Pierma a écrit :
Il faut préciser qu'il est reconnu de façon unanime... dans son autorité sur l'AFN libérée qu'il administre déjà !
Et peut-être même sous condition que Giraud en reste part de la direction bicéphale. (à voir, avec les dates, mais Roosevelt sera intraitable dans ces négociations : pas de Giraud, pas d'armes américaines... De Gaulle lui donnera la direction de l'armée, du coup, tout en le "sortant" du "gouvernement" avec sa propre permission. - Giraud ne comprenait pas ce qu'il venait de signer là, Pleven avouera en avoir été un peu gêné.)
Oui, la reconnaissance du CFLN d'août 1943 est encore une autre paire de manches... qui nous projette plus loin encore dans le passé, grosso modo en octobre-novembre 1942.
En décembre 1940, Roosevelt avait fait nommer l'amiral William Leahy comme ambassadeur des Etats-Unis en France, avec pour mission de convaincre le vieux maréchal Pétain qu'il avait encore en sa possession deux armes pour combattre et résister : l'empire et la flotte française. Parallèlement, l'ambassade américaine en France charge Robert Murphy, consul à Paris ayant assuré l'intérim avant l'arrivée de Leahy, d'engager une tournée des possessions françaises en Afrique pour y nouer des contacts avec les hauts fonctionnaires.
Le 26 février 1941, les Américains pensent avoir trouvé un allié en la personne de Weygand, nommé délégué général pour l'Afrique du Nord par Pétain. Weygand signe en effet l'accord Weygand-Murphy, qui prévoit l'acheminement de produits alimentaires américains, d'éléments radio, mais aussi d'essence, de pétrole, d'huile, de sucre en Afrique française (avec une interdiction de réexportation vers la métropole).
Toutefois, la politique de collaboration accrue avec les Allemands de Vichy conduit au rappel de Weygand en novembre suivant, à la suspension de l'accord Weygand-Murphy (21 novembre) puis la suspension définitive de toute aide américaine avec le retour de Laval au pouvoir (avril 1942).
En avril 1942, l'amiral Leahy demande à être rappelé tandis que Murphy poursuit sa mission en échangeant avec l'amiral Darlan ou avec le général Giraud, évadé de la forteresse allemande de Königsten. En septembre 1942, Murphy est reçu par le président américain à New York et apprend l'imminence d'un débarquement allié en Afrique du Nord. Il ne croit pas que le général de Gaulle puisse rassembler les Français et s'interroge donc sur d'autres hypothèses.
En octobre 1942, Leahy, devenu chef d'état-major particulier de Roosevelt, écrit à Murphy pour lui signaler que Darlan a fait des avances aux Américains et pourrait être ce "chef", mais parallèlement Murphy rencontre Giraud, qui a sa préférence. Le 8 novembre, l'opération Torch débute en Afrique du Nord et le général Mark Clark, adjoint d'Eisenhower, entame des discussions avec Darlan (ce qui suscite des réactions négatives dans la presse alliée). Anthony Eden écrit même au Département d'Etat américain pour l'alerter sur les conséquences politiques du "Darlan deal" (16 novembre 1942) et, de manière générale, sur la possibilité de s'allier avec des anciens "collaborateurs".
En décembre 1942, les Alliés se posent donc la question du choix du "partenaire" français dans la poursuite de la guerre. Roosevelt demande à ses conseillers Harry Hopkins (intime du président) et Felix Frankfurter (juge à la Cour suprême), ainsi qu'au Français Jean Monnet, de réfléchir à la question, ce qui se matérialise par un mémorandum du 23 décembre 1942, qui affiche la primauté de la situation militaire sur la question politique, ne reconnaît d'autorité ni à Pétain, ni à Darlan, ni à Giraud, ni à de Gaulle, enfin juge que de Gaulle doit se placer sous les ordres de Giraud dans le cadre d'une future administration militaire des territoires libérés.
L'assassinat de Darlan (24 décembre) change brutalement la donne, rend le mémorandum obsolète et encourage les Anglais, comme les Américains à accélérer la réconciliation de Giraud et de Gaulle. En janvier 1943, à Casablanca, Roosevelt rencontre Giraud, lui promet le réarmement de onze divisions françaises et lui donne autorité sur tous les territoires français ayant rejeté l'autorité de Pétain, puis obtient la fameuse poignée de main Giraud-de Gaulle, prélude (espéré) à la réconciliation.
