deux hommes s’entendirent très bien. Avec lui, le duc d’Enghien entreprit de conquérir toute la vallée du Rhin. Ils furent victorieux au siège de Fribourg, puis conquirent toute la rive gauche du fleuve, le palatinat. Le duc revint ensuite à Paris. Ses contacts avec sa femme étaient cordiaux mais froids. Il préférait vivre son amour avec Marthe du Vigean, laquelle, très chaste, ne concevait qu’un amour platonique. Elle finira finalement par rentrer dans les ordres, à la grande tristesse de son amoureux.

Tandis qu’il était dans la capitale, Turenne se fit battre par Mercy et ses Bavarois. Il parvint à rameuter ses troupes. Le duc d’Enghien vint le rejoindre et une nouvelle fois fit sa jonction avec lui. Ensemble, ils s’avancèrent dans la vallée du Neckar, prirent Rothenburg, et s’avancèrent vers le Danube. Là ils furent victorieux de Mercy, lequel mourut dans la bataille, à Nördlingen, en août 1645. L’armée bavaroise s’était échappée mais comme leur général était mort, l’électeur Maximilien de Bavière consentit à traiter. Pas l’empereur, cependant. Condé avait alors 24 ans.
Louis de Bourbon fut ensuite envoyé en Flandre aider Gaston d’Orléans. Mazarin le mit exprès sous les ordres de son cousin qu’il savait peu doué pour les choses militaires car il pensait ainsi que les deux hommes se neutraliseraient l’un l’autre. Effectivement, Gaston d’Orléans, homme léger, n’avait pas les qualités militaires du duc. Malgré tout, les deux hommes arrivaient à s’accorder, au grand déplaisir du cardinal d’ailleurs qui estimait que ces deux-là s’entendaient trop bien. Le duc d’Enghien se mit sans problème sous les ordres de Gaston. Quand par exemple, il voulut aller prendre Tournai faiblement tenu par les Espagnols, discipliné, il refusa de faire cavalier seul et accepta d’aller prendre Courtrai avec son chef. Puis Gaston d’Orléans rentra à Paris et laissa le duc aller prendre Dunkerque.

Le prince de Condé voulait que son fils s’intéressa moins à la guerre et rentra à Paris pour l’aider à acquérir des avantages financiers ou territoriaux pour sa famille. Il fit pour lui le siège de Mazarin et finit par obtenir pour son fils le gouvernement de la Champagne. Finalement, il mourut en décembre 1646, à l’âge de 58 ans. Il avait été un piètre militaire mais un bon administrateur dans le gouvernement de sa province. Surtout, il était très fort pour acquérir des prébendes et accroître sa fortune. Le duc d’Enghien devint ipso facto le 4ème prince de Condé. Il acquit une immense fortune et remplaça son père à la tête du Conseil de régence.

Le nouveau prince de Condé fut alors envoyé par Mazarin en Catalogne, l’un des royaumes d’Espagne auquel la France avait enlevé la Cerdagne et le Roussillon après le siège de Perpignan. Les Catalans étaient alors en mauvais terme avec la couronne d’Espagne à qui ils refusaient de payer l’impôt et offrirent la couronne ducale au roi de France. Deux généraux français s’étaient fait battre dans le pays. Condé arriva, réorganisa les troupes puis tenta de mener le difficile siège de Lérida. Mais il fut contraint de le lever devant l’arrivée d’une armée espagnole de secours. Après des marches et des contremarches, il surprit celle-ci et la défit. Puis il imposa la domination française à la Catalogne ce qui eut pour effet d’aider les négociations qui s’étaient ouvertes et rentra en France. Malheureusement, les Catalans, versatiles, tendaient à présent à se rebeller contre les Français qu’ils jugeaient trop durs. De toute façon, le pays était juste un moyen de négociation pour Mazarin.

