Lampsaque a écrit :
Dans mon sens je peux vous répondre :
.1 Tuer le roi, on pouvait considérer que c’était juste ou non, mais il était clair que le faire était exacerber le conflit avec l’étranger. Même chose pour la reine, née archiduchesse Habsbourg.
.2 Expliquer partiellement la passion guerrière (ou la Terreur) par la Vendée… Mais la Vendée c’était largement la guerre qui l’avait suscitée (par la conscription). Et si la Révolution s’était abstenue de mettre hors la loi le catholicisme ça n’aurait pas fait de mal non plus…
.3 Le fait que les républicains voyaient la main de l’étranger partout manifeste aussi une tendance qu’ils avaient à diaboliser l’étranger… ("Pitt et Cobourg").
Il y a du vrai dans ce que vous dites. Néanmoins, reconnaissons que l’exécution du roi et de la reine, tout comme la répression du clergé réfractaire étaient avant tout des décisions de politique intérieure, certes prises au mépris de la conjoncture internationale.
Mais je n’insiste pas car on va rentrer dans une question de poule et d’œuf. Je tiens juste à corriger : je n’invoque pas ces raisons pour expliquer la « passion guerrière » mais pour essayer de saisir l’état d’esprit qui a peut-être conduit à la paix de 1799 soit bien après la Vendée.
Je ne cherche pas à excuser les erreurs de la Convention ou du Directoire, ni à contester un certain manque de modération, mais à l’expliquer et à nuancer la notion d’ « agression et exploitation » que vous avez utilisée.
A cela s’ajoute bien sûr une sorte d’esprit missionnaire (libérer les peuples du joug des tyrans) dont il ne faut pas négliger la sincérité. Et enfin, il ne me semble pas impossible que le souvenir de la guerre de succession d’Autriche ait joué un rôle (cela ne datait que d’une cinquantaine d’années) : dernier conflit où la France avait été victorieuse en Europe, et où Louis XV avait restitué les Pays-Bas, ceux-là même où les campagnes de 1793-94 ont été si difficiles.
Lampsaque a écrit :
.6 Enfin, comme je l’ai dit, avec la paix d’Amiens la France avait obtenu la paix avec l’Angleterre, son principal adversaire, à des conditions extraordinaires. Bonaparte n’a pas cherché à conserver cette paix…
Il avait trente-quatre ans, il était le meilleur général de son temps, il avait envie de nommer les préfets, fixer le règlement de l’Académie française, nantir ses frères et sœurs, mais je pense ne pas m’avancer beaucoup en disant qu’il ne voulait pas se cantonner à des activités de ce genre...
Sans vouloir vous manquer de respect, cet argumentation est ce qu’on appelle un procès d’intention, qui ne démontre rien. Certes, Bonaparte n’a pas joué l’apaisement pendant la paix d’Amiens. Voulez-vous dire qu’il a délibérément cherché à rompre la paix pour la gloire des aventures militaires ? Sur quoi vous fondez-vous hormis la psychologie supposée de Bonaparte ?
Lampsaque a écrit :
.8 Si j’ai dit qu’ « en général » je ne trouvais pas vos arguments faux, c’est parce qu’il y en a un en particulier que je trouve peu convaincant : « Je ne suis pas sûr que Napoléon avait vraiment rêvé de risquer son armée, son trône et sa vie sur un coup de poker au fin fond de la Moravie, pour le plaisir d’annexer la Dalmatie. »
S’il y a un homme qui a manifesté son goût pour les « coups de poker » militaires, entendons les audacieuses aventures militaires, c’est bien lui…
Quant au « fin fond de la Moravie »… Il était allé au fin fond de la Méditerranée, il avait dans la tête l’Orient et l’Inde, il est allé au fin fond de la Prusse-Orientale (aux actuels Bagrationovsk et Pravdinsk, lieux de deux de ses batailles célèbres) et ensuite au fin fond de la Moscovie…
Ce que j’ai voulu dire, c’est que les projets de Napoléon, que ce soit en 1803, ou jusqu’à l’été 1805, ne sont pas d’envahir l’Autriche. Vous avez cité tout un tas d’arguments pour expliquer que Napoléon c’était l’agression et l’exploitation. Il n’en reste pas moins qu’en 1805, les choses sont très claires : ce n’est pas la France qui agresse l’Autriche ni la Russie, mais l’inverse. Comme auparavant et comme par la suite, mais de manière particulièrement claire cette fois-là, l’Angleterre suscite, moyennant finances, une coalition contre la France dans le but de défendre ses intérêts. Vous pourrez le tourner comme vous voulez, expliquer qu’il s’agit de légitime défense, pourquoi pas, ou que c’est de bonne guerre, ou que les intolérables annexions de la France (pourtant tolérées depuis 1799) ont conduit l’Autriche à réagir enfin, je ne vois pas comment considérer Napoléon comme l’agresseur.
