kheiron a écrit :
Je crois que les arguments historiques sont déjà nombreux pour expliquer l'âge du développement du vélo. Mais j'ajouterai qu'il faut aussi un marché, un financement, un centre de production, des matières premières, un circuit de distribution qui sont des choses assez difficiles à trouver avant la révolution industrielle.
L'argument du circuit de distribution ne tient pas. Depuis la préhistoire, on a su mettre en place des circuits de productions pour les produits les plus divers. Dans certains cas, cela n'avait rien à envier à nos circuits issus de la mondialisation.
Par exemple, il y a dans le nord de la France, un endroit qui recèle du silex excellente qualité. Il était extrait et on pré-usinait des haches. Cela offrait l'avantage de diminuer la quantité de matière à déplacer.
Ensuite, ces ébauches partaient vers divers centres de productions, où des artisans spécialisés leurs donnaient les formes finales et elles étaient ensuite redistribuées sur une large zone surtout pour les artisans les plus réputés. C'étaient des produits de luxe recherchés. Mais, à côté, on trouvait des haches faites par des artisans locaux avec du silex local.
Le marché du drap à l'époque médiévale est encore plus complexe. Des entrepreneurs, ancêtres de nos capitalistes, achetaient de la laine brute, ils la faisaient travailler pour obtenir de la laine de diverses qualités. Ensuite, il amenait cette laine à des tisserands qui faisaient les draps. L'entrepreneur récupérait le tout et le faisait vendre sur les marchés. Pour l'entrepreneur les profits étaient assez grands, mais cela impliquait l'immobilisation de sommes d'argents parfois importantes. Parce qu'entre l'achat de la laine et la vente du drap, il se passait parfois de longs mois. Et il fallait gérer les transferts de matériaux entre les divers centres de production. La laine provenait parfois de plusieurs centaines de kilomètres. Les tisserands étaient groupés dans d'autres zones. Il fallait donc gérer les transports entre tous ces artisans et pour certains produits de luxe, on ne parle plus de centaines de kilomètres, mais de milliers de kilomètres. Les meilleurs laines brutes avaient droits aux meilleurs fileurs. Les fils de qualité qu'ils réalisaient allaient chez les meilleurs tisserands. Ensuite, ces tissus traversaient parfois tout le continent, pour aller chez les quelques personnes susceptibles de payer de tels produits de luxe pour leurs habits.
De ce côté-là, la révolution industrielle n'a pas inventé grand-chose. Mais, grâce à la mécanisation, c'est le volume de produits échangés qui a pu augmenter. Suite à la révolution industrielle certains produits deviennent nettement moins chers, tout en étant bien souvent de meilleure qualité (là, on parle de produits moyens). Du coup, il y a plus de monde qui peut les acheter et les marchés explosent.
Mais, il y a un autre phénomène qui explique cela en partie. Avant, les transports de marchandise se faisaient avec des voitures tirées par des animaux. Parfois, c'était même des hommes. Les premières industries de Mulhouse (qui deviendra un grand centre textile, puis industriel) cherchaient leur charbon dans la Sarre. Il venait en bateau jusqu'à Strasbourg, puis en charrette tirés par des chevaux. La partie faite en charrette triplait le prix d'achat du charbon. Pendant toute la première partie du XIXème siècle, les industriels mulhousiens vont se plaindre de la cherté du charbon qui pèse sur le prix final de leurs produits. Or, les progrès de la mécanisation du transport font que ce prix ne cesse de baisser. Les textiles produits à Mulhouse, destinés au marché parisien, étaient plus chers que ceux produits dans le Nord, à cause du prix du transport des matières premières, mais aussi à cause du prix du transport des produits finis. Ce qui s'explique qu'à l'époque Mulhouse se positionne sur le textile haut de gamme, c'est le seul marché près à dépenser pour des produits de qualité les sommes nécessaires. Mais, petit à petit, le prix des combustibles et des matières premières baisse, grâce au chemin de fer, et les industriels mulhousiens investissent d'autres marchés avec des produits plus accessibles.
Pour la petite histoire, Mulhouse exportait des cotonnades en Afrique. Acheter le coton en Afrique, l'envoyer à Mulhouse, le travailler, le tisser et le renvoyer là-bas, coûtait moins cher que d'utiliser les tisserands locaux avec les infrastructures locales. Il faut bien comprendre, le problème n'est pas la qualité des artisans locaux, mais la logistique avec les chemins de fers, et les transports maritimes. Bien entendu, on aurait pu installer les lignes de chemins de fer nécessaire, mais ensuite, il aurait fallu construire les manufactures et former le personnel local. Tout cela à "tuer" les circuits locaux de distribution des produits artisanaux qui existaient auparavant.