L’interdiction des mariages mixtes pouvait répondre (même si la circulaire ministérielle du 8 janvier 1803 ne pouvait constituer en ce cas une véritable solution) aux craintes liées au métissage ; craintes qui apparaissent dans « Les égarements du nigrophilisme » de Louis Narcisse Baudry Deslozières (mars 1802), dans l’article paru dans le Journal des Débats du 25 juin 1802, dans la lettre de Clarke à Fouché (29 octobre 1807), ou encore dans celle de Texier à Fouché (février 1808), retranscrits plus haut.
Vis-à-vis de ces craintes, l’arrêté du 2 juillet 1802 pouvait, entre autres éventuelles problématiques, également être une possibilité de réponse : « Art. 1er. Il est défendu à tous étrangers d'amener sur le territoire continental de la république aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur, de l'un et de l'autre sexe. Art. 2. Il est pareillement défendu à tout noir, mulâtre, ou autres gens de couleur, de l'un et de l'autre sexe, qui ne seraient point au service, d'entrer à l'avenir sur le territoire continental de la république, sous quelque cause et prétexte que ce soit, à moins qu'ils ne soient munis d'une autorisation spéciale des magistrats des colonies d'où ils seraient partis, ou, s'ils ne sont pas partis des colonies, sans l'autorisation du ministre de la marine et des colonies. Art. 3. Tous les noirs ou mulâtres qui s'introduiront, après la publication du présent arrêté, sur le territoire continental de la république, sans être munis de l'autorisation désignée à l'article précédent, seront arrêtés et détenus jusqu'à leur déportation. Art. 4. Le ministre de la Marine et des Colonies est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin des lois »
L’arrêté en question fut suivi de cette ordonnance du préfet de police, datée du 25 octobre de la même année : "Art. 1. L’arrêté des consuls, en date du 13 messidor an X, portant défense aux noirs, mulâtres et autres gens de couleur, d’entrer sans autorisation sur le territoire continental de la république, sera imprimé, publié et affiché dans le département de la Seine et dans les communes de Sèvres, Meudon et Saint-Cloud, du département de Seine-et-Oise. Art. 2. Les Français et les étrangers domiciliés ou séjournant dans le département de la Seine ou dans les communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon seront tenus de faire, dans le délai de dix jours, la déclaration des noirs, mulâtres et autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui étaient à leur service au 17 vendémiaire dernier, époque de la publication dudit arrêté. A Paris, cette déclaration sera faite devant les commissaires de police, et dans les communes rurales, devant les maires et adjoints, qui en délivreront certificat. La déclaration sera appuyée de l'attestation de deux témoins domiciliés. Sur la représentation du certificat des commissaires de police ou des maires et adjoints, il sera délivré, à la préfecture de police, une carte particulière aux noirs, mulâtres et autres gens de couleur qui se trouveront compris dans la déclaration. Art. 3. Les noirs, mulâtres et autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui, à compter dudit jour 17 Vendémiaire dernier, entreront dans le département de la Seine ou dans les communes de Sèvres, Meudon et Saint-Cloud, seront tenus, dans les trois jours de leur arrivée, de faire viser à la préfecture de police les autorisations spéciales qu’ils auront obtenues, soit des magistrats des colonies d’où ils seraient partis, soit du ministre de la marine et des colonies. Art. 4. Les noirs, mulâtres et autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui s’introduiront dans le département de la Seine ou dans les communes de Sèvres, Meudon et Saint-Cloud, sans être munis de l’autorisation désignée en l’article 2 de l’arrêté du 13 messidor dernier, seront arrêtés et conduits à la préfecture de police. Art. 5. Les sous-préfets des arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis, les commissaires de police, à Paris, les maires et adjoints dans les communes rurales du département de la Seine, et ceux des communes de Sèvres, Meudon et Saint-Cloud, les officiers de paix et les préposés de la préfecture de police sont chargés, chacun en ce qui le concerne, d'assurer l’exécution des dispositions ci-dessus. Art. 6. Le général commandant la première division militaire, le général commandant d’armes de la place de Paris et les chefs de légion de la gendarmerie d'élite et de la gendarmerie nationale du département de la Seine et de celui de Seine-et-Oise sont requis de leur faire prêter main-forte au besoin. »