Condé fut ensuite envoyé en Flandres où les Espagnols avaient repris l’offensive. Il avait pour lieutenant deux hommes qu’il estimait médiocrement, Rantzau, gouverneur de Dunkerque, Palluault, gouverneur de Courtrai. Condé s’empare d’Ypres, après un siège en règle. Mais son ennemi, l’archiduc Léopold, prit par surprise Courtrai. Puis il s’avança vers Landrecies et s’empara de Lens que les Français avaient réussi à prendre l’an passé. Condé renforça ses troupes, le rejoignit et décida de lui livrer bataille devant la ville. Comme les troupes de Léopold étaient très bien retranchées, il ne put les attaquer. Aussi, Condé recourut à une ruse de guerre : il fit semblant de faire retraite, incitant les Espagnols à l’attaquer. Cela marcha et Condé, bien que blessé, remporta la victoire de Lens. Il venait d’avoir 27 ans !

Jusqu’alors, si l’on excepte son échec devant Lérida, il n’a eu que des victoires. Il a sauvé la France à Rocroi, conquis la frontière du Rhin à Fribourg, détruit l’armée bavaroise à Nördlingen, anéanti les Espagnols à Lens. A chaque fois, il surprenait son ennemi par son audace, se mettait à la tête de la cavalerie quitte à se faire tuer. Mais il réussissait toujours, ce qui rehaussait son prestige. Jeune général, il jouissait vraiment de la « félicitas », était le « chéri des dieux » comme le disaient les Romains. Pourtant physiquement, il n’était pas très beau, était de taille moyenne, avait un nez aquilin. Seuls frappaient ses yeux vifs. Il avait aussi un grave défaut : la raillerie, ce qui lui vaudra d’avoir beaucoup d’ennemis.
Il va à présent se trouver confronté à des événements d’une toute autre nature, et qui ont pour nom : La Fronde.

III. Condé dans l’arène politique.

Condé n’aimait pas la politique, « des embrouilles » comme il disait. Il préférait la vie à la tête de son armée.
La Fronde avait pour origine le mécontentement des populations toujours obligés de payer énormément d’impôts pour financer une guerre qui n’en finissait pas. Les premiers à se rebeller, contre la régente Anne d’Autriche et surtout son ministre Mazarin, furent les parlementaires, dirigés par le conseiller Broussel. Condé fut ainsi rappeler à Paris pour servir d’ « épée », de protection. En effet, le peuple de Paris s’était soulevé contre Mazarin. Louis de Bourbon conseilla à ce dernier de concentrer dans Paris des forces armées puis de réprimer cette révolte. Mais le ministre préféra quitter la capitale pour se réfugier, avec la régente et le jeune roi, à Saint Germain en Laye. En même temps, il donna à Condé une petite armée afin qu’il fasse le blocus de la ville. Ses troupes peu nombreuses, le prince ne put que contrôler les routes menant à la capitale, affamant ainsi ses habitants. Condé fut ulcéré d’apprendre que son frère et sa sœur avaient pris parti pour la Fronde. Les parlementaires les plus modérés vinrent alors solliciter la paix avec le cardinal. Celui-ci fit des promesses qu’il ne pouvait tenir et conclut avec eux la paix de Rueil. Mais rien n’était résolu. Par ailleurs, Turenne, à la tête de ses reitres allemands, menaçaient lui aussi de se rebeller. A la demande de Mazarin, Condé accepta de donner de l’argent au banquier strasbourgeois Hagworth pour que celui-ci achète les soldats de Turenne et ainsi fasse avorter sa rébellion.

Condé fut chaleureusement remercié par Anne d’Autriche pour ses services ; un mois plus tard, elle le faisait arrêter !
En effet, entre Condé et Mazarin, le courant ne passait pas. Lui, prince du sang, méprisait ce petit parvenu italien. Il estimait qu’il était mieux habilité que lui pour gouverner la France. Il lui reprochait aussi de ne pas savoir terminer la guerre avec l’Espagne. De son côté, Mazarin détestait ce prince arrogant, le soupçonnait de vouloir devenir roi de France à la place de Louis XIV. Condé ne demandait aucun avantage ou honneur pour lui, seulement pour ses lieutenants qui l’avaient bien servi à la guerre. Mais Mazarin s’y refusait car il ne voulait pas que le prince se constitue un parti trop important à la cour. Dans plusieurs affaires impliquant des proches, les deux hommes s’opposaient. Mais contre le retors et politique Mazarin, le prince n’allait pas faire le poids. Déjà, le ministre l’avait fait détester de la population parisienne en lui ordonnant de faire le blocus de la ville. Il s’employait à présent à le brouiller le plus possible avec les factions de la Fronde.
Finalement, il le fit arrêter par la régente, lui, son frère le prince de Conti, son beau-frère le duc de Longueville.

