Môri Terumoto (1553-1625), 7 ans de plus que Mitsunari, était le commandant en chef nominal de l'armée occidentale.
Le clan Môri, qui contrôlait l'ouest de Honshu, la grande île de l'archipel, était ancien et puissant, et il disposait de bien plus d'hommes et de moyens que Mitsunari lui-même. Après la mort de Maeda Toshiie et la dispersion de son patrimoine entre ses héritiers, Terumoto était devenu l'un des daimyôs les plus riches encore en vie. Les richesses respectives de Terumoto et Ieyasu étaient comparées par un adage populaire, selon lequel le Tokugawa pouvait construire une route de riz du Kantô jusqu'à Kyôto, tandis que le Môri pouvait pour sa part jeter un pont en or et en argent depuis ses domaines jusqu'à la capitale.
Terumoto était rongé par l'angoisse de faire le mauvais choix en se ralliant au perdant, ce qui aurait pour conséquence la perte de ses provinces, voire de sa vie. Ses biens personnels étaient évalués à environ 1,2 millions de kokus, soit peut-être la deuxième fortune du Japon : on comprend ses doutes compte tenu de l'enjeu pour son clan. A ce point de la crise, la victoire pouvait sourire indistinctement à l'un ou l'autre des camps en présence. Il penchait vers un ralliement à Ieyasu quand Ankokuji Ekei, l'un des proches conseillers de Terumoto, et ardent partisan de l'alliance loyaliste, le convainquit de pencher finalement vers Mitsunari. Ekei avait également amené à ses vues Kikkawa Hiroie, cousin de Terumoto et autre seigneur de la maison Môri.
Or, les Môri étaient réputés pour leur fidélité : jamais ils ne trahissaient un engagement, ni une alliance. Déjà à l'époque de Hideyoshi, ils avaient été un morceau trop gros à avaler car cette réputation toujours confirmée avait fait qu'aucun seigneur de la guerre de l'ouest ne les avait trahi.
Si Mitsunari était la cheville ouvrière de l'alliance anti-Tokugawa, le nom et la réputation du clan Môri le surpassait, et Terumoto était l'un des cinq tairô officiellement responsable de la sécurité du jeune Hideyori et du devenir de la puissance du défunt taikô. Lorsque Terumoto se fut engagé dans les rangs loyalistes, son ami le daimyô Otani Yoshitsugu conseilla à Mitsunari de rester en retrait – au moins officiellement - et de laisser le chef du clan Môri prendre le commandement suprême de la coalition. Il accepta, et plaça Ukita Hideie, un autre des cinq tairô, aux côtés de Terumoto avec le rang de commandant en second.
Le prix à payer pour l'apparent effacement d'Ishida Mitsunari fut que ce dernier continua à exercer la réalité du commandement, tirant toutes les ficelles, pendant que Terumoto se voyait relégué au château d'Osaka, quartier général de la faction Toyotomi et ancien centre du pouvoir du Taikô. Cet arrangement, quoique faisant publiquement de Terumoto la tête du camp loyaliste, avait surtout pour effet de garantir qu'il n'aurait à peu près aucune influence, ni sur le déroulement de la campagne, ni sur les batailles à livrer.
Par malheur pour l'armée occidentale, Terumoto était un excellent général alors que Mitsunari n'était au mieux qu'un second rôle. Cette distribution des tâches provoqua la méfiance de certains membres du clan Môri. Parmi eux, Kikkawa Hiroie, le cousin, finit par convaincre Terumoto que la meilleure action possible était de ne pas agir du tout. Pris au piège entre son honneur et la « realpolitik », le clan Môri amorçait son déclin...
_________________ "Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".
Yves Modéran
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