A noter que l’arrêté du 2 juillet 1802 faisait écho à la déclaration de Louis XVI en date du 9 août 1777. La voici : "Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut. Par nos lettres patentes du 3 septembre dernier, nous avons ordonné qu'il serait sursis au jugement de toutes causes ou procès concernant l'état des noirs de l’un ou de l'autre sexe, que les habitants de nos colonies ont amenés avec eux en France pour leur service ; nous sommes informés aujourd'hui que le nombre des noirs s'y est tellement multiplié, par la facilité de la communication de l'Amérique avec la France, qu'on enlève journellement aux colonies cette portion d'hommes la plus nécessaire pour la culture des terres, en même temps que leur séjour dans les villes de notre royaume, surtout dans la capitale, y cause les plus grands désordres ; et, lorsqu'ils retournent dans les colonies, ils y portent l'esprit d'indépendance et d'indocilité, et y deviennent plus nuisibles qu'utiles. Il nous a donc paru qu'il était de notre sagesse de déférer aux sollicitations des habitants de nos colonies, en défendant l'entrée de notre royaume à tous les noirs. Nous voulons bien cependant ne pas priver ceux desdits habitants que leurs affaires appellent en France, du secours d'un domestique noir pour les servir pendant la traversée, à la charge toutefois que lesdits domestiques ne pourront sortir du port où ils auront été débarqués, que pour retourner dans la colonie d'où ils auront été amenés. Nous pourvoirons aussi à l'état des domestiques noirs qui sont actuellement en France. Enfin, nous concilierons, par toutes ces dispositions, le bien général de nos colonies, l'intérêt particulier de leurs habitants, et la protection que nous devons à la conservation des mœurs et du bon ordre dans notre royaume.
A ces causes, etc.
Article 1. Faisons défenses expresses à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, mêmes à tous étrangers, d'amener dans notre royaume, après la publication et enregistrement de notre présente déclaration, aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur de l’un ou de l'autre sexe, et de les y retenir à leur service ; le tout à peine de 3.000 livres d'amende, même de plus grande peine s'il y échoit. Article 2. Défendons pareillement, sous les mêmes peines, à tous noirs, mulâtres ou autres gens de couleur de l'un ou de l'autre sexe, qui ne serait point en service, d'entrer à l'avenir dans notre royaume, sous quelque cause et prétexte que ce soit. Article 3. Les noirs ou mulâtres qui auraient été amenés en France, ou qui s'y seraient introduits depuis ladite publication, seront, à la requête de nos procureurs ès sièges des amirautés, arrêtés et reconduits dans le port le plus proche, pour être ensuite rembarqués pour nos colonies, à nos frais, suivant les ordres particuliers que nous ferons expédier à cet effet. Article 4. Permettons néanmoins à tout habitant de nos colonies qui voudra passer en France, d'embarquer avec lui un seul noir ou mulâtre de l'un et de l'autre sexe, pour le servir pendant la traversée, à la charge de le remettre, à son arrivée dans le port, au dépôt qui sera à ce destiné par nos ordres, et y demeurer jusqu'à ce qu'il puisse être rembarqué ; enjoignons à nos procureurs des amirautés du port où lesdits noirs auraient été débarqués, de tenir la main à l'exécution de la présente disposition, et de les faire rembarquer sur le premier vaisseau qui fera voile dudit port pour la colonie de laquelle ils auront été amenés. Article 5. Les habitants desdites colonies, qui voudront profiter de l'exception contenue en l'article précédent, seront tenus, ainsi qu'il a toujours été d'usage dans nos colonies, de consigner la somme de 1.000 livres, argent de France, ès mains du trésorier de la colonie, qui s'en chargera en recette, et de se retirer ensuite par devers le gouverneur général ou commandant dans ladite colonie, pour en obtenir une permission qui contiendra le nom de l'habitant, celui du domestique noir ou mulâtre qu'il voudra emmener avec lui, son âge et son signalement ; dans laquelle permission la quittance de consignation sera visée, à peine de nullité, et seront lesdites permission et quittance enregistrées au greffe de l'amirauté du lieu du départ. Article 6. Faisons très expresses défenses à tous officiers de nos vaisseaux de recevoir à bord aucun noir ou mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent ladite permission duement enregistrée, ainsi que la quittance de consignation ; desquelles mention sera faite sur le rôle d'embarquement. Article 7. Défendons pareillement à tous capitaines de navire marchand de recevoir à bord aucun noir, mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent la permission enregistrée, ensemble ladite quittance de consignation, dont mention