Condé passa ainsi plus d’un an emprisonné d’abord au château de Vincennes puis à la citadelle du Havre. Ce fut une erreur de la part de Mazarin car l’arrestation des princes provoqua un rebondissement de la Fronde, la fronde des princes qui s’allia avec la fronde parlementaire, entraîna avec elle le soulèvement de plusieurs provinces, menaça de s’allier avec l’ennemi espagnol. C’est ainsi qu’Anne Geneviève, duchesse de Longueville et sœur de Condé, après une véritable Odyssée rejoignit Turenne à Stenay sur la Meuse et conclut, de concert avec lui, une alliance avec l’Espagne. De son côté, Claire Clémence, épouse du prince, gagna Bordeaux en pleine rébellion (« l’Ormée ») et prit la tête d’une petite armée. Contre ces deux dangers, Mazarin réagit. D’abord, il négocia avec les rebelles bordelais une paix très généreuse, puis se tourna vers Turenne et le battit à Rethel, sur l’Aisne. Malgré tout, il était très impopulaire. Aussi, conformément à un plan concocté avec la reine, il choisit de s’exiler chez l’électeur de Cologne pendant presque un an, escomptant par son départ apparent dissocier la coalition des rebelles qui ne tenait que par leur haine envers lui. Avant cela, il fit libérer les princes, dont Condé.

Ce dernier revenait à Paris apparemment triomphant. En fait, après un an passé en prison, il n’était plus le même. Si son frère et son beau-frère s’étaient alors laissé aller à la morosité, lui était resté énergique, se tenant informé de ce qui se passait dans le royaume. Encore loyal envers le roi malgré tout, il désamorça dès son retour les traités d’alliance avec l’Espagne conclus par sa femme et sa sœur.

La régente Anne d’Autriche, conseiller de loin par Mazarin, tenta de gouverner comme elle put en manœuvrant entre les diverses factions de la Fronde. Son but était de tenir bon jusqu’à la majorité de son fils Louis XIV qui aurait bientôt treize ans. C’est ainsi qu’elle fit entrer quelques partisans de Condé, Chavigny, le chancelier Séguier, dans son conseil pour se concilier le prince. Finalement, Louis XIV fut proclamé majeur en septembre 1651 lors d’une cérémonie où Condé fut le seul grand absent. Ce jour-là, la reine annonça que les décisions prises par Mazarin seraient appliquées. Pour le prince, cette déclaration ne signifiait qu’une chose, le retour du ministre, son ennemi juré. Il décida alors d’entrer en rébellion contre son roi !
Condé avait alors trente ans. Depuis sa libération, il était dans un état second. Il n’avait pas compris comment lui, serviteur fidèle du royaume, avait pu être traité de la sorte. Il était nerveux, avait peur d’être arrêté une nouvelle fois. Tout ceci explique une rébellion qui allait durer huit ans.

IV. Entrée en rébellion et combat au service de l’Espagne.

D’abord, il se rendit à Bordeaux où il fut accueilli en triomphe. Puis laissant la ville sous la direction de son frère, avec quelques compagnons, sans arrêter de chevaucher, il entreprit un périple à travers le royaume. Rejoignant ses partisans, il prit la direction de Paris. Acculés aux murs de la capitale, il fit front contre les troupes commandées par Turenne, désormais rallié au pouvoir royal et qui va dès lors être son principal ennemi. Gaston d’Orléans, lui aussi frondeur, s’était réfugié dans sa demeure soi-disant malade. Il autorisa cependant sa fille la duchesse de Montpensier, la grande Mademoiselle, à ouvrir la porte Saint Antoine pour permettre aux blessés de l’armée de Condé de se réfugier dans la ville. En fait, c’est toute l’armée du prince qui entra à Paris et ainsi fut sauvée. La duchesse de Montpensier fit mieux : elle parvint à persuader le gouverneur de La Bastille de faire tirer le canon sur les troupes royales ! Mais, d’abord bien accueilli à Paris, Condé fut peu après victime d’un revirement de la population en faveur du roi et dut quitter la capitale.

