L'expression "victoire à la Pyrrhus" n'est pas une expression antique, mais moderne. Cela fait référence davantage au mythe qu'à la réalité, non la bataille réelle, mais la bataille fantasmée intégrée par les Romains dans leur geste nationale. Les défaites romaines contre Pyrrhus ont été minimisée de toute manière, les rares sources sur les pertes essuyées sont très divergentes. Celles que tu proposes sont tirés de la tradition grecque, à savoir Hiéronymos de Cardia pour les pertes latines, et Pyrrhus lui-même dans ses Mémoires pour les pertes grecques. Denys d’Halicarnasse deux siècles plus tard et favorable aux Latins évoque quant à lui 15 000 morts dans les deux camps… et le ponpon pour la tradition purement romaine tardive : Frontin, II.3.19 : Il y avait quarante mille hommes dans chaque armée ; les ennemis perdirent la moitié de leur monde, et les Romains cinq mille hommes.. 20 000 vs 5000 en faveur des Romains ! L’expression se rapporte à cette tradition là, sachant que dès Denys d’Halicarnasse et Tite-Live était sur-développé la légende d’une victoire extrêmement difficile contre des Latins teigneux. Cf. En particulier les phrases citées Plutarque : Vie de Pyrrhus, 21 : Comme on félicitait Pyrrhus de sa victoire : "Si nous en remportons encore une pareille, répondit-il, nous sommes perdus sans ressource." En effet, cette bataille lui avait coûté la meilleure partie des troupes qu'il avait amenées d'Épire, avec le plus grand nombre de ses amis et de ses capitaines; il n'en avait point d'autres pour les remplacer, et il voyait ses alliés refroidis. Les Romains, au contraire, tiraient de leur pays, comme d'une source inépuisable, de quoi réparer, avec autant de facilité que de promptitude, les pertes de leurs légions; et, loin d'être abattus par leurs défaites, ils puisaient dans leur ressentiment même de nouvelles forces et une nouvelle ardeur pour continuer la guerre. Apophtegmes des rois et des stratèges, Pyrrhus : Dans la guerre qu'il fit aux Romains, il eut d'abord deux fois l'avantage sur eux. Mais comme ces combats lui avaient enlevé plusieurs de ses amis et de ses meilleurs officiers, il dit : « Nous sommes perdus si nous remportons encore une semblable victoire. » Plutarque était très populaire sous la Renaissance ; je ne sais pas de quand date l'expression, mais cette faveur du philosophe-biographe de Chéronée au XVIe a du largement contribuer à la popularité de l'expression.
La bataille a cependant été clairement difficile (les chiffres de Hiéronymos restent éloquents), les Romains n’ont pas été écrasés après ces deux jours de combat ; Pyrrhus lui-même aurait été blessé, et il n’a pas su ou pas pu exploiter cette victoire ; d’un autre côté, la stratégie romaine montre bien qu’eux aussi avait besoin de reprendre leur souffle et Pyrrhus finit même par préférer se jeter sur la Sicile (tout en gardant un œil gourmand sur les affaires qui deviennent favorables en Macédoine...), devant l’impasse politique et militaire dans laquelle il végète suite à cette mêlée sanglante en Italie. Cette inaction justifie en quelque sorte l’image d’une victoire difficile, mais l’apathie des Romains démontre à l'inverse une défaite indiscutable, tandis que l’expédition de Sicile illustre bien que la situation de Pyrrhus est loin d’être catastrophique, lui qui s’offre le luxe d’une nouvelle guerre difficile contre des adversaires redoutables (les Mamertins et surtout Carthage).
Une fois de plus, nous sommes victime de la propagande romaine, toujours très efficace.
PS : 4000 ou 3500 morts quand on est victorieux, si, c'est beaucoup, alors qu'ils n'ont pas dérouté et pas eu à subir de poursuite. Ce qui signifie que le nombre de blessés est incomparablement plus élevé. Pour que le jeu en vaille la chandelle, il faut avoir exterminé l'armée ennemie pour ce prix là, conne Hannibal à Cannes qui subit aussi de très lourdes pertes, mais pour un résultat d'une autre ampleur. En général, à cette échelle, le ratio de pertes vainqueur/vaincu est beaucoup plus élevé. Des tels chiffres me font penser à l'expression qu'Alexandre aurait employé en apprenant le résultat de la bataille entre Agis et Antipater dans le Péloponnèse : les Macédoniens avaient perdus 3500 hommes, les Lacédémoniens 5300. Le roi de Macédoine aurait qualifié ce combat de "bataille de rats", en référence probablement à l'acharnement des adversaires.
Dernière édition par Thersite le 03 Juin 2012 20:44, édité 1 fois.
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