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Message Publié : 19 Nov 2022 12:27 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 17 Nov 2022 11:29
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Bonjour,
Je me suis lancé dans la lecture du roman classique chinois Au bord de l'eau, de Shi Nai-an, avec la traduction de Jacques Dars.

Bien que largement annoté, il y a un contexte que je ne saisis pas bien, et je voudrais savoir si quelqu'un pouvait m'apporter des explications.

A de nombreuses reprises dans le roman, la rencontre de deux personnages est présentée comme un long rituel de politesse où il est nécessaire d'échanger de nombreuses marques d'auto-dénigrement. C'est notamment visible dès qu'il s'agit de s'asseoir à une table, où la "place d'honneur" est refusée par tous de crainte d'être mal vu.

Ce rituel apparaît sur toutes les classes sociales: on le retrouve dans le roman aussi bien avec des pêcheurs qu'avec des magistrats.

Je ne parviens pas à comprendre si ce long rituel a une réalité historique, s'il s'agit d'une exagération de l'auteur, ou d'une mauvaise traduction.

Je vous serai gré de vos explications si vous connaissez la réponse


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Message Publié : 19 Nov 2022 19:01 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
Sans être un expert, j'ai l'impression que votre description correspond à peu près à ce que tout un chacun pense des mœurs d'Extrême Orient .


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Message Publié : 23 Nov 2022 16:28 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
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La question est intéressante. Je n’ai pas lu Au bord de l’eau et je connais très mal la Chine. Sous cette réserve, je vous livre mes commentaires.

Wikipedia nous apprend que Au bord de l’eau est un roman d'aventures tiré de la tradition orale écrit au quatorzième siècle. Les faits historiques sur lesquels repose la tradition remontent au douzième siècle. Les histoires transmises oralement ont donc mûri pendant deux siècles avant de se cristalliser. Il serait imprudent de les prendre comme une photographie de la société. A la réalité des rapports sociaux doivent se mêler des conventions littéraires et l’imagination des auteurs. Cela me fait penser aux romans de Chrétien de Troyes. Ils fournissent certainement des enseignements sur la société médiévale mais ce ne sont pas des observations de la société du temps où vivait l’auteur comme le seront plus tard les romans de Balzac ou de Zola.

Cela dit, ce que vous nommez "auto-dénigrement" correspond à un trait des conventions sociales qui s’imposent dans les sociétés du monde chinois. La modestie est de mise. Il ne faut pas se mettre en valeur mais rester discret. Se dévaloriser est une façon de marquer son respect envers l’autre sans tomber dans une flagornerie qui serait mal perçue.

Un autre trait est que rien n’est gratuit. Un cadeau ou une marque d’honneur reçue crée une obligation. Recevoir un cadeau impose d’en faire un en retour de valeur équivalente. Ne pas le rendre ou rendre un cadeau de trop faible valeur serait de l’ingratitude ou un affront. Mais un cadeau en retour de trop haute valeur serait aussi gênant pour celui qui le reçoit. Ce pourrait être une manière de faire comprendre à celui qui reçoit qu’il est l’obligé de celui qui donne ce qui est paradoxalement une forme d’affront. Il est très important de garder la juste mesure.

Il en est de même pour les marques d’honneur. Il faut certes faire honneur à ses amis, à ses hôtes ou aux différentes personnes avec qui ont est en relation, mais il faut rester dans la juste mesure. Si l’on traite l’autre comme un seigneur, celui qui est ainsi honoré sera tenu d’agir en seigneur avec tout ce que cela impose et ce peut être très embarrassant. Le seigneur est censé protéger ses vassaux et prodiguer des largesses, mais il n’en a peut-être pas les moyens. En outre, porté à une place éminente, il est sorti du groupe auquel il appartenait. Ce peut être une manière de l’exclure. On peut ainsi comprendre certaines résistances.

Je ne sais pas s’il existe une tradition de se faire des politesses sans fin. C’est possible.

Ces traits ne sont pas inexistants dans les sociétés occidentales mais il sont moins marqués.