Il gagna finalement le fond de la Champagne dont il se rendit maître. Il se comportait en prince indépendant, envoyait des ambassadeurs aux cours étrangères, à Londres auprès de Cromwell, surtout à la cour d’Espagne où son envoyé fut le comte de Fiesque. Le roi Philippe IV lui accorda le titre ronflant de « généralissime des armées d’Espagne ». Cela ne lui coûtait rien car, en fait, les Espagnols ne lui donnaient que de bonnes paroles. Ils ne l’aidaient pas militairement, très peu financièrement. Certes, ils profitaient des troubles du royaume pour reprendre l’initiative dans le nord. Mais ils étaient peu soucieux de favoriser Condé dans sa « principauté », seulement de consolider leurs possessions en Flandres et en Artois. Vite, du reste, Condé va se trouver en difficulté car les troupes royales vont s’avancer dans son territoire. Turenne va lui reprendre la plupart de ses places, notamment Sainte Menehould.

Condé s’en alla alors aux Pays-Bas rejoindre les Espagnols à Bruxelles où il fut bien accueilli. Ses deux interlocuteurs étaient l’archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas, et le comte de Fuensaldagna. Outre les Espagnols il pouvait aussi compter sur l’armée du duc de Lorraine, bien que celui-ci soit versatile. Condé ne se considérait pas comme un traitre mais comme un prince, sujet loyal de Louis XIV, voulant simplement chasser du royaume l’homme qui, selon lui, le gouvernait mal, Mazarin. Il voulait tenter de marcher sur Paris avec ses alliés étrangers en passant entre les forteresses royales. Mais les Espagnols n’avaient pas sa fougue et préféraient temporiser, tergiverser. C’est ainsi qu’il ne parvint pas à battre Turenne bien qu’au moins une occasion ait existé de le surprendre. Sa base de Stenay finit par être prise par les troupes royales.

A Paris, il a été déclaré traître et hors la loi par le pouvoir royal. Ses biens ont été confisqués, non aliénés définitivement cependant.
Turenne fit subir aux troupes de Condé et aux Espagnols un échec devant Arras. Mais par son audace, le prince parvint à sauver l’armée espagnole. Le gouvernement d’Espagne opéra alors un remaniement dans les Pays-bas. L’archiduc Léopold fut remplacé par Don Juan d’Autriche lequel avait pour adjoint le brillant Marquis de Caracena. Avec ces derniers, Condé s’entendit d’abord très bien. Ensemble, ils prirent Valenciennes aux troupes royales, vengeant l’échec d’Arras. Puis ils firent subir un nouvel échec à Turenne devant Cambrais. Mais alors, Condé tomba malade et fut cloué au lit par la fièvre pendant un moment.

Sur ces entrefaites, Mazarin réussi à obtenir l’alliance de l’Angleterre de Cromwell qui espérait obtenir Dunkerque sur le continent. Condé se rétablit et, conjointement avec Don Juan et Caracena dont il avait désapprouvé les plans, il fut battu par Turenne à la bataille des Dunes. Condé faillit même être capturé. Sur leur lancée, les Français s’emparèrent de Gravelines.
On s’acheminait vers la paix. Mazarin voulait marier le jeune Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse pour la consacrer. Du côté espagnol, on voulait faire la paix mais on avait un très fort sens de l’honneur, surtout le roi Philippe IV. Aussi ce dernier tenait-il absolument à ne pas laisser tomber Condé et à l’inclure dans le traité de paix. Ce fut finalement le traité des Pyrénées conclu entre la France et l’Espagne en 1659. Il fut décidé que Condé rentrerait en possessions de tous ses biens et titres, ainsi que ses affidés (non de leurs charges cependant). Il fallait seulement que le prince aille faire amende honorable devant le jeune Louis XIV.