Alors après, effectivement, une fois les dés jetés, il a fait ce qu’il savait et qu’il devait faire, c’est à dire non pas une « aventure militaire », mais tout simplement la guerre contre une puissante coalition, y compris en prenant des risques (très élevés à Austerlitz), mais pas seulement : la manœuvre d’Ulm est justement un exemple du contraire. Dire qu’il n’en a tiré ni plaisir ni gloire serait sans doute mentir... Mais je maintiens que ce n’était pas son projet, et encore moins son rêve, avant que l’Autriche ne déclare la guerre à la France.
Et, puisque vous avez insisté sur les annexions françaises faites aux dépends de ses ennemis (pour les comparer avec la supposée modération des vainqueurs de 1815), je tenais également à rappeler que cette paix de 1805, pour sévère qu’elle ait été pour l’Autriche, n’a pas conduit à des annexions importantes pour la France, hormis la Dalmatie. Et qu'on ne peut en rien prétendre que cette campagne-là contre l'Autriche ait été faite pour réaliser des annexions.
Vous faites référence aux batailles de la campagne de 1807 : même si je vois dans l’attitude de Napoléon à partir de 1806 les prémices d’une fuite en avant qui va se confirmer ensuite, après Austerlitz, Napoléon propose la paix à la Russie et une alliance à la Prusse. Mais la Russie reste en guerre, et la Prusse rejoint la coalition. Je ne parlerais pas non plus d’une « aventure militaire » dans ce cas.
Lampsaque a écrit :
Au fond, votre thèse est que le chef d’État relativement « défensiste » Napoléon Bonaparte a été enlevé en 1807, et qu’on lui a substitué un sosie qui a entrepris l’expédition d’Espagne, puis la campagne de Russie, puis en 1813 a refusé à Metternich la paix que celui-ci lui proposait, lui disant en substance : ’’Un roi de France pourrait accepter cela. Moi, non. Ma légitimité c’est l’agrandissement de la France’’. Sans compter le fameux : "Un homme comme moi se fout de la vie d'un million d'hommes."
Je sens plus sensible que vous ne l’êtes à la continuité du personnage…
Je connaissais des théories de substitution par un sosie, mais plutôt en 1821 qu’en 1807…
Non : là où vous insistez sur la continuité voire le monolithisme du personnage, je pense qu’il y a une évolution. Pour le coup, on est dans la psychologie et il est difficile d’argumenter de manière solide (je me méfie énormément des citations de Napoléon qui avait tendance à dire un peu tout et son contraire…)
Evidemment, je ne nie pas une certaine continuité, l’aventurier de 1812 transparaît déjà en Egypte (quoique dans le rôle d’un général ambitieux, non d’un chef d’État), et la brutalité des pratiques politiques reste constante (mais pas si exceptionnelle dans son époque).
Mais mon analyse (ou mon hypothèse) est qu’il y a effectivement une évolution entre le Bonaparte de 1802 qui signe la paix d’Amiens et le Napoléon de 1812 qui lance la campagne de Russie ; évolution que, en essayant de rester factuel, je caractériserais par :
- les succès militaires de plus en plus énormes jusqu’en 1807 : notamment on est passé de victoires décisives sur des théâtres secondaires, « habituels » et proches de nos frontières (comme l’Italie et l’Allemagne) à des victoires sur le territoire même de l’ennemi, loin de la France, avec même pour l’Autriche et la Prusse la disparition de toute capacité militaire de l’ennemi ; succès croissants et inédits qui n’ont pu que renforcer sa confiance en soi (ou en sa bonne étoile) ;
- succès qui, en plus de donner l’impression que la Grande Armée était partout chez elle en Europe, ont également renforcé la puissance de l’Empire (et de l’Empereur), et notamment ses capacités militaires, donnant l’impression qu’après chaque campagne il pouvait affronter un adversaire plus puissant ;
- constat (justifié) que malgré cela, la victoire sur l’Angleterre restait hors de portée,
- par suite, enfermement dans le système du blocus continental, considéré comme la seule manière d’obtenir cette victoire ; une illusion entretenue par la possibilité d’y consacrer une puissance de plus en plus grande ;
- une logique qui oblige à faire des paris aux enjeux de plus en plus élevés, jusqu’à l’aveuglement à partir de 1813.
Et juste une remarque : reconnaissons que si tout le monde considère que l'expédition d'Espagne était une lourde erreur, c'est parce qu'on en connaît la fin. Vu de 1807, cette fin était-elle prévisible ? Semblait-il plus difficile d'occuper l'Espagne que de vaincre la Prusse ou l'Autriche ? Les facteurs qui ont conduit à la défaite en Espagne étaient-ils identifiables ?