Pour revenir au béton romain, je commence par rappeler certaines définitions.
Béton : Le béton est un assemblage d’agrégats (sable, gravier…), d’un liant (terre, bitume, liant de chaux…) et d’adjuvants. Mêlé à de l’eau, on obtient une pâte qui est coulée dans un coffrage. Le mortier ne diffère du béton que par l’utilisation d’agrégats plus petits, de la taille de gravillons voire de gravier. Opus caementicium : L’opus caementicium, très utilisé par les Romains, est obtenu par mélange de mortier avec des pierres de différentes tailles, dont souvent de gros moellons. Ce n’est pas à proprement parler un « béton » mais certains auteurs le qualifient cependant ainsi, tout en reconnaissant que c’est un abus de langage (L. Lancaster par exemple). Ciment : On réserve aujourd’hui l’appellation « ciment » aux mélanges artificiels de chaux avec de l’argile et des sels métalliques. On ne devrait donc pas utiliser l’expression « ciment romain ». Malheureusement, cette appellation a été utilisée comme première marque des ciments Portland à la fin du XIXe siècle. Chaux : La chaux (CaO) est une roche naturelle qu’on trouve rarement dans la nature, essentiellement dans des laves, car elle est très réactive. Pour fabriquer des bétons de chaux, on calcine des roches calcaires formées principalement de carbonate de calcium (Ca CO3) par dégagement du dioxyde de carbone (CO2). Cette chaux vive, mélangée à de l’eau permet d’obtenir de la chaux éteinte (Ca(OH)2) au cours d’une réaction très exothermique. La prise de la chaux s’effectue par carbonatation, avec l’eau comme catalyseur. L’eau réagit avec le dioxyde de carbone de l’air pour former de l’acide carbonique (H2CO3) qui réagit à son tour avec la chaux éteinte pour donner du carbonate de calcium (CaCO3). Dans le cas des chaux hydrauliques (contenant de l’argile) une première carbonatation s’effectue entre les silicates et aluminates de l’argile lors de l’extinction de la chaux vive, puis une deuxième au contact de l’air. Pouzzolane : La pouzzolane est une roche volcanique est une cendre volcanique qui tire son nom de la ville de Pouzzoles près de laquelle cette roche était abondante. Par extension, on appelle également pouzzolane d’autres cendres volcaniques. Ses propriétés viennent du fait qu’elle contient notamment des silicates d’alumine qui permettent de transformer la chaux aérienne (ne contenant pas d’argile) en chaux hydraulique. On appelle de façon plus générale « pouzzolanes » des matériaux qui en présence d’eau réagissent chimiquement avec la chaux éteinte pour obtenir des mélanges aux propriétés cimentaires. Tuileau : Le tuileau est formé de terre cuite broyée finement. Il contient donc, comme l’argile, des silicates et des aluminates et permet donc, à la place ou complémentairement à la pouzzolane, d’obtenir de la chaux hydraulique.
1- Les bétons utilisés par les Romains Les premiers bétons utilisés par les Romains ont été des bétons de terre, notamment dans des constructions en pisé. Dans les derniers siècles av. J.-C., les Romains ont adopté et amélioré les techniques de mortier de chaux qui étaient connues depuis 10 000 av. J.-C. dans le Proche Orient. Les premiers mortiers hydrauliques, obtenus avec incorporation de tuileau, auraient été fabriqués dans le monde Egéen au IVe siècle av. J.-C. mais c’est entre le IIIe et le IIe siècle av. J.-C. que les premiers mortiers pouzzolaniques auraient été fabriqués, vraisemblablement dans la région de Pouzzoles. On peut penser que les Romains ont découvert ce matériau par chance (il en faut souvent). En effet, la construction du port de Pouzzoles, le plus proche de Rome, aurait été l’occasion pour les Romains d’utiliser des matériaux locaux comme granulats, en l’occurrence des centres volcaniques de Pouzzoles. Quoi qu’il en soit, les Romains ont eu l’ingéniosité d’observer le comportement de ces bétons et de remarquer leur durabilité. Des prélèvements effectués sur des bâtiments du Ier siècle av. J.-C. montrent que les Romains ont essayé plusieurs types de cendres volcaniques dans leurs recettes de mortiers. Quand Vitruve écrit De architectura, vers 30 av. J.-C., les recettes de ces mortiers et bétons, pour application terrestres et maritimes, sont déjà en partie stabilisées. Ce sont les bétons hydrauliques utilisant les cendres volcaniques et/ou le tuileau qu’on appelle « bétons romains ». Leurs qualités de durabilité et de résistance à l’eau de mer ont conduit les Romains, vu leur coût supérieur, à les utiliser surtout pour les constructions maritimes. (Le lien fourni auparavant par Almayrac indique que 95% des bétons et mortiers terrestres étaient de simples étaient uniquement à base de chaux) L’utilisation de ce béton romain s’est poursuivie activement jusqu’au IIIe siècle. Ensuite elle s’est ralentie, en raison d’une diminution de la construction de ports, jusqu’à un fort déclin à partir du VIe siècle en Occident. Quand la construction de ports a recommencé aux XIVe et XVe siècles, la recette romaine des bétons hydrauliques à base de chaux et de cendres volcaniques avait été oubliée.