Le prince quitta alors les Pays-Bas et rejoignit la cour du roi de France qui se tenait à Aix. L’entrevue avec la reine Anne d’Autriche et Louis XIV, celui-ci alors âgé de 21 ans, fut assez glaciale. Condé était absous, mais non pardonné. Pour cela il faudrait encore quelques années.

Il eut la joie d’apprendre la mort de son ennemi Mazarin en 1661. Louis XIV annonça tout à trac à ses courtisans qu’il ne prendrait aucun premier ministre pour le remplacer, se contentant seulement de trois conseillers dont Lionne et Fouquet. Surtout, il refusa de prendre aucun prince du sang dans son conseil, ce qui ôtait toute possibilité à Condé de participer au gouvernement. De fait, pendant un certain temps, le prince dut se contenter de ses fonctions honorifiques à la cour et se morfondre dans l’inaction. Surtout, il se débattait dans des problèmes inextricables d’argent car les Espagnols tardaient à lui donner ce qu’ils lui avaient promis. Or, il avait beaucoup de dettes.

Il avait besoin d’argent, car le prince avait de grands projets concernant son château de Chantilly. Il faisait restaurer celui-ci en même temps qu’il aménageait des jardins gigantesques, conformément à la volonté de grandeur qu’il estimait être l’apanage de sa qualité de prince du sang.
Un éclair arriva dans sa vie. La reine de Pologne Marie de Gonzague offrit à son fils Henri Jules d’être son successeur. La Pologne connaissait en effet de graves problèmes. Sur le plan intérieur, la royauté étant élective, le pays était en proie à l’anarchie, les luttes partisanes entre nobles. Sur le plan extérieur, il était attaqué par les Moscovites et les Suédois. Il fallait donc un homme fort à la tête du pays. Condé était ravie de voir sa Maison régner en Pologne bien sûr. Certains esprits en Pologne voulaient même que ce soit lui qui soit roi de Pologne, plutôt que son fils. Mais l’affaire finit par tomber à l’eau.


V. Condé, général de Louis XIV.

En effet, Condé devait bientôt être rappelé par Louis XIV qui allait avoir besoin de son épée. Le roi soleil avait le désir d’acquérir les Pays-Bas (l’actuelle Belgique) qui théoriquement aurait dû lui être cédé par l’Espagne en tant que dot de l’infante Marie-Thérèse, son épouse. Ce fut la guerre de dévolution (1667-1668), 1ère des guerres du règne de Louis XIV. Le roi chargea alors le prince de Condé d’allé conquérir la Franche-Comté. Ce fut pour lui une véritable promenade militaire. Toutes les places du pays furent occupées pratiquement sans coup férir. Cela fait, il rejoignit le roi en Flandres où Turenne tentait de conquérir les Pays-Bas. Las, une coalition de l’Angleterre, de l’Espagne et de l’empereur obligea Louis XIV à composer. Au cours des négociations de la paix d’Aix-la-Chapelle auxquelles participa le prince, le roi accepta de rendre la Franche-Comté à l’Espagne en échange de quelques places au sud de la Belgique.

