Hugues de Hador a écrit :
On voit bien que Parigino n'a pas fait son "service militaire"
En fait si, j’ai fait mon service militaire, mais là où vous l’attendez le moins : sur la scène de l’Opéra de Washington au Kennedy Center de cette capitale.
Pendant de nombreuses années, en effet, j’ai fait beaucoup de figurations à l’Opéra de Washington, ce qui était follement amusant et me plaisait énormément car dès ma tendre jeunesse j’étais devenu
accro à l’opéra. J’ai figuré dans une quarantaine d’opéras, et plusieurs fois dans des rôles de militaire. Le fait que je suis parfaitement bilingue français-anglais et parle très bien l’italien, me débrouille en allemand, et pouvais déchiffrer une partition, firent que j’étais très demandé.
(Modérateur, s’il faut que je crée ici un nouveau sujet, dites-le moi.)
• Dans
La Bohème de Puccini, j’incarnais le tambour-major de la fanfare militaire qui entre en scène à la fin de l’Acte II (Café Momus, carrefour de Buci au Quartier Latin), sans tambour mais dans un bel uniforme tout neuf, fait à mes mesures, et tenant à la main un grand drapeau tricolore du plus bel effet. Comme j’étais le
Frenchie de la troupe, la régie aimait beaucoup me coller un drapeau tricolore entre les mains, trouvant que je faisais
authentic. Et pourquoi pas, puisqu’ils avaient sous la main l’article original ? Mon entrée en scène était même annoncée de manière fracassante et spectaculaire par les chœurs :
(I soldati entrano preceduti da un gigantesco tamburo maggiore, il quale maneggia destramente la sua mazza.) Contrairement à cette indication scénique, je n’avais ni tambour ni masse, mais bien un très grand drapeau tricolore, qui n’était toutefois pas
gigantesco.Ecco il tambur maggiore !
Più fier d’un antico guerrier !
Il tambur maggior ! Il tambur maggior !
Eccolo là ! Il bel tambur maggior !
La canna d’or, tutto splendor !
Che guarda, passa, va !• Dans
La Fille du Régiment de Donizetti, j’étais un grognard de l’armée de Napoléon envahissant la Suisse. Vêtu là aussi d’un bel uniforme de grenadier de l’Empire, un fusil en bandoulière, je devais escalader une petite colline en carton-pâte, détacher le drapeau suisse qui flottait au haut d’un mât, le jeter à terre avec dédain, hisser à sa place le drapeau tricolore (encore une fleur faite au
Frenchie), et rester planté là jusqu’à la fin de l’acte, me donnant tout loisir d’ecouter l’opéra aux premières loges.
• Dans
La Tosca, également de Puccini, je fus un diacre chantant lors du
Te Deum de l’Acte I. Un baryton du chœur étant tombé malade, on me demanda si pouvais chanter le
Te Deum, on m’auditionna et on m’engagea sur-le-champ parmi les barytons. Mais à l’Acte III, adieu la calotte rouge, la soutane rouge et le surplis blanc, retour à la condition militaire, vêtu cette fois d’un magnifique uniforme de la fin du XVIIIe (tricorne noir, habit vert et blanc à boutons d’or, culotte ivoire, bottes noires, vraie épée au côté et fausse carabine au poing), pour faire partie du peloton d’éxécution qui fusillait le ténor, Mario Cavaradossi, soir après soir. « Corvée de bois » sur la scène de l’Opéra, en quelque sorte.
• Mais mon meilleur rôle de militaire sur scène fut dans la
Manon de Jules Massenet, où on confia au
Frenchie de service (toujours moi) le rôle parlant assez long du « Sergent des Archers ». Certes, la direction savait que mon français était parfait, mais elle voulut savoir, on la comprend, si je pouvais projeter ma voix jusqu’au fond de la grande salle de 2 200 places. Le directeur de l’Opéra, le metteur en scène, et le chef de chant se placèrent au dernier rang de l’orchestre et m’écoutèrent dire mon texte, naturellement appris par cœur. Lorsque j’eus atteint le volume désiré, ils me dirent,
“O.K., that’s great, you got it !” Dans ce rôle de Sergent des Archers, je commandais une petite troupe de ténors et de basses/barytons du chœur et j’avais un dialogue assez long et intense (en français
natürlich) avec le chanteur (américain) qui incarnait le personnage de Lescaut, le frère de Manon, Garde-du-Corps véreux. En fait, moi aussi, j’étais un sergent véreux. (Tout cela est dans le roman de l’abbé Prévost, que je relus attentivement pour composer mon personnage, parce que du coup ce n’était plus de la figuration.) Lescaut était habillé en tricorne, uniforme bleu-roi, culotte et bas rouges, ce qui je crois était authentique pour son rôle de Garde-du-Corps, quant à moi j’avais un tricorne noir, un uniforme gris, de hautes bottes et un grand sabre (mes hommes n’ayant droit, eux, qu’à des bas gris et pas de sabre).
J’ai des anecdotes assez savoureuses et drôles se rapportant à ces rôles, mais comme je ne veux pas m’attirer les foudres du Modérateur, je ne les raconterai que (1) si cela intéresse certains d’entre vous, et (2) avec l’autorisation préalable de celui-ci. Je ne voudrais pas être accusé d’être hors sujet. J’ai également eu beaucoup d’autres rôles de figurant, mais ceux-ci n’étaient pas militaires (noble, bourgeois, laquais, prêtre, moine ou pasteur anglican, hallebardier, garçon de café, homme à tout faire genre Benalla, etc. etc.) Une fois la Deutsche Oper Berlin vint à Washington représenter la Tétralogie de Wagner, et on m’engagea dans
Die Walküre (La Valkyrie) pour être pour un des quatre barbouzes de Hunding en uniforme SS (ah, que ces mises en scène allemandes, obsédées par le nazisme, sont fatigantes), et dans
Götterdämmerung (Le Crépuscule des Dieux) pour être un dieu dans le Walhalla, excusez du peu ! Que de bons souvenirs (mais pas revêtir l’uniforme SS, ça je n’ai vraiment pas aimé, mais alors pas du tout, ça me mettait très mal à l’aise, c’est d’ailleurs la seule fois que je me suis fait réprimander sur scène, le
Statistenleiter — affreux, glaçant vocable désignant le chef des figurants de l’opéra berlinois — me reprocha vivement de ne pas être assez sinistre et terrifiant, « fous defez afoir l’air féross, fous comprenez, fous defez faire pêûr aux spectatêûrs et fous ne me faites pas pêûr du tout ! Si fous n’y arrifez pas che fous remplass !», ce qui me valut d’être « coaché » assez longuement par lui en comment avoir l’air sinistre et terrifiant, avant d’enfin y arriver, mais tout juste, « ce n’est pas l’idéal mais on fera afec !».)