En matière d’échanges de politesse exagérées nous avons le terme "salamalec". Cela peut exister dans toutes les sociétés : « A vous l’honneur - Non, à vous, je vous en prie – Si, si, j’insiste ... ». Au Japon, lorsqu’on s’adresse par écrit à quelqu’un, il faut commencer par des propos sur le temps qu’il fait et ce n’est qu’après une dizaine de lignes poético-météorologiques que l’on en vient au vif du sujet. Chez nous, si l’on a convenu de s’entretenir d’une affaire au cours d’un repas, on commence par parler de choses et d’autres et l’on n’en vient à l’affaire à traiter qu’entre la poire et le fromage.

Il y a peut-être de l’exagération dans les formes de politesse relatées dans Au bord de l’eau et la narration se conforme peut-être à des schémas convenus mais le roman évoque tout de même une certaine réalité des mœurs, peut-être plus ou moins déformée.

Quant à l’erreur de traduction, je ne pense pas. Certes on sait que traduire, c’est trahir et il y a peut-être dans le texte chinois des nuances impossibles à traduire en français, comme le vouvoiement français est impossible à restituer littéralement en anglais, mais le traducteur, Jacques Dars, est un spécialiste reconnu qu’on ne peut soupçonner d’erreurs grossières. S’il y a des outrances dans la traduction, c’est qu’il y a des outrances dans le texte original.


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Message Publié : 26 Nov 2022 10:22 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 17 Nov 2022 11:29
Message(s) : 2
Merci d'avoir pris le temps de me fournir tous ces éléments de réflexion, leur lecture fut instructive et très intéressante.


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Message Publié : 26 Nov 2022 12:49 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
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Localisation : Versailles
"salamalec" : au passage je précise qu'il s'agit de l'abréviation de "Salam Alekoum" (salutation arabe).

Je pense que la révolution industrielle et son obsession d'efficacité (times is money) a beaucoup accru l écart entre politesses occidentale et orientale.


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Message Publié : 28 Nov 2022 13:40 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 27 Déc 2013 0:09
Message(s) : 2232
Je n’en suis pas sûr.

Résumer l’effet de la révolution industrielle par Time is money est un peu court. Nous célébrons le centenaire de la mort de Proust. A la lecture de la Recherche du temps perdu, on constate que les relations sociales dans le Paris aristocratique de la Belle Epoque étaient un plus plus complexes que Time is money.

Ensuite, la Chine a elle aussi connu ses révolutions politiques, sociales et industrielles qui l’ont profondément marquée. Cela a commencé par un rejet d’une grande part de la culture traditionnelle. Sun Yat Sen était protestant et très attiré par l’Occident. Lui et les autres initiateurs de la première révolution avaient pour objectif d’adopter à marche forcée le modernisme occidental en rejetant les traditions arriérées de la Chine. Cela a bien sûr continué avec le régime communiste. Au temps de la Révolution industrielle, Confucius était à l’index. Le modèle à suivre était la Commune de Paris.
Cela n’a pas manqué de se traduire dans les convenances sociales dans lesquelles s’est maintenue une certaine continuité mais dont les formes se sont considérablement simplifiées. L’un dans l’autre le monde occidental et le monde sinisé se sont plus rapprochés qu’éloignés.


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Message Publié : 28 Nov 2022 17:38 
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Inscription : 10 Fév 2009 0:12
Message(s) : 9041
Barbetorte a écrit :
Je n’en suis pas sûr.

Résumer l’effet de la révolution industrielle par Time is money est un peu court. Nous célébrons le centenaire de la mort de Proust. A la lecture de la Recherche du temps perdu, on constate que les relations sociales dans le Paris aristocratique de la Belle Epoque étaient un plus plus complexes que Time is money.

Je me suis fait la même réflexion que Barbetorte (les conventions de la "bonne société" au 19ème sont très formalisées, ou complexes) en revanche il est exact que dans l'industrie qui se développe sur la même période on va au plus simple, avec souvent une hiérarchie très marquée où le souci des bonnes manières se perd au profit de la transmission des consignes et des ordres.

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 29 Nov 2022 6:47 
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Marc Bloch
Marc Bloch

Inscription : 10 Fév 2014 7:38
Message(s) : 4407
Localisation : Versailles
Sans être un expert je crois qu'on ne peut guère comparer le salon de la duchesse de Guermantes et le bureau d'un négociant anglo-saxon à Shanghai ou Hong Kong.

Il me semble notoire que les coloniaux (militaires ou civils) moquaient souvent les rituels de politesse compliqués des orientaux. Je crois que Lucien Bodard par exemple en parlait dans ses livres sur la Chine.


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