Furieux contre la Hollande qui l’avait obligé à limiter ses projets de conquête aux Pays-Bas, Louis XIV se résolut à lui faire la guerre. La guerre de Hollande (1672-1678) fut préparée de manière très minutieuse et plus de cent-mille hommes furent rassemblés pour aller envahir le pays. Lui-même et Turenne prirent la tête de l’armée principale tandis qu’à Condé était donné le commandement d’une armée qui devait longer la Sambre. Le prince avait avec lui son fils et aussi son neveu le duc de Longueville, fils de sa sœur Anne Geneviève. Hélas, au cours d’un engagement contre des Hollandais (qui pourtant ne demandaient qu’à se rendre !), celui-ci, trop fougueux et imprudent, trouva la mort. Condé, qui à cheval tentait de le protéger, fut lui-même blessé d’une balle de mousquet au poignet, la plus grave blessure de sa carrière. Il fut immobilisé quelque temps, ce qui était fâcheux car, avec sa fougue et son audace habituelle, il s’apprêtait à prendre Amsterdam à la tête de sa cavalerie. L’offensive française en Hollande fut donc menée par le seul Turenne, qui était loin d’être aussi fougueux, et les opérations trainèrent. Guillaume d’Orange eut ainsi le temps d’ouvrir les digues et d’inonder le pays, empêchant les Français d’aller prendre Amsterdam. L’attaque française s’essouffla. Pendant toute cette campagne, Condé avait souffert de la goutte. Finalement, il se retira un temps dans son domaine de Chantilly.

Il délaissait son épouse Claire Clémence qui était dépressive. Celle-ci fut prise dans une algarade entre son valet et son palefrenier en 1671. Devant le scandale, Condé demanda une lettre de cachet au roi et fut exaucé. Claire Clémence finit ses jours en résidence surveillée.

Il fut rappelé en Flandres et reprit son commandement. En août 1674, il remporta la bataille de Seneffe (en Belgique) contre Guillaume d’Orange. Il fut reçu magnifiquement quelques mois plus tard par Louis XIV à Saint Germain en laye. C’est là que, noblement, entouré de tous ses courtisans, tandis que le prince, boitant à cause de sa goutte, montait difficilement les marches de l’escalier pour aller le saluer, le monarque l’accueillit en lui disant « Mon cousin, quand on est si chargé de lauriers, il est normal qu’on ait du mal à monter » (la scène fut immortalisée plus tard par le peintre Jean Léon Gérôme dans un tableau de 1878, exposé au musée d’Orsay).

De son côté, son fils, le duc d’Enghien, reconquit la Franche-Comté, beaucoup aidé par Vauban il est vrai. Mais déçu de ne pas se voir confié son gouvernement par le roi-soleil qui avait d’autres projets, il rejoignit son père dans l’armée des Flandres.

Peu après, Turenne mort en 1675 à la bataille de Salzbach, Condé partit le remplacer et prendre la tête de l’armée d’Alsace pour lutter contre les troupes de l’empereur. Ce devait être sa dernière campagne. En position de faiblesse face à l’ennemi, il se refusa à livrer bataille ce qu’on lui reprocha à la cour. Louvois, ministre de la guerre, tardait à lui envoyer des renforts. Condé s’entendait peu avec lui car il le trouvait désinvolte, dans sa manière par exemple de casser certains de ses officiers sans lui en parler. Son attentisme n’en avait pas moins été une bonne décision car, éloignée de ses bases, l’armée ennemie finit par souffrir du manque de ravitaillement et dut faire retraite. Condé avait été victorieux sans avoir à se battre !
Il prit alors sa retraite qu’il passa dans son château de Chantilly. Là, il reçut les grands esprits de l’époque, hommes de lettres, diplomates… Il faisait de rares visites à la cour, seulement pour remplir ses fonctions officielles. Sa famille lui causait des problèmes, son fils Henri Jules par exemple qui, parfait courtisan, passait son temps à Versailles pour solliciter faveurs et avantages, ce qui agaçait Louis XIV. De plus il avait hérité de la folie de sa mère. Son petit-fils lui donnait aussi du souci car il s’intéressait peu à ses études. Il s’occupait aussi de ses neveux, mais l’un d’eux fit une bêtise en étant irrévérencieux envers Louis XIV dans une lettre. Interceptée par Louvois, elle fut lue par l’intéressé qui le vira immédiatement de sa cour. Cela rendit Condé amer car il faisait tout pour favoriser sa Maison.

Condé mourut à Fontainebleau en 1686, à l’âge de 65 ans.

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 28 Jan 2023 19:15 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 13 Jan 2013 13:11
Message(s) : 405
Très détaillée et très facile à lire en effet.


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