2- Le béton romain à base de pouzzolane Les Romains ne comprenaient évidemment pas les réactions chimiques complexes de la fabrication de la chaux éteinte et les réactions entre celle-ci et la pouzzolane mais ils les ont bien observées et Vitruve a dressé l’état de l’art vers la fin du Ier siècle av. J.-C. Il insiste sur la nécessité de bien choisir le calcaire à calciner, qui doit être blanc et dur et sur les proportions de 1 à 3 entre chaux et cendre volcanique et de 1 à 2 entre chaux et sable de rivière. Il écrit explicitement que la chaux doit être éteinte avant la confection du mortier. Il reconnait la meilleure qualité de la cendre de Pouzzoles (pulvis) comparée à celle des environs de Rome (harena fossicia) : la première doit être utilisé pour les bétons maritimes alors que la seconde doit être réservée aux ouvrages terrestres. Un siècle après, Pline l’Ancien reprend à peu près les mêmes termes que Vitruve, et indique qu’il est préférable de laisser maturer la chaux éteinte pendant 3 ans. Vers l’an 300, Cetius Faventinus reprend encore les prescriptions de Vitruve. Les qualités de ce béton romain sont sa durabilité, sa résistance et même son amélioration dans l’eau de mer. En revanche ses propriétés mécaniques sont médiocres. Sa résistance à la compression est inférieure à 10 Mpa, alors que celle d’un béton moderne commun est de 30 Mpa et que celle des meilleurs bétons fibrés actuels atteint 250 Mpa (sans parler évidemment des bétons armés précontraints. Une autre qualité de ce béton est sa légèreté : associé à des roches légères comme les pierres ponces, il a pu servir à faire des coupoles. Beaucoup d’articles de vulgarisation ayant repris au mois de janvier les résultats de la dernière étude (dont celui de Radio-France cité au début de ce fil) commettent l’erreur de parler de la solidité de ce béton romain. Les bâtiments romains qui sont parvenus jusqu’à nous sont ceux qui ont été réalisés avec la meilleure architecture et les meilleurs matériaux (le Panthéon, par exemple, mais en grande partie car il a été entretenu depuis sa reconstruction, transformé en église). En revanche, la majorité des bâtiments étaient relativement mal construits (voir J.-P. Adam) et les effondrements de ces bâtiments ont été amplement commentés par les auteurs romains. Les bétons maritimes ont été longuement étudiés, de 2000 à 2006, par une équipe de chercheurs qui a étudié les bétons, tous à base de chaux et de pouzzolane, qui ont été utilisés dans des équipements portuaires tout autour de la Méditerranée. Ces chercheurs ont reproduit un béton analogue avec ceux qu’ils avaient étudié, en fabriquant des bétons à base de chaux éteinte et de pouzzolane.
3- L’étude du MIT L’étude récente du MIT présentée ici est la nième étude qui prétend avoir découvert le « secret » du béton romain. Il n’y a rien de fondamentalement nouveau concernant les réactions chimiques qui sont décrites : elles étaient déjà bien analysées dans une précédente étude de M. Jackson en 2017. Ce qui est nouveau est l’hypothèse de la fabrication de ce béton par mélange de chaux vive directement dans le mortier (ou dans le béton). Cette étude amène à poser quelques questions : - Il me paraît étonnant que les chercheurs aient étudié un seul béton, provenant de Privernum. - Ils ont reproduit un béton analogue en utilisant de la chaux vive. Il me paraît étonnant qu’ils n’aient pas fait un mélange avec de la chaux éteinte pour étudier la différence entre les deux méthodes de fabrication. - Aucun auteur ancien n’indique que les Romains fabriquaient leurs bétons avec de la chaux vive, mais au contraire avec de la chaux éteinte. - Le transport de la chaux vive est très délicat car la matière est très réactive. Cette étude ne signale pas cette difficulté.
Il y aura sans aucun doute des réactions à cette étude, pour en confirmer ou infirmer les résultats.
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