Bonjour à tous,
je voulais faire partager au forum une très bonne série historique sur l'âge d'or de la piraterie des Indes occidentales (entre 1700 et 1720). Il s'agit de
"Black Sails", production américaine, réalisée à Cape Town en Afrique du Sud. Les 4 saisons sont sorties entre 2014 et 2017. On en a parlé qu'une fois sur le forum (évoquée par Brennus dans un fil sur les meilleurs films et séries historiques).
Première chose : cette série est assez peu connue en France (diffusion sur France Ô) et n'a pas bénéficié d'une aussi large audience que les séries historiques sorties au même moment, je pense notamment à Viking.
D'abord, il est assez rare de porter à l'écran la marine à voile. C'est ce qui fait l'attrait de cette série où nombre d'évènements se passent en mer et où l'on peut suivre la vie à bord d'un navire au début du XVIIIe avec son quotidien. L'exécution des diverses manœuvres à la voile est bien rendue elle aussi.
Mais surtout cette série raconte les évènements censés se situer une vingtaine d'année avant ceux de
l'Ile au Trésor , d'où la présence de trois personnages fictifs inventés par Stevenson : le capitaine James Flint, Long John Silver le cuisto et Billy Bones (celui que l'on voit au début du roman, entrant dans l'auberge avec le mystérieux coffre). Cet ancrage fictionnel ne dessert absolument par la série, mais permet l'intrication de deux intrigues fondamentales.
L'une, historique, s'intéresse au destin de Nassau et à la colonie de New Providence dans les Bahamas. D'abord sous influence espagnole, les Bahamas passent chez les britannique avant que la piraterie gagne complètement cette région jusqu'à l'implantation d'une "république pirate" en partie autonome. C'est le destin de cette communauté que l'on suit dans la série, avec un autre personnage important, le gouverneur britannique Woodes Rogers, connu pour avoir mis fin à cette forme organisée de piraterie. le tout s'opère dans le cadre géopolitique plus vaste des guerres endémiques entre Angleterre et Espagne (Guerre de Succession d'Espagne puis de la Quadruple alliance). Parallèlement à ces enjeux politiques, on suit l'histoire fictive de la poursuite d'un galion espagnol repéré par les pirates et dont le trésor va devenir un enjeu d'importance, mettant en compétition l'essentiel des personnages - une partie de ce trésor sert de lien efficace entre la série et le roman.
Avant d'évoquer les mérites, en particulier historiques de la série, une petite revue des personnages et des acteurs: Flint est incarné par l'excellent Toby Stephens... connu en France (malheureusement!) pour son rôle de méchant dans le dernier James Bond de l'ère Brosnan. Cet acteur british incarne ici le capitaine Flint, devenu pirate pour échapper à une disgrâce en règle au sein de la Navy et, plus encore, au sein de la haute société britannique. Entre vengeance personnelle et émancipation des caraïbes aux mains de pirates et des esclaves révoltés il joue parfaitement le chef de guerre déterminé, souvent machiavélique mais aussi rongé par ses drames personnels. Il faut rappeler que l'acteur vient de la Royal Shakespeare Company et a pas mal joué dans des téléfilms historiques.
On retrouve des noms fameux : Jack Rackham, Anne Bonnie, Charles Vane, le capitaine Hornigold, Edward Teach...
A côté d'Anne Bonnie, deux personnages féminin de premier plan (Eleanor Guthrie, en chef des marchands de Nassau, qui tente de faire renter les pirates dans le négoce et Max, une prostituée qui monte dans l'échelle sociale), là aussi très bons.
A noter que l'acteur qui incarnait Titus Pullo dans la série Rome campe ici un très convaincant Barbe Noire !
Côté intérêt historique, la série a des points forts indéniables : combats sur mer, combats terrestres bien reconstitués ; costumes historiques soignés (bon, faut admettre que certains des pirates sont un peu tributaires de l'ère game of trhones, mais c'st loin dêtre la majorité...). L'armement est soignée lui aussi.
La trame historique des évènements concernant les Bahamas est globalement respectée et quelques libertés permettent d'aborder de façon convaincante la traite négrière, notamment le cas des communautés libres de "nègres marrons", réfugiées à l'intérieur de certaines îles. Concernant la piraterie, on est très loin des clichés : ni des brutes sans cervelles faisant régner la terreur ; mais la série ne donne pas non plus dans une "réhabilitation" qui en ferait de gentils anarchistes en bandana et chemises à fleur dont le seul tort serait de n'avoir pu accomplir leurs desseins politiques. Surtout, le face à face civilisation contre piraterie n'empêche pas d'introduire de la nuance : on y voit des marchands et des gouverneurs véreux, profitant de la piraterie et des pirates versatiles, bien content de bénéficier de la grâce royale (ainsi on oublie souvent qu'Edward Teach accepta un temps de s'établir comme "honnête marchand" sous la protection de sa majesté). On comprend que la piraterie représentait un danger bien réel pour la prospérité des colonies, par exemple lors de la prise de Charleston.
Les élections des équipages pirates ne laissent finalement que peu des champ libre aux capitaines, toujours susceptible de tomber s'il ne satisfont pas leurs hommes . L'origine sociale très hétéroclite des pirates est bien rendue, elle aussi (sans compter la question des surnoms qu'adoptaient les pirates pour leur propre image).
Autre trait qui fonctionne bien : des duos de personnages, comme Rackham et Anne ou Flint et John Silver. Cette dernière alliance permet surtout de montrer toute l'ambiguïté de l'entreprise pirate.
Pour finir, un petit tour d'horizon du type de série auquel appartient Black Sails. Sans conteste, la série incorpore certains éléments qui ont fait le succès de Rome ou des Tudors et les mécanismes narratifs assez incontournables de
Game of Thrones. La saison 1 surtout est marquée par des intrigues politiques à répétition et une bonne dose de galipette dans les bordels de Nassau. La série n'hésite pas à montrer des personnages homosexuels ou assez indéterminés (mais heureusement, cela ne devient pas une fixette et reste plausible). Personnellement, je trouve que la saison 1 (en fait la première moitié) est la plus faible de l'ensemble. Un peu lente à mettre en place les personnages, se perdant dans des intrigues qui sentent le GoT, avec de la 3D d'abord assez peu convaincante pour les navires.
Rassurez-vous, dès le milieu de la saison 1, on ne peut plus lâcher la série qui fait complètement oublier (comme dans
Rome) les moyens limités des débuts. Les 3 opus suivants sont excellents, très bien rythmés, avec de beaux combats et manœuvres en mer et des lieux exotiques vraiment proche de l'atmosphère du roman de Stevenson.
Au final, c'est un peu la courbe inverse de
Viking (dont on avait bien parlé sur le forum) : la série s'améliore en progressant et ne succombe pas à la tentation du "badass" pour complaire au public.
Deux autres qualités - assez rare parmi les séries - les personnages ne sont pas tués pour rien ni multipliés à l'infini et la quatrième saison clôture parfaitement l'ensemble, sans laisser dans l'ombre aucune des lignes du scénario, pourtant complexe.
Je termine sur ce que je trouve le plus important : cette série vous donne envie d'ouvrir des livres sur le sujet et d'en savoir plus. De ce côté là c'est très réussi
Et quelques images (garanties sans aucun spoil
) pour vous donner un peu la toile de fond :