Hopkins conseille alors à Roosevelt d'envoyer Monnet à Alger pour "réconcilier les Français" (notamment les deux généraux), mais sa mission n'est pas vraiment comprise localement et son arrivée, début février, prête à polémique dans l'ensemble des camps politiques. Avec Murphy, il persuade néanmoins Giraud de prononcer un discours sur l'organisation politique du régime d'Alger (14 mars 1943), ce qui le pose en "chef" de la France combattante.
Le 22 mars, lors d'une rencontre entre Eden et Cordell Hull, le Secrétaire d'Etat américain, les deux puissances alliées refusent toutefois que Giraud ne mette en place un "gouvernement français", même provisoire, et suggèrent plutôt un "comité national". Au même moment, de Gaulle réclame un avion pour se rendre en Afrique du Nord et régler la question avec Giraud, ce qui lui est refusé (2 avril) au prétexte que son arrivée pourrait désorganiser le théâtre d'opérations militaires sur place !
Une série de négociations entre Giraud et de Gaulle occupe le mois de mai, avec quelques crises (notamment le 4 avril) jusqu'à un courrier de Giraud du 17 mai, qui décide de Gaulle à se rendre à Alger le 30 mai. Le Comité français de libération nationale (CFLN) est créé le 3 juin autour de coprésidents (Giraud-de Gaulle), de deux commissaires gaullistes (Philip et Massigli), de deux commissaires giraudistes (Monnet et le général Georges) et d'un "indépendant" (le général Catroux, en réalité homme-lige du général de Gaulle à Alger, malgré leurs désaccords réguliers).
Dès le 1er juin, confiant, Murphy enjoint le gouvernement américain à se préparer à une reconnaissance officielle du CFLN, demande répétée le 11 juin suivant, sans suite immédiate. En effet, de Gaulle, fidèle à lui-même, menace, tape du poing sur la table, annonce sa démission du CFLN le 9 juin, au point que Murphy semble être à bout le 17 juin, quand il écrit à Churchill, "J'en ai assez de De Gaulle et des machinations personnelles et politiques perpétrées dans le secret de ce comité".
La reconnaissance du CFLN devient donc pour Murphy (comme Eisenhower auprès des Américains ou Macmillan auprès des Anglais) un élément essentiel pour amoindrir le poids politique du général de Gaulle au sein de la France combattante, quitte à ce qu'il en démissionne... mais après lui avoir donné le crédit nécessaire au moment de sa constitution. Le 5 juillet, Murphy et Macmillan entament donc une offensive de charme auprès de leurs gouvernements respectifs pour obtenir la reconnaissance diplomatique du CFLN.
Le 8 juillet 1943, convaincu de la pertinence de la stratégie politique, Churchill écrit à Roosevelt pour le convaincre de reconnaître le CFLN comme le "gouvernement de la France". Roosevelt lui répond le 22 juillet en estimant qu'il faut se limiter à une "acceptation" (pas une reconnaissance) et dans le seul domaine nécessaire aux activités militaires. Les jeux ne sont pas encore faits.
Au même moment, profitant d'un voyage de Giraud aux Etats-Unis, de Gaulle soutient une proposition de Monnet de scinder la coprésidence entre les affaires militaires (Giraud) et les affaires politiques (lui-même), ce qui lui donne l'ascendant en interne. En août, pendant la conférence de Québec, Churchill et Roosevelt s'entendent pour reconnaître le CLFN mais en des termes différents : reconnaissance formelle pour les Anglais, acceptation de l'autorité du CFLN sur les territoires et les peuples qui en reconnaissent l'autorité pour les Américains...
De leur côté, les Russes accueillent cette annonce avec enthousiasme et reconnaissent que le CFLN représente désormais "les intérêts nationaux de la République française", ce qui va donc bien plus loin que la position des Anglais ou des Américains. En fait, dès le 16 juin, le ministre russe Molotov avait déjà télégraphié à son ambassadeur Bogomolov son parti-pris en faveur du général de Gaulle et l'importance de reconnaître le comité français.