sera faite dans le rôle d'embarquement ; le tout à peine de 1.000 livres d'amende pour chaque noir ou mulâtre, et d'être interdits pendant trois ans de toutes fonctions, même du double desdites condamnations en cas de récidive ; enjoignons à nos procureurs ès sièges des amirautés du lieu de débarquement, de tenir la main à l'exécution de la présente disposition. Article 8. Les frais de garde desdits noirs dans le dépôt, et ceux de leur retour dans nos colonies, seront avancés par le commis du trésorier général de la marine dans le port, lequel en sera remboursé sur la somme consignée en exécution de l'article 5 ci-dessus ; et le surplus ne pourra être rendu à l'habitant, que sur le vu de l'extrait du rôle du bâtiment sur lequel le noir ou mulâtre domestique aura été rembarqué pour repasser dans les colonies, ou de son extrait mortuaire, s'il était décédé : et ne sera ladite somme passée en dépenses aux trésoriers généraux de notre marine, que sur le vu desdits extraits en bonne et due forme. Article 9. Ceux de nos sujets, ainsi que les étrangers, qui auront des noirs à leur service, lors de la publication et enregistrement de notre présente déclaration, seront tenus dans un mois, à compter du jour de la dite publication et enregistrement, de se présenter par devant les officiers de l'amirauté dans le ressort de laquelle ils sont domiciliés, et, s'il n'y en a pas, par devant le juge royal dudit lieu, à l'effet d’y déclarer les noms et qualités des noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur de l'un et de l'autre sexe qui demeurent chez eux, le temps de leur débarquement, et la colonie de laquelle ils ont été exportés : voulons que, passé ledit délai, ils ne puissent retenir à leur service lesdits noirs que de leur consentement. Article 10. Les noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur, qui ne seraient pas en service au moment de ladite publication, seront tenus de faire, aux greffes desdites amirautés, ou juridictions royales, et dans le même délai, une pareille déclaration de leurs noms, surnom, âge, profession, du lieu de leur naissance, et de la date de leur arrivée en France. Article 11. Les déclarations prescrites par les deux articles précédents seront reçues sans aucun frais, et envoyées par nos procureurs èsdit sièges, au secrétaire d'État ayant le département de la marine, pour, sur le compte qui nous en sera rendu, être par nous ordonné ce qu'il appartiendra. Article 12. Et attendu que la permission que nous avons accordée aux habitants de nos colonies par l'article 4 de notre présente déclaration, n'a pour objet que leur service personnel pendant la traversée, voulons que lesdits noirs, mulâtres ou autres gens de couleur demeurent, pendant leur séjour en France, et jusqu'à leur retour dans les colonies, en l'état où ils étaient lors de leur départ d'icelles, sans que ledit état puisse être changé par leurs maîtres, ou autrement. Article 13. Les dispositions de notre présente déclaration seront exécutées nonobstant tous édits, déclarations, règlements, ou autres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé et dérogeons expressément."
Des violations à l’arrêté du 2 juillet 1802 étant notées, on sut alors se souvenir de ladite déclaration. Ainsi en témoigne cette circulaire de Decrès, ministre de la Marine et des Colonies (20 juillet 1807), destinée aux capitaines généraux et préfets coloniaux : « Je suis instruit, Monsieur, qu'en violation de l'arrêté du 13 messidor an X, beaucoup de noirs, mulâtres et autres gens de couleur des deux sexes, s'introduisent sur le territoire continental de l'Empire et y séjournent sans difficulté. Cet état de chose étant contraire aux intentions de Sa Majesté, il m'a paru nécessaire de remettre en vigueur dans les colonies, les articles 4 et 5 de la déclaration du Roi du 9 août 1777, non abrogée sur cette matière et de prescrire dans tous les ports les mesures répressives des abus dont il s'agit. Les capitaines généraux et les commandants en chef des Colonies ne doivent permettre l'embarquement que d'un seul noir (masculin ou féminin) par chaque habitant passant en France, lequel déposera mille francs de garantie au Trésor. En France, tout noir ou de couleur arrivant dans un port sans permission sera placé dans un dépôt et contraint de repartir sur le navire qui l'aura amené. Les noirs et mulâtres faisant partie des équipages des navires étrangers seront consignés à bord et, s'ils sont surpris à terre, mis au dépôt. »
Cette même année 1807 était lancée une vaste enquête concernant les individus noirs et de couleur vivant en France.
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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