«Ah ! combien ma relation serait longue , s'il fallait raconter toutes les calamités qu'engendra cette guerre abominable; mais, si je voulais d'un seul trait faire juger de tous les autres, je parlerais de ces trois mille prisonniers amenés de Moscou. Pendant la marche, n'ayant rien a leur donner, on les parquait comme des bestiaux ; là, sous aucun prétexte, ils ne pouvaient s'éloigner de l'étroite enceinte qu'on leur avait assignée. Sans feu, et mourant de froid, ils couchaient sur la glace; et pour assouvir leur faim dévorante, ils se jetaient avec avidité sur la viande de cheval qu'on leur distribuait; faute de temps et de moyens pour la faire cuire , ils la mangeaient toute crue; on assure , mais je n'ose le croire , que lorsque ces distributions vinrent à manquer, plusieurs de ces prisonniers mangèrent la chair de leurs camarades qui venaient d'expirer à force de misère. […] Beaucoup [de soldats de la Grande Armée], par excès de froid ou de faim, étaient réduits à un état de stupidité frénétique qui leur faisait rôtir des cadavres pour les dévorer, ou qui les poussait jusqu'à se ronger les mains et les bras » (Labaume, Relation circonstanciée de la campagne de Russie en 1812)
« La lueur de ces incendies attira des malheureux que l'intensité du froid et de la douleur avait exaltés jusqu'au délire; ils accoururent en furieux, et, avec des grincements de dents et des rires infernaux, ils se précipitèrent dans ces brasiers, où ils périrent dans d'horribles convulsions. Leurs compagnons affamés les regardaient sans effroi ; il y en eut même qui attirèrent à eux ces corps défigurés et grillés par les flammes, et il est trop vrai qu'ils osèrent porter à leur bouche cette révoltante nourriture. » (Ségur, Histoire de Napoléon et de la Grande Armée pendant l’année 1812)
« [Deux soldats] nous assurèrent qu'ils avaient vu des soldats étrangers (des Croates), faisant partie de notre armée, retirant du feu de la grange un cadavre tout rôti, en couper et en manger. Je crois que cela est arrivé plusieurs fois, dans le cours de cette fatale campagne, sans cependant jamais l'avoir vu. […] « Un sous-officier portugais s'approcha de nous pour se chauffer ; je lui demandai où était son régiment ; il me répondit qu'il était dispersé, mais que lui, il était chargé, avec un détachement, d'escorter sept à huit cents prisonniers russes qui, n'ayant rien pour se nourrir, étaient réduits à se manger l'un l'autre, c'est-à-dire que, lorsqu'il y en avait un de mort, ils le coupaient par morceaux et se le partageaient pour le manger ensuite. Pour preuve de ce qu'il me disait, il s'offrit de me le faire voir ; je refusai. Cette scène se passait à cent pas de l'endroit où nous étions ; nous sûmes, quelques jours après, que l'on avait été obligé d'abandonner le reste, ne pouvant les nourrir.» (Bourgogne, Mémoires)
« A peine avais-je pris la première cuillère qu’un dégoût s’empara de moi, et je leur demandai si c’était du cheval qu’il avait employé pour la faire. Ils me répondirent froidement que c’était de la chair humaine, et que le foie, qui se trouvait encore dans la marmite, était fort bon à manger. » (Soltyk, Mémoires)
« Quelques-uns de mes généraux m'ont assuré avoir vu deux malheureux qui grillaient sur le feu les membres de leur troisième camarade. Cela fait frémir l’humanité.» (Koutozov à sa fille, la comtesse Tiezenhausen, le 10 novembre 